6 février 2019

TP08 - Tweed, de la campagne à la ville, de Jean-Paul

Un nouveau mail-art très documenté sur une étoffe traditionnelle m'est parvenu aujourd'hui, adressé par mon grand pourvoyeur en art postal  : j'ai nommé l'ami Ursu, que je remercie beaucoup!



Tweed : origine et histoire

On pense généralement que le tweed est apparu en Écosse et en Irlande comme un moyen pour les agriculteurs de lutter contre le climat froid et humide qui caractérise ces régions. Le tweed a commencé comme un tissu tissé à la main. Le tissu était rugueux, épais et feutré et les couleurs étaient sourdes et terreuses. C'était vraiment le vêtement d'un ouvrier. 

En ce qui concerne le nom de cette étoffe, il existe deux théories:

- il y a une rivière Tweed en Écosse et le tissu a été fabriqué dans la vallée de Tweed, et certains pensent que c'est l'origine du mot ;
- une légende plus populaire dit que le nom tweed est une torsion du mot écossais pour «tweel» ou twill dans notre langage, qui est la signature du tissu. On dit qu'en 1826, un employé de London transcrivit accidentel-lement un ordre de «tweel» et écrivit «tweed» à la place, et à partir de là, le nom fut utilisé.

Quelle que soit son origine, le tweed est un tissu robuste, résistant au vent et à l'eau, doté d'excellentes propriétés isolantes. Ce tissu de laine était porté par les fermiers entre l’Angleterre, l’Ecosse et le Pays de galles.  Cette laine était appréciée car elle a une bonne résistance au climat de ces régions. Elle reste cependant jusqu'au milieu de XXème siècle d’avantage utilisée en milieu rural, bien que l’on remarque son utilisation discrète dans le tailleur au XIXème. Les codes vestimentaires autorisent cependant cette matière beaucoup plus en vêtement de campagne que de ville.

C’est en 1954 qu’il fait son coup d’éclat grâce à Coco Chanel qui en fait la matière phare de son tailleur. Cette pièce emblématique sera portée par les plus grandes dames de la société, c’est un tailleur en tweed rose que porte Jackie Kennedy le jour de l’assassinat de son mari, le président John Fitzgerald Kennedy. Depuis devenu un grand classique de la maison le tailleur en tweed est sans cesse réinventé à chaque collection.
Et en 2011 il fait son grand retour dans la mode contemporaine, pour l’homme ou la femme il est utilisé par des maisons telles que Yves-Saint-Laurent sur tout type de vêtement,  même les chaussures chez Caulincourt.

 vêtements  YSL    
Chaussures modèle Gatsby  de Caulincourt      
                                                                    
Le tweed est un tissage cardé d’une robustesse rare : il en existe trois grandes catégories : 
  • le Harris Tweed :  le plus connu pour lequel la Harris Tweed Authority est chargée de garantir la qualité, bien que différents motifs soient possibles, notamment le pied-de-poule.

    Comme souvent avec le textile, à l’origine des tissus Harris Tweed il y a un coup de foudre. Comme souvent avec les coups de foudre, il y a, à l’origine, une femme. Cette femme est la comtesse douairière de Dunmore qui demanda à un pauvre écossais de lui faire un tissu au motif de la famille de son défunt époux. C’était en 1846, c’était la famille Murray, c’était sur l’île de Harris. Séduite par le tissu, elle poursuit l’idylle et développe la production. Les consignes sont claires, il faut que le tissu soit 100% laine, teint dans la masse et fini à la main. Des îles de l’Écosse occidentale à Londres, il n’y a que quelque miles vite parcourus pour la veuve entrepreneur. Adopté par les membres de la cour de la Reine Victoria, le tissu plaît au tout Londres. La consommation s’étend, la production doit suivre. Elle s’est étendue à l’ensemble des îles extérieures où on l’appelle le « grand tissu », Clo Mor en gaélique, sans les accents. (voir ci-dessous, tissage artisanal à domicile).
  • le Saxony Tweed,  issus de moutons de race de Basse-Saxe (Allemagne)

  • le  Donegal Tweed  : tissé  en Irlande du côté d'Ardara, il est  reconnaissable  à ses petites imperfections de couleur dans le tissage.
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La laine utilisée est brute, elle n’a pas été lavée complètement de son suint, ce qui lui donne un aspect très rustique mais aussi une étanchéité thermique et aquatique . L’une des plus reconnues et des plus protégées provient de deux îles des Hébrides : Lewis et Harris. 

