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Photo: Coll. du Musée du Barreau de Paris © L’Express - L’Expansion / photo Julien Quideau
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Gisèle Halimi était une avocate, militante féministe et femme politique franco-tunisienne née le 27 juillet 1927 à La Goulette en Tunisie et décédée le 28 juillet 2020 à Paris
Avocate et militante
Après l’obtention de son baccalauréat au lycée Armand-Fallières de Tunis, Gisèle Halimi refuse un mariage arrangé et part suivre ses études en France l’année suivante.
Elle obtient une licence en droit et deux certificats de licence de philosophie au sein de l’actuelle université Panthéon-Sorbonne, elle étudie en même temps à l’Institut d’études politiques de Paris.
Ses combats en faveur de la décolonisation
En 1949, Gisèle Halimi entre au barreau de Tunis pour plaider de petites affaires puis elle prendra la défense des syndicalistes et des indépendantistes tunisiens durant le mouvement national tunisien.
A partir de 1956, elle s’engage pour la défense des militant.es du mouvement national algérien. Elle fait effondrer le système des aveux en dénonçant les tortures pratiquées par l’armée française. Elle devient alors l’une des avocats principale du Front de Libération National (FLN). Elle défendra d’ailleurs Djamila Boupacha. Avec Simone De Beauvoir, elles mobiliseront l’opinion publique notamment sur les tortures endurées par Djamila Boupacha. C’est une affaire de 8 années qui deviendra l’une des plus célèbres affaires défendue par Gisèle Halimi.
Durant la Guerre américaine au Vietnam, Gisèle Halimi est observatrice au tribunal de Russel au côté de Simone De Beauvoir et d’un des fondateur, Jean-Paul Sartre.
Sa lutte pour les droits des femmes
En 1971, Gisèle Halimi, signe avec Simone De Beauvoir le manifeste des 343 femmes qui déclarent avoir avorté illégalement. Elle lutte pour la dépénalisation de l’avortement et la libre contraception. C’est la naissance de « Choisir la cause des femmes ». Les signataires de l’appel n’étant pas toutes des femmes célèbres, Halimi prend en charge leur défense. C’est le cas lors du procès de Bobigny en 1972, impliquant une jeune femme qui a décidé d’avorter suite à un viol. Gisèle Halimi fera de ce procès une tribune pour défendre la dépénalisation de l’avortement. La loi Veil sera promulguée en 1975.Toujours durant le procès de Bobigny, Gisèle Halimi use une fois de plus de la stratégie médiatique afin de mettre sur la table la criminalisation du viol. Elle convoque à la barre des témoins reconnus : des hommes et des femmes de lettres, des femmes politiques de tous bords. Rapidement, le procès gagne la rue. L’enjeu du procès devient celui de la culture du viol, à l’opposé des rapports homme-femme fondés sur l’amour, le respect et l’égalité. Ce débat dépasse le cadre du tribunal, et le 23 décembre 1980, suite au vote de l’Assemblée nationale, le viol est désormais considéré comme un crime.
Ses engagements politiques
Dans les années 1970, elle lance son mouvement, Choisir, dans l’élaboration d’un « programme commun des femmes » et fait présenter cent femmes aux élections législatives de 1978, sans succès. Elue députée de l’Isère (liée au PS) en 1981, Gisèle Halimi poursuit son combat à l’Assemblée, pour le remboursement de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), finalement voté en 1982. Avant de prendre ses distances avec le Parti socialiste après son élection à l’Assemblée, elle y votera, avec un amendement établissant des quotas de femmes aux élections (parité). Cette mesure est rejetée par le Conseil constitutionnel car considérée comme une entrave à la liberté des élections et à la libre expression de la souveraineté nationale.En 1985, elle est nommée ambassadrice de France auprès de l’UNESCO, servant d’avril 1985 à septembre 1986. Elle a présidé le Comité de l’UNESCO sur les conventions et recommandations jusqu’en 1987. En 1989, elle devient conseillère spéciale de la délégation française à l’Assemblée générale des Nations unies puis rapporteure sur l’égalité femmes-hommes dans la vie politique.
Gisèle Halimi, avocate, militante féministe, femme politique et autrice appelait les femmes à ne pas se résigner : "Et je dis aux Femmes trois choses, votre indépendance économique est la clé de votre libération, ne laissez rien passer dans les gestes, le langage, les situations qui attentent à votre dignité, ne vous résignez jamais".
Elle est décédée le 28 juillet 2020 à Paris. Un hommage national a eu lieu le jour de la journée internationale pour les droits des femmes, le 8 mars 2023. Plusieurs voix, notamment des associations féministes, militent pour que l’ancienne avocate entre au Panthéon.
