Fleurs dans un panier de Séraphine Louis, vers 1910,crayon, gouache et peinture dorée sur papier vergé, n° Inv. A.00.5.689, musée d’Art et d’Archéologie, Senlis • © Irwin Leullier |
"Elle refusait de parler de son art. Elle disait : « La peinture, c’est ma vie. C’est la lumière. Et pour vivre, il faut que je fasse des ménages ». Et elle appelait cela le travail noir", raconte en 1969, le docteur Gallot qui l'avait bien connue.
Séraphine Louis est née dans une famille modeste à Arsy
dans l'Oise le 3 septembre 1864. Orpheline à l'âge de 7 ans, elle
est élevée par sa sœur aînée avant d'entrer au Couvent de la Charité
de la Providence à Clermont-de-l'Oise. De 1881 à 1901, elle y travaille en tant
que domestique. Elle gardera de cette période de sa vie une très forte
empreinte religieuse.
En 1906, Séraphine s'installe à Senlis où elle travaille
comme femme de ménage dans de grandes familles bourgeoises. Quelques années
plus tard, elle emménage dans un appartement situé 1 rue du Puits-Tiphaine.
C'est durant cette période qu'elle commence à peindre. Elle dessine
et peint sur de petites toiles, des panneaux de bois, des pots en terre
cuite, du carton. Sur tout ce qu'elle peut trouver.
Les grenades de Séraphine Louis, vers 1915, huile et ripolin sur bois, n° Inv. A.00.5.352, musée d’Art et d’Archéologie, Senlis • © Christian Schryve |
"Elle n'a pas pris de cours, elle a commencé à peindre parce que son ange lui aurait dit de peindre", explique Alicia Basso Boccabella, responsable des publics au Musée d'Art et d'Archéologie de Senlis. Autodidacte, elle peint exclusivement des fruits et des fleurs, semble-t-il à partir de livres de botanique qu'elle trouve dans les foyers bourgeois. "Ses peintures sont très réalistes, elles s'ancrent vraiment dans la réalité. On les reconnaît très facilement aussi parce que les fruits flottent dans l'espace, ils ne sont pas posés sur une table comme chez Cézanne par exemple. On suppose donc qu'elle s'est inspirée des planches botaniques", décrit Alicia Basso Boccabella.
La nature comme seul maître
Treize ans plus tard, Séraphine produit désormais des toiles
de plus grand format, pouvant aller parfois jusqu'à deux mètres de
hauteur. Elle en présente six à l'exposition de la Société des Amis des Arts à
l'Hôtel de Ville de Senlis. Installé désormais à Chantilly, Wilhem Uhde la
retrouve et découvre cette évolution dans sa peinture. "De quelque chose
de très réaliste, on est passé à quelque chose d'imaginaire. C'est toujours
très symétrique, mais sa peinture est foisonnante, il n'y a plus aucun espace
de libre sur la toile", précise Alicia Basso Boccabella.
Séraphine peint avec du Ripolin, une laque industrielle qui
coule, l'obligeant ainsi à peindre par terre, à genoux. "Si
l'on prend n'importe laquelle de ses œuvres, on remarque que chaque
feuille a ses propres traits de pinceau. C'est très flagrant sur
l'Arbre de vie. Elle ne laisse pas le Ripolin sêcher donc
il y a des craquelures et c'est aussi ce qui fait la spécificité de ses
tableaux", décrit la responsable des publics du Musée
de Senlis. Autre particularité de l'artiste, elle signe ses œuvres
avant de peindre. "Elle signait S.Louis puis recouvrait la
signature de couleur. On ne sait pas vraiment pourquoi elle faisait ça,
elle ne parlait pas de ses œuvres", ajoute-t-elle.
Les marguerites - 1925/1930 |
Si l'on parle d'art naïf aujourd'hui pour qualifier les œuvres de Séraphine Louis, une chose est certaine, celle-ci ne peignait pas pour rentrer dans des cases. "Elle n'explique pas pourquoi elle peint, comme vous n'expliquez pas pourquoi vous respirez. Elle peignait pour elle-même, elle ne donnait même pas de titre à ses tableaux, c'est Wilhem Uhde qui leur a donné des titres par la suite", explique Alicia Basso Boccabella. Lorsqu'elle peignait, Séraphine était guidée par sa croyance en Dieu, en particulier la Vierge Marie. "La légende dit qu'elle chantait, de manière très fausse d'ailleurs, des cantiques tout en peignant, sourit la responsable des publics au musée de Senlis. En tout cas, il y a une vraie mysticité dans ses tableaux. On pense qu'elle cherche à représenter une flore paradisiaque dans l'au-delà."