Tissé artisanalement dans des crofts (fermes) dans les Iles Hébrides, le tweed sort sur des métiers à tisser en de 85 yards, soit 78 mètres, en petite largeur (74cm) ce qui en fait un tissu cher et compliqué à couper, ce qui oblige à en utiliser deux fois plus. 

Puis intervient la teinture dans la masse, à l’aide de colorants naturels le plus souvent, comme les mousses et les lichens pour obtenir des teintes douces comme le marron, le vert, l'orangé (couleurs que l'on retrouve beaucoup dans les paysages d'Ecosse ou d'Irlande).
Ensuite le cardage permet de dresser les fibres dans le même sens. Le traitement à ce niveau sera court, ce qui donnera au tweed cet aspect très rêche, peu travaillé. 

D'autres types de tissages plus doux sont ensuite peignés par exemple. Le cardage permet de tirer les fils qui le plus souvent sont liés par deux, pour obtenir un double retors. Les fils ne sont d’ailleurs pas positionnés sur des bobines comme à l’habitude mais sur des clefs en bois, qui les tendent. Enfin, comme tous les tissus, le tweed subit une étape de finition, le finishing. Il est lavé une dernière fois, les impuretés sont enlevées à la main et des contrôleurs reprennent les mailles sautées. Différents traitements peuvent être appliqués à la surface, comme un dernier cardage ou un brossage aux chardons.

Le tweed est un héritage workwear qui trouve ses origines auprès des agriculteurs, fermiers écossais et irlandais. Ce n’est que dans la première moitié du XIXe siècle qu’il investit la garde robe des gentlefarmers. À cette époque, de nombreux nobles anglais font l’acquisition de domaines en Écosse, et adoptent le tweed. En 1848, le prince Albert achète le château de Balmoral et crée le célèbre Balmoral Tweed. Gris moucheté de taches blanches et de couleur pourpre, il imite les pierres de granit caractéristiques de l’Aberdeenshire et sert à se fondre dans le décor lors des chasses aux cerfs.

Le tweed Balmoral, un des tous premiers Estates Tweeds destiné à la chasse.



Non pas un, mais des Tweeds :
Il faut bien avoir à l’esprit que lorsque l’on parle d’un tweed, on utilise en fait un mot valise. En effet, la famille des tweeds est très vaste et ses contours parfois difficile à décrire.

Repartons à la source du mot. Le tweed est étoffe de laine peu ou pas épurée. Car à partir d’un ballot de laine, il est possible d’obtenir des fils bruts (on parle alors d’une laine cardée) ou des fils raffinés (on parle alors de laine peignée). La laine peignée est plus douce que la laine cardée, plus rêche. Le tweed désigne une famille de laines cardées brutes. Les tissus de laine peignée (reconnaissable à la mention d’un super 1XX) ne sont pas des tweeds à proprement parler. C’est donc une étoffe solide et endurante.

Seulement voilà, les tweeds varient suivant la race du mouton qui donne la laine. Ainsi, les moutons de race Cheviot (originaire d’Angleterre - photo du haut) donnent une laine vraiment très rugueuse, à l’ancienne. La race Mérinos (originaire d’Espagne- au  milieu) donne une laine très qualitative réputée pour sa douceur. Les tweed ainsi obtenus seront donc très différents. La race des moutons Saxony (originaire d’Allemagne, en bas) produit une laine assez douce bien qu’un peu moins usitée. 
En plus, la laine peut être récoltée sur le mouton à des âges différents et à des endroits différents. Si le lainier utilise seulement la toison du cou, le tweed sera très doux. Encore mieux, si la laine est prélevée sur un agneau (on parle alors de la fameuse appellation Lambswool), le drap sera très qualitatif, et cela sans travail particulier de raffinage.Ainsi, il existe de grandes disparités de toucher.

