5 novembre 2021

Môrice Benin : ami de la fraternité humaine, merci à toi

Môrice Benin : c'est aujourd'hui que j'entends parler de toi pour la première fois, grâce à une nouvelle correspondante bretonne qui te voue toujours une grande admiration,  même maintenant que tu as eu la mauvaise idée de quitter cette terre en janvier dernier.

Môrice Benin poète et prophète, en concert au cinéma Rivière - Crédit Photo journal Le télégramme

Il m'a suffi d'écouter deux ou trois de tes chansons, pour savoir aussitôt combien tu étais un sacré bonhomme, profondément humain, pacifiste, altermondialiste, écolo avant l'heure, révolté par toutes les injustices et les scandales de ce monde où l'argent-roi régit tout, où les plus faibles en font toujours inexorablement les frais. 

Alors, le moins que je puisse faire, c'est de te dédier un article pour que d'autres que moi te découvrent. puisque ni les majors pour éditer tes chansons, ni les ondes radiophoniques pour les diffuser, n'ont pensé utile de te faire connaître au plus grand nombre. Et pourtant, malgré leur évidente mauvaise volonté sans rapport avec ton indéniable talent, ils ont raté leur coup car, loin de tous les réseaux médiatiques,  tu as su conquérir un grand public que tu laisses orphelin derrière toi. Pour s'en convaincre, si c'était nécessaire, il suffit de lire les témoignages plein d'émotion des personnes qui ont eu la grande chance un jour de te croiser, d'aller t'écouter chanter dans des petites salles confidentielles, le plus souvent, et même chez l'habitant.

Qui es tu ? Morice Benin, né Moïse Ben-Haïm, est un chanteur, auteur-compositeur-interprète français, né à Casablanca au Maroc le 21 juillet 1947 et mort à Die le 19 janvier 2021. Je vous propose de voir  sa bio complète sur Wikipédia car sa carrière a été très riche et longue .

 
article signé Michel KEMPER à l'occasion de la sortie du disque
 Morice Benin, L’inespéré, entre les lignes…, Fanal 2017. 

Et si, comme le chantait Ferrat, le poète avait toujours raison, « qui voit plus loin que l’horizon »…

« Quarante ans sont passés… quarante ans d’insomnie / A tenter d’réveiller le monde dans sa folie / Devant ces marchands avides, cyniques / Nous n’avions que notre foi de charbonnier lyrique… »

De partout, le monde court à sa perte. Vous ne trouverez plus personne de censé, sauf peut-être Trump, pour ne pas entrevoir un désastre en chaine à bientôt venir : il a largement débuté. Désastre humain, humanitaire, écologique, économique… Tous les indicateurs sont au rouge sang et on continue à faire semblant. Les poètes ont toujours raison. Parmi eux des artistes, ceux qui depuis des décennies s’époumonent à mettre les maux en musique, à dire notre avenir commun, à être chanteurs d’alerte. Hélas peu audibles quand tout organise leur silence, quand toutes les formes du pouvoir, médias inclus, les font se taire en substituant à leur chant une bouillie sonore inodore et incolore qui offre aux décideurs notre temps de cerveau disponible.

Lui, c’est Morice Benin. Médias et programmateurs l’ont oublié depuis des lustres, le reléguant avec condescendance à d’anciens et victorieux combats, Larzac et Plogoff, qui furent naguère ce que Notre-Dame des Landes et Sivens sont aujourd’hui. Les années ont défilé, le public est passé à d’autres artistes, autres esthétiques. Seule une bande d’irréductibles amateurs de chanson le savent et le suivent encore. Depuis cinq décennies il creuse son sillon sur disques et sur scène, questionne le monde en vers et presque contre tous. On le raille par principe, sans se donner la peine de l’écouter. On a tort.