Les grappes de raisins, vers 1930 |
En 1929, Séraphine est exposée aux côtés des Primitifs
modernes lors de l'exposition Les Peintres du Coeur sacré à la
galerie des Quatre-Chemins à Paris. La peintre acquiert ainsi
une petite notoriété et de l'argent qu'elle a tendance à dilapider un peu trop. "Dans
les années 30, Wilhem Uhde cesse de l'aider. Ne plus pouvoir
peindre a créé chez elle une décompensation, c'est-à-dire un état de détresse
subi", explique Alicia Basso Boccabella. Le 21 février
1932, après une forte crise psychotique, elle est internée à l'hôpital
psychiatrique de Clermont-de-l'Oise. Séraphine est alors
diagnostiquée comme étant atteinte de "psychose
chronique avec idées de grandeur prédominantes, hallucinations auditives et
idées délirantes imaginatives."
Durant ces années d'hospitalisation dans l'un des sites du
centre hospitalier à Villers-sous-Erquery, Séraphine ne peint plus, mais
écrit une quarantaine de lettres. "Ça part dans tous les sens,
confie Goty Clin, vice-présidente de l'association culturelle des
amis du CHI de Clermont. Elle écrit comme elle poserait des fleurs sur ses
toiles. Ses lettres sont bourrées de fautes." Elle y décrit ses
hallucinations et ses persécutions, mais aussi les mauvais traitements qu'elle
subit.
Ses tableaux estimés à des milliers d'euros
Après la mort de Séraphine, Wilhem Uhde continue
d'exposer ses tableaux, notamment lors d'une exposition exclusivement dédiée à
elle à la galerie de France à Paris en 1945. "Ce n'est que plus tard,
dans les années 70, lorsque l'on redécouvre l'art naïf, que l'on s'est vraiment
intéressé aux œuvres de Séraphine",
explique Alicia Basso Boccabella. Le musée
de Senlis en possède 21 sur 109, qui sont régulièrement
prêtées à d'autres musées : en France, en Allemagne, au Japon ou aux
États-Unis. "On a eu la chance l'année dernière de les avoir toutes
en même temps. À cause du confinement, on a dû mettre fin
à l'exposition qui était prévue, mais les œuvres sont visibles en visite virtuelle", précise
la responsable des publics du musée.
Les autres sont visibles notamment au musée Maillol de
Paris, au La<m à Villeneuve-d'Ascq ou encore au musée
international d'art naïf Anatole Jakovski à Nice. "Il y en a beaucoup
aussi dans les collections privées, indique Goty Clin. Lorsqu'elle
était dans le besoin, Séraphine troquait ses tableaux chez les commerçants de
Senlis, donc il est certain qu'il y en a encore beaucoup dans la nature, chez
des particuliers."
Aujourd'hui, certaines de ses plus grandes toiles sont
estimées à plusieurs centaines de milliers d'euros. "C'est un art qui
fonctionne très bien sur le marché, qui cote beaucoup", confie-t-elle.
Comme beaucoup d'artistes, Séraphine n'aura pas eu la chance de connaître cette
notoriété, elle qui disait selon le docteur Gallot, qu'elle aurait un jour
"sa statue sur la place de Senlis."
À défaut, Yolande
Moreau l'incarnera brillamment au cinéma dans le film Séraphine réalisé
par Martin Provost sorti en 2008 et récompensé par 7 Césars dont celui du
meilleur film et de la meilleure actrice. Des documentaires lui sont consacrés
également au musée Henri Theillou sur l'histoire de la
psychiatrie à Clermont.
Enfin, un catalogue raisonné de Pierre Guénégan regroupant
toutes les œuvres de Séraphine est paru en mars 2021, en vente chez
Artcurial. Pour la première fois, les lettres de l'artiste, écrites durant ses
années d'internement à l'asile de Clermont de l'Oise, sont publiées. L'ouvrage
comprend également de nombreuses analyses d'auteurs, historiens de l’art,
psychiatres et psychanalystes.
Sources : reportage France 3 + Wikipédia
une des cartes postales retrouvées par Pierre Guénégan |
Le Brestois Pierre Guénégan a « enquêté » pendant dix ans pour répertorier les œuvres de Séraphine Louis mais aussi comprendre ses motivations profondes (DR) |
J'ai aimé ce film.
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