Avec Romy Schneider et Harvey Keitel sur le tournage de La mort en direct en 1980 © KPA |
Philippe Noiret et
Sabine Azéma ont tourné dans « La Vie et rien d’autre » de Bertrand Tavernier.
Sorti en 1989 il a été filmé en partie dans la Cité de la Paix. Photo DR |
Bertrand Tavernier racontant l'histoire de la Princeses de Monpensier en 2010 REUTERS/Hannibal Hanschke |
Fou de littérature, de jazz, de blues et de cinéma
Le septième art, l’autre grande
affaire de sa vie l’occupe très jeune. Etudiant à Paris, au lycée Henri IV puis
à la Sorbonne, il fréquente la cinémathèque au sein de laquelle il fonde, avec
le futur programmateur et conservateur Bernard Martinand et le poète Yves
Martin, le ciné-club Nickelodéon. Lieu où les trois amis entendent
réhabiliter le cinéma américain des années 1940 et 1950 qui ne passait plus
dans les salles.
Du cinéma, Bertrand Tavernier
aime tout. Polar, science-fiction, western, comédie musicale, petits et grands
films. Il réfute les chapelles et revendique son admiration pour le
classicisme, la qualité française, héritière des Renoir, Duvivier, Autant-Lara.
Il n’est pas de la lutte des cinéastes de la Nouvelle Vague (Truffaut, Godard,
Rivette, Rohmer…) qui ont à régler leurs comptes avec ceux de la génération
précédente. Lui est de ceux qui prennent le cinéma dans son ensemble. Il
relève, par-delà les défauts, les mérites que chaque film comporte, quel que
soit le genre auquel il appartient et la forme qu’il revêt.
Curiosité sans borne
Cet enthousiasme qui le porte à
une curiosité sans borne, il le transmet en écrivant dans de nombreuses revues
spécialisées (le journal étudiant L’Etrave, Les Lettres françaises, les Cahiers
du cinéma, Positif) puis comme attaché de presse pour le producteur français
Georges de Beauregard grâce à qui Bertrand Tavernier réalise deux sketches
pour Les Baisers en 1963 et La Chance et l’amour en 1964.
Dix années passent pendant
lesquelles il promeut inlassablement les films oubliés ou boudés par la
critique et écrit des scénarios pour les cinéastes Riccardo Freda et Jean
Leduc, avant de parvenir à tourner son premier long-métrage en 1974, L’Horloger
de Saint-Paul. Pour coécrire à ses côtés le scénario de l’adaptation du
roman de Georges Simenon, L’Horloger d’Everton, il fait appel à Jean
Aurenche et Pierre Bost, ceux-là mêmes que François Truffaut avait
violemment montrés du doigt dans son article de janvier 1954, « Une
certaine tendance du cinéma français ».
Le roman situe l’intrigue aux
Etats-Unis, le film la transporte à Lyon, ville à la réputation bourgeoise et
fermée de laquelle Tavernier souhaite rendre une autre image, tout aussi vraie.
Celle des bouchons où l’on célèbre le pied de cochon, la charcuterie et le
beaujolais, celle des « appartements aux plafonds très hauts, des
cours où l’on entend des enfants faire des gammes ». Cette atmosphère, en
somme, si chère à Simenon comme elle le fut à Claude Chabrol, lui-même bon
mangeur et grand admirateur de l’écrivain.
Le thème du rapport filial
L’Horloger de Saint-Paul, c’est
aussi l’incompréhension puis la rencontre entre un père (Philippe Noiret qui
sera longtemps l’« acteur autobiographique » de Tavernier) et son
fils (Sylvain Rougerie) accusé du meurtre d’un homme. Moins que l’enquête, le
rapport filial (distendu avant la réconciliation) est le vrai sujet du film. Le
thème traversera bien d’autres films du cinéaste (Un dimanche à la campagne,
1984 ; Daddy nostalgie, 1990 ; La Princesse de
Montpensier, 2010, entre autres), comme un ouvrage sans cesse remis sur
l’établi pour l’affiner, le corriger, le réparer de ses imperfections, le
comprendre.