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Source : https://ivg-contraception-sexualites.org/gisele-halimi-portrait-dune-avocate-qui-ne-se-resignait-pas/
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Gisèle Halimi avec l'actrice Delphine Seyrig lors du procès de Marie-Claire Chevalier le 11 octobre 1972 à Bobigny. Crédit : Michel CLEMENT / AFP |
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Autre portrait détaillé de Gisèle Halimi, où l'on comprend
tout son combat contre l’injustice
Source:https://anomia.fr/4330/gisele-halimi-biographie-engagement-feminisme-avocate-droit-avortement/
A l’heure où la neutralité est jugée préférable dans les métiers du droit, où il faut faire attention aux prises de positions, Gisèle Halimi choisit de porter sa voix, de l’assumer et de se battre pour ce qu’elle est. En effet, pour être avocat, il faut prêter serment.
Longtemps inscrit dans le marbre un devoir d’obéissance, aux lois et de fidélité à l’Etat, jusqu’en 1982, l’avocat s’engage à vivre conformément aux « bonnes mœurs » et à obéir aux pouvoirs institués. Un respect inconditionnel qui dès lors efface toute prise de liberté, toute prise de position, tout engagement.
Pour Gisèle Halimi, qui a prêté serment contre son gré, il y a des lois injustes, qui transmettent idéologiquement le « patriarcat », « la mainmise des possédants », etc. Ce qui s’oppose à l’idée qu’un avocat est censé être neutre ? Puisqu’obéit à un système « inégalitaire ». Il devient dès lors un porte-parole, un défenseur étatique. Fort heureusement, une fois députée à l’Assemblée Nationale, Gisèle Halimi modifie le serment d’avocat en 1982.
Aujourd’hui, nous avons choisi de faire le portrait d’une grande dame, figure emblématique de l’histoire des droits des femmes et plus largement, de l’histoire de la France.
Gisèle Halimi a fait de son métier un moyen de militer. Avocate, féministe, femme politique, son parcours retrace une soif d’égalité et de justice. Ses discours, ses écrits encore d’actualité, inspirent les femmes de tous les horizons. Elle est un modèle.
Un engagement dès le plus jeune âge, une fauteuse de trouble
Gisèle Halimi voit le jour dans la banlieue juive qu’est la Goulette, dans une Tunisie sous protectorat français. Issue d’une famille pauvre et juive et dominée par le patriarcat, elle subit sa condition de fille dès sa naissance. Pendant deux semaines, son père dissimule sa naissance. Considéré comme une catastrophe d’avoir une fille, il refuse d’admettre qu’il en a une, c’est une malédiction.
A 10 ans, elle sait qu’elle sera avocate. D’ailleurs, elle fait une grève de la faim, trois ans plus tard, pour ne plus servir ses frères. Ses parents capitulent.
A cet âge, elle a déjà choisi de défendre, de faire tomber l’injustice. Dès lors, elle déclare « je commençais en tant que victime ». Elle voulut mourir lorsqu’elle comprit qu’être femme symbolisait vivre avec un fardeau, un handicap. Toute cette rage d’injustice, cette soif de connaissance ne renforçaient que sa ténacité.
Dès ses 13 ans, l’éventualité du mariage fait surface. Elle refuse en voulant continuer sa scolarité. Elle veut travailler. Elle veut choisir son destin et ne le laisser entre les mains de personne d’autre.
Passionnée de littérature depuis le plus jeune âge, elle lit en cachette chez elle. Elle prend du plaisir à toucher les livres, à entrer en eux et à s’en imprégner. « Je lisais en cachette, j’avais une boulimie de lecture »
Dans cette soif de savoir, se cache la volonté de comprendre pourquoi son destin est tracé avant même qu’elle n’ait le temps de faire quoi que ce soit, pourquoi sa condition de femme lui est toujours rappelée.
A ces interrogations, sa mère lui répond toujours : « parce que tu es une fille », « mais pourquoi pour eux c’est différent ? » « Parce que ce sont des garçons ».
De quoi laisser la frustration traîner et faire planer l’incompréhension. Il y aurait quelque chose d’inné, dans les genres qui expliquerait le pourquoi du comment. « C’est Dieu qui fait bien les choses ». Eh bien Gisèle ne croit pas en Dieu.
Elle convainc ses parents de continuer ses études. Boursière, ils n’ont pas à sortir un sou, sinon, ils auraient refusé. Ils ne voient pas d’un bon œil le fait qu’elle veuille se cultiver, contrairement à son frère en qui ils basent tous leurs espoirs. En effet, c’est lui qui fera l’honneur de la famille.
« Quand tu seras mariée tu feras ce que tu veux » répétait sans cesse sa mère… Gisèle ne pouvait contrôler ce sentiment d’une profonde injustice qui bouillait en elle. Alors, elle luttait de force contre le destin et devenait une fauteuse de trouble… La connaissance lui apparut comme un pouvoir premier.
Alors qu’elle était destinée à se marier, ne pas étudier et vivre pauvre, elle réussit son baccalauréat et part à Paris à 16 ans poursuivre des études de lettres. Considérée comme anormale, elle fuit sa destinée de femme jusqu’à devenir Avocate en 1949.