L’œuvre de Benin est immense, sa discographie pléthorique : son nouvel album serait le 25e mais c’est alors sans compter ceux issus de diverses collections. Les années ont sculpté ses doutes, ruiné nombre de ses certitudes, mais pas affadi ni affaibli son chant. Ses rimes aiment à se chercher, à philosopher, faire la part des choses et celle de l’humain, à labourer les mots, y semer des idées, les voir pousser, grandir, fleurir. Un demi-siècle qu’il chante, en franc-tireur, en franc-chanteur. Sur son nouvel album, L’inespéré­, il reprend un de ses premiers titres, Je vis (de 1974, chanson-titre d’un album alors vendu à plus de 100 000 exemplaires), dans une nouvelle version, comme un regard, un retour sur soi, un non-bilan qui en est tout de même un, un rien désabusé mais honnête : « Je vis, cette obsession tenace d’un rêve sans limite / Quand souffle l’oraison pour atteindre la cible / Je vis, ouvrant mon cœur nomade lancé à la dérive / Pour un soupçon d’amour perçu sur l’autre rive ».

Tout dans ce disque est constance dans les thèmes où, malgré les temps incertains, l’espoir tente de se frayer un chemin : « A qui servent les poètes ? / En temps d’angoisse, de déprime / A quoi bon cette quête ? / D’amour hissé vers la cime / A quoi servent les poètes ? ». Du Benin qui est comme les saisons, sans cesse recommencé, semblable et différent à la fois, régénéré. Et si on profitait de cet album pas si inespéré que ça pour renouer avec Morice Benin, de prendre des nouvelles, d’hier et de demain de ce « marin d’eau douce bravant la mer / apprenant l’art du mouvement / (risquant) cette joie éphémère / dans l’escarcelle d’un instant » ?

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Vidéo du vinyle complet publiée sur Youtube par palaou-san-se

Sémaphore - Vidéo du vinyle complet publiée sur Youtube par Palaou-sans-se

chanson publiée surYoutube par nikou : Je t'ai rencontré autre part 

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Source : Culture et Chanson Blog de Luc Melmont – Avril 2020 

Coronavirus Et si Morice Benin avait eu raison avant tout le monde ?

S'il y a bien un chanteur qu'il est utile de réécouter par les temps actuels et étranges c'est Morice Benin. Nul autre que lui avec constance, terrible intégrité, depuis 1967, n'a cessé de chanter les dérives du monde consumériste, le vampirisme de l'argent, l'aliénation au travail. Le chanteur aime à se dire méconnu, peu connu, anonyme au fil des rares interviews qu'il accorde mais ne soyons pas dupes : ses fidèles sont très nombreux à poster des vidéos (des audios parfois simplement illustrées) sur youtube, dont certaines ne sont pas loin des cent milles vues. A la rédaction, nous nous sommes 'amusés' (c'est fou ce qu'on s'amuse en confinement) à faire le décompte des vues  sur youtube : 72 vidéos qui cumulent 1 million de vues. Il pourra nous raconter ce qu'il veut, Morice Benin est une star, une star méconnue, une star d'un autre genre, mais une personnalité de la chanson suffisamment importante pour drainer un public considérable à chaque concert dans les lieux les plus improbables de France, des villages connus parfois de leurs seuls habitants. 

Un physique reconnaissable, allure de quasi-chamane, ce chantre venu d'Afrique a été l'un des premiers à parler et chanter écologie. S'il fut au début produit par Barclays, très vite il s'en détournera et mettra sa vie en accord avec ses idées. Au show-biz qui lui déplaît, il préfère chanter dans les foyers ruraux, les MJC tout au long des années 70. L'écologie ne séduit pas beaucoup la société en cette fin des trente glorieuses, c'est un mouvement embryonnaire et il est l'un des rares pour ne pas dire le seul auteur poético-libertaire à aborder ce thème avec intensité. Après tout, il a chanté en 1973 sur le plateau du Larzac devant des dizaines de milliers de pacifistes, pour protester contre l'extension d'un camp militaire. Il donne une centaine de concerts par an en France mais aussi en Belgique, en Suisse, au Québec. Son disque 'Je vis' sorti en 1974 s'écoule à cent mille exemplaires sans distribution. Benin est déjà dans une forme de maquis. Mais chez lui c'est assumé, clairement. C'est un positionnement. Le troubadour chante le bonheur d'une certaine forme de marginalité et la sensualité entre les hommes et les femmes. 

Ce qui ne l'empêche pas à l'instar de son collègue Jean Vasca de se produire à l'Olympia. Il se rend au pays natal le Maroc pour y chanter en 1984. Il se produit également en Allemagne. Grand connaisseur du poète  René Guy Cadou, il lui consacre un album en 1985, 'Chants de solitude' qui reçoit le prix de l'Académie Charles Cros. Il fera 3 dates  au Théâtre Dejazet en 1988,  le même Théâtre où se produiront dans la foulée Anne Sylvestre et Pauline Julien dans leur mythique spectacle 'Gémeaux Croisés' - on rappellera qu'elles furent les premières artistes à recourir au micro-casque avant Madonna. Il renoue avec l'Olympia en 1990 et délaisse la promotion de son travail...puisque le public vient naturellement. Et plébiscite ses albums : le chanteur est prolifique, tant et tant qu'il est difficile de s'y retrouver dans sa discographie, foisonnante, passionnante forcément.

Alors il continue de chanter ici et là, de sillonner 'les pays qui n'existent pas', dans des concerts-communion, parfois longs de deux heures.  

Que pense t-il de cette nature qui respire temporairement depuis que les hommes sont confinés ? Il évoquait déjà cette nature en 1991  dans 'Sous le couvert des bois' (album 'Essentiel' 1991)

Tout autour de moi
un rideau d’arbres
Béni soit le chant du merle
Au dessus de la page où j’écris 
Le chœur de tous les oiseaux
Tout la haut le coucou
A la tête grise me chante
une promesse de paix
qui me protège
Moi qui écrit sous le couvert des bois
qui me protège
Moi qui écrit sous le couvert des bois
Je me lie aujourd’hui à la puissance du ciel
la lumière du soleil
la blancheur de la neige
la force du feu
 l’illumination de l’éclair
à la vitesse du vent
la profondeur de la mer
la stabilité de la Terre
à la dureté des rochers
Je me lie aujourd’hui à la puissance du ciel
la lumière du soleil 
la blancheur de la neige
la force du feu
 l’illumination de l’éclair
à la vitesse du vent
la profondeur de la mer
la stabilité de la Terre 
à la dureté des rochers

Après le confinement, évidemment beaucoup de choses auront changé. Bien sûr les gens continueront de prendre l'avion, ce qui n'est certainement pas condamnable. L'homme est un être qui bouge, qui vit, avant les avions, c'était les trains, avant c'était les bateaux. Bien sûr l'homme continuera de cultiver un peu de superficialité, ce qui est normal sinon ce serait ennuyeux. Les hommes solennels qui réduisent la vie au fonctionnel ne sont pas forcément intéressants. Mais les gens réfléchiront encore davantage avant de prendre leur voiture. Réfléchiront davantage avant de payer un café médiocre horriblement cher dans une station service, gaspilleront sans doute encore moins et au sortir du confinement redécouvriront la nature, ni bonne ni mauvaise, mais dont nous faisons partie à tout jamais. Nous n'avons eu que trop tendance à l'oublier. Et peut-être les gens tendront davantage l'oreille envers certains artistes pour ce qu'ils disent et  pas seulement le style vestimentaire qu'ils affichent. 

 Ce serait bien. Rêvons...

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Merci à toi l'artiste qu'il ne m'a pas été donné de connaître de ton vivant.

Quel dommage encore une fois d'être passé à côté d'un formidable artiste, dont la carrière à bas bruit me fait penser à un autre artiste également très peu diffusé - Alain Leprest - qui repose lui aussi, désormais près de toi, là-haut!

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