Le tweed de Harris constitué de laine de Cheviot, le plus connu, est du genre très rugueux. Les tweeds lambswool sont magnifiques avec un toucher beaucoup plus doux. Quant aux Italiens, ils tissent des étoffes de campagne dans du Mérinos d’où un confort exceptionnel. Et parfois, les tweeds peuvent être un peu mélangés avec du cachemire. Alors là, on est loin des prairies britanniques.
Le tweed souvent appelé ‘Royal Twelve’ car pesant 12 oz c’est à dire 340/360 g est plus classique à la campagne. Ces draps sont parfois appelés Gamekeepers pour tweed des gardes chasses. Le toucher est moins rugueux et le tissage plus serré pour pouvoir réaliser des pantalons. Car les tweeds mous, confortables pour réaliser des vestes ne sont pas assez solides pour endurer les efforts d’une culotte.

Enfin, les anglais se sont fait une spécialité de ce qui est parfois appelée ‘tweed rasé’, à savoir un drap très lourd et très dense (500grs) au toucher très sec, ci-dessous. L’aspect est bien moins broussailleux que le tweed de Harris. Ces tweeds disponibles dans une infinie variété de formes et couleurs sont utilisés aussi bien pour réaliser des complets, des vestes ou pantalons seuls, voire même des manteaux ou des parkas de chasse. Bref, comme vous le constatez, le tweed est une étoffe qui ne manque pas d ressource!

Et ce qui est amusant avec le tweed, c’est sa capacité à faire immédiatement ‘pas moderne’. Une tenue constituée de tweed, à l’aspect mat et aux couleurs fanées, constitue un message et révèle une envie. Ce n’est a priori pas le tissu du siècle à venir et pourtant il continue toujours à faire sens et à donner envie. Alors que les matières deviennent techniques, brillantes et synthétiques, le tweed avec sa simplicité et son esprit "old-school" continue de plaire. Et c’est heureux !


Le tissage artisanal à domicile pour "Harris Tweed" 

Ce reportage et les photos associées ont été trouvées sur internet sur le Site de Sébastien Canevet, 
dans son article du 20 août 2009 sur les Iles de Harris et de Lewis. 
Pour avoir droit à l’appellation "Harris Tweed", le tweed doit être tissé à la main sur les îles de Harris et de Lewis. Tout ceci est soigneusement vérifié par l’Harris Tweed Authority. Ceci a pour but de ne pas faire disparaître cet artisanat traditionnel, qui est importante source de revenu pour les insulaires. Cela donne aussi aux clients la certitude d’avoir un produit de haute qualité.

Le tisserand à domicile prend donc livraison des trames déjà prêtes et des bobines de fibres. C’est lui en revanche qui prépare les "canettes", qui seront utilisées ensuite dans la navette. Sur la photo on voit bien les canettes pleines et les vides. La navette est ici dans la main du tisserand. Il pédale pour actionner son métier, en attendant que la navette soit vide, pour la remplacer par celle qu’il tient à la main. Chaque navette permet de faire quelques centimètres de tissus. Il faut ensuite la remplacer en nouant le fil de la nouvelle canette au fil précédent, et ceci de la façon la plus discrète possible.
Sur ces photos, il s’agit d’une démonstration dans la black house de Carloway, mais le tissage à domicile se fait exactement de la même façon, avec cependant un métier plus moderne.Le tissu qui sort du métier est d’une largeur de 75 à 78 centimètres seulement. C’était la taille imposée par la Harris Tweed Autority. Depuis une quinzaine d’années, cependant, la HTA a autorisé l’utilisation de métiers plus modernes, qui produisent un tissu de largeur double de celle ci. Mais seuls les tisserands les plus riches peuvent s’offrir ce nouveau métier.

Le tweed fraîchement tissé est ensuite attaché pour être ramené à la filature pour la suite du processus de fabrication. Un bon tisserand arrive à tisser environ une quinzaine de mètres de tweed par jour, à raison d’un mètre et demi à l’heure, soit plus de 4 kilomètres de tissus par an.