Une avocate engagée
La trajectoire de Gisèle Halimi est marquée par la constance et la radicalité. Elle souhaite être en phase avec son exercice d’avocate. En effet, à travers la défense de ses clients, elle souhaite se défendre elle-même. Elle se voit en eux. « Si je ne suis pas d’accord avec les idées que mon client défend, je ne le défendrai pas »
Les premières affaires dans lesquelles elle s’est engagée la touchaient intrinsèquement. Franco-tunisienne, elle a vécu, elle a vu ce qu’était la colonisation. Dès le début, elle se sentait indignée par les lois, les règles qui étaient instaurées.
Une opposition à un système
Elle se met donc à travailler sur des affaires qui la touchent sur le plan personnel. C’est le cas des « évènements » de Tunisie et d’Algérie, des émeutes qui n’étaient pas encore appelées « guerre ». Il y avait un flou permanent qui compliquait l’exercice et permettait une accélération des procès politiques, des condamnations à mort pour montrer que le gouvernement contrôlait toujours la situation.
Ainsi, lorsqu’elle dû défendre les juridictions militaires d’Algérie de Tunisie, elle risquait sa vie. Elle plaidait des causes politiques dites « masculines ». Seuls les hommes avaient la parole pour défendre. D’ailleurs, pour représenter un homme, un peuple, il fallait être homme. On ne pouvait nécessairement pas être femme et parler de torture, de système colonial.
Souvent, Gisèle Halimi perdait un certain temps à être écoutée. Pris d’étonnement, les hommes, en la voyant parler du milieu de la guerre, de la révolution, de la torture, n’en croyaient pas leurs yeux. Plusieurs, fois, on lui dit qu’elle était « faite pour l’amour » et non pas le travail.
Elle continua de subir sa condition de femme : elle dû redoubler d’efforts et gagner en légitimité car personne ne la lui donnerait gratuitement.
Le procès de Djamila Boupacha est le dernier grand procès de la guerre d’Algérie et c’est Gisèle Halimi qui l’incarne.
Si elle avait déjà défendu des femmes et déjà été confrontée aux exactions de l’armée française lors de précédents procès coloniaux, elle n’avait jamais défendu une jeune Algérienne indépendantiste acceptant de parler publiquement du viol qu’elle avait subi par plusieurs parachutistes français. Ici, c’est donc bien cette configuration particulière où chaque engagement de l’une rencontre les combats et les expériences de l’autre (l’avocate et l’accusée, l’anticolonialiste et la combattante pour l’indépendance de son pays, et enfin « l’intellectuelle féministe » et la femme violée), qui donne lieu à la médiatisation de la seule affaire de viol de la guerre. Gisèle s’identifie en Djamila.
Elle consacre 8 ans à la cause de l’indépendance algérienne. A travers ces procès, c’était le procès de la France qui avait lieu. Comment une femme pouvait se retrouver dans une affaire dans laquelle il y avait autant d’impacts ?
Une défense contre la loi
Gisèle Halimi définit le féminisme comme «la lutte la plus globale, la plus totale, la plus révolutionnaire pour les femmes comme pour les hommes […]c’est une vue globale de toutes les oppressions, d’argent, de hiérarchie. La femme possède ce terrible privilège de toutes les oppressions : celle de sa classe et de son sexe »
Une lutte pour l’avortement.
« Je préfère être l’opprimée que l’oppresseur » . Elle a toujours été fière d’être une femme. Pour elle, les hommes avaient l’angoisse que les femmes soient les égales des hommes car le rapport de domination qu’ils instauraient serait dès lors démantelé.
La maternité n’est pas un destin ou une fatalité physiologique. La femme ne peut pas être enfermée dans ce carcan. Elle doit avoir le choix de se réaliser autrement, comme c’est le cas pour les hommes.
Gisèle Halimi a elle-même eu recours à des avortements clandestins.
Le procès de Bobigny
En octobre 1972, à Bobigny, Marie-Claire Chevalier est jugée pour avoir fait le choix d’avorter avec le soutien de sa mère à la suite d’un viol à 17 ans. Elle fait appel à Gisèle Halimi, déjà fervente féministe. Cette dernière accepte immédiatement.
S’en suivent les procès Bobigny : Après l’acharnement et la ténacité de Gisèle Halimi ; Marie-Claire est relaxée… Parce qu’on a considéré «qu’elle n’avait pas délibérément ni volontairement choisi d’accomplir l’acte qui lui était reproché ». Elle n’aurait pas résisté aux « contraintes morales, sociales et familiales ». Autrement dit, l’avortement n’était pas son choix puisque Mlle Chevalier était inconsciente et influençable. Il reste un crime…
La réelle lutte se jouera donc lors du procès de sa mère, accusée d’être complice du crime. L’affaire devient tout de suite politique et sociétale. L’avocate choisit de faire comparaître des grands témoins : professeurs de médecine, philosophes, hommes politiques : ils n’ont pas de lien direct avec l’affaire mais ils viennent dénoncer publiquement la loi qui réprime l’avortement. [ lien sur le texte complet de sa plaidoierie lors de ce procès historique]