Bertrand Tavernier est un terrien
pétri de culture qui observe, saisit ce qui l’entoure, écoute les
préoccupations de ses contemporains et revisite le passé pour appréhender le
présent
Car Bertrand Tavernier est un
artisan qui aime le travail bien fait au point de se voir parfois reprocher son
académisme. Un terrien pétri de culture qui observe, saisit ce qui l’entoure,
écoute les préoccupations de ses contemporains et revisite le passé pour
appréhender le présent. Il en fait la matière de ses films, à mesure que
surgissent ses indignations. Ainsi qu’en témoigne Des enfants gâtés (1977),
où un réalisateur (Michel Piccoli) rejoint les voisins de son immeuble dans
leur lutte contre les méthodes abusives du propriétaire, ou encore Ça
commence aujourd’hui (1999), plongée dans la misère sociale à travers le
quotidien d’un directeur d’école maternelle, dans le nord de la France.
Il s’émeut aussi, de façon
saisissante et prémonitoire, des dérives du voyeurisme qu’encourage la
télévision dans La Mort en direct (1980) avec Romy Schneider. Et
n’en finit pas d’interroger la violence, sujet qui le fascine et fournit ses
films les plus sombres. Parmi eux : L.627 sorti en 1992,
chronique très documentée sur une petite brigade de policiers spécialisée dans
la lutte contre la drogue que le manque de moyens matériels conduit au
délabrement moral et social. Et L’Appât (1995), portrait de trois
jeunes gens piégés par le goût du paraître, prisonniers de l’illusion de
l’argent facile, et que leur inculture et un manque de repères conduisent à
commettre deux crimes sordides.
Voracité et éclectisme
Bertrand Tavernier pratique le
cinéma comme il l’a découvert et défendu. Avec voracité – il tourne
pratiquement un film par an – et éclectisme, se promenant avec plus ou moins de
réussite d’un genre à l’autre. Polars et films en costume (Que la fête commence,
1975 ; Le Juge et l’Assassin, 1976 ; La Vie et rien
d’autre, 1989 ; Capitaine Conan, 1996 ; Laissez-passer,
2002 ; La Princesse de Montpensier, 2010) nourrissent largement
son œuvre.
Mais pas seulement. Avec Coup
de torchon (1981), fable tragique sur une humanité pataugeant dans tous
les vices, le cinéaste s’autorise une violente satire du colonialisme et du
racisme. Avec Autour de minuit (1986), il signe son film musical
et son hommage au jazz, et s’accorde avec La Passion Béatrice (1987) une
fresque médiévale. Il fait enfin, en 2009, sa première et unique
expérience américaine, s’autorisant un détour vers le western en adaptant le
roman de James Lee Burke Dans la brume électrique avec les morts
confédérés avec Tommy Lee Jones en vedette.
Son amour du cinéma s’est aussi
traduit dans plusieurs ouvrages. Notamment un livre monumental de mille
pages Amis américains (Institut Lumière-Actes Sud, 2008) qui réunit
les entretiens réalisés sur un demi-siècle par Bertrand Tavernier avec les
grands d’Hollywood (John Huston, Elia Kazan, Robert Altman…) ; et un
recueil de souvenirs regroupés par Noël Simsolo dans Le Cinéma dans le
sang (Ecriture, 2001). Dans le même souci de partage, il réalise à l’âge
de 75 ans Voyage à travers le cinéma français (2016), un
documentaire de plus de trois heures dans lequel le réalisateur revient sur sa
vie à travers les nombreux films qu’il affectionne.
Le documentaire approfondit sa
pensée, prolonge ses engagements, dénonce autant qu’il éclaire ce qui le fâche.
Le format apporte un cadre idéal à ses protestations. Il l’adopte pour revenir
sur la guerre d’Algérie et signe avec Patrick Rotman La Guerre sans nom,
où ceux qui se sont toujours tus témoignent. Il l’utilise, en 2001 pour
affirmer son soutien à ceux qu’on appelle les « double
peine » (parce que condamnés à la prison avant d’être expulsés vers
leur pays) : Histoires de vies brisées, coréalisé avec son fils
Nils Tavernier.
Père aussi d’une fille, la
romancière Tiffany Tavernier, le cinéaste est toujours demeuré discret sur
sa vie privée. Ce grand bavard timide qui détestait se regarder, s’analyser et
parler de lui-même, préférait diriger son attention – et celle des autres –
vers ces humains que la souffrance n’avait pas épargnés, ces inconnus dont les
secrets, en ne cessant jamais de l’intriguer, ont abreuvé ses films.
Bertrand Tavernier en quelques
dates
1974 « L’Horloger de Saint-Paul »
1975 « Que la fête commence »
1976 « Le Juge et l’Assassin »
1981 « Coup de torchon »
1984 « Un dimanche à la campagne »
1989 « La Vie et rien d’autre »
2008 Publie « Amis américains »
2016 « Voyage à travers le cinéma français », documentaire
2021 Mort à l’âge de 79 ans
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