17 avril 2019

TP21 - Wax mania, de Jean-Paul

Jean-Paul, mon infatigable pourvoyeur en mail-art/documentation, m'adresse aujourd'hui une enveloppe garnie sur le tissu Wax . Merci à toi Ursu, pour tes nombreuses recherches sur les tissus du monde et pour tes astuces afin de créer des "timbres à toi" sur des vignettes de la Poste que tu habilles selon le sujet traité! 

Zoom sur le Wax, un matériau pas si africain que cela? Depuis plusieurs décennies, le Wax est fièrement porté par de nombreux hommes et femmes à travers tout le continent africain. Ce tissu, très coloré, s’utilise aussi bien dans le prêt-à-porter que dans la décoration et l’ameublement.

Pourtant, contrairement à ce que l’on pense, le Wax ne tire pas son origine de l’Afrique, mais de l’Indonésie, et plus précisément de l’île de Java. Les colons néerlandais, entre le 15e et le 16e siècle, ont découvert la technique javanaise de conception du tissu (batik) et l’ont largement implanté en Afrique lors des différentes colonisations. Les couleurs chatoyantes et la haute résistance de ce type de tissu ont conquis les populations ethniques durant plusieurs générations, mais il est inexact de penser que le wax est un tissu africain. Il n’est d’ailleurs que très faiblement produit sur le continent africain (moins de 10 % de la production mondiale), mais davantage aux Pays-Bas. Cette production néerlandaise est effectivement majoritairement exportée en Afrique, où jusqu'à 90 % de la production mondiale de Wax est utilisée, d’où la confusion d’origine.


Le Wax est fabriqué grâce à une technique d'impression à la cire (comme le batik indonésien). Deux rouleaux en cuivre gravés aux motifs choisis sont remplis de cire et appliqués sur le tissu. L'étoffe est ensuite trempée dans une teinture avant d'être séchée à l'air libre. Les couleurs finales peuvent être apposées à la main ou grâce à une méthode d'impression par plaques. La fabrication actuelle provient d'une mixité de techniques indonésiennes, africaines et néerlandaises. En résulte un tissu d'une grande qualité assurant une tenue des couleurs exceptionnelle au recto comme au verso.

Dès le 19e siècle, le Wax a été adopté par les femmes africaines qui en ont fait des pagnes d'une grande diversité. Chaque évenement notable était caractérisé par la conception d'un nouveau pagne. Ces tenues comportent une dimension symbolique importante dans la société ouest africaine. Depuis plusieurs années, le wax a fait une entrée tonitruante dans la mode contemporaine et sur le continent européen, une vraie wax mania ! 

Signification des motifs du Wax (extrait d'un article trouvé sur le blog de couture d'USeam) :
Par ses couleurs et ses motifs, le Wax attire les regards et fascine. Au-delà, des motifs reconnaissables (faune, flore, objets de la vie quotidienne, etc.), certains ont un sens, une réelle signification, qui peut parfois changer selon les pays ou les circonstances. Si les premiers motifs sont empruntés au Batik, les industriels européens vont très vite introduire des motifs propres à la culture africaine. Mais c’est véritablement le commerce du wax qui donnera un sens à certains motifs. Enfin, le Wax revêt parfois une dimension sociale, religieuse et politique.

Le Wax, né du Batik indonésien, lui emprunte aussi ses premiers motifs. Les motifs javanais sont, en effet, le socle iconographique des premiers wax. Cette transposition était aisée car ils répondaient déjà aux exigences de la technique.

Même si le Wax s’est enrichi de motifs propres à la culture des peuples d’Afrique, on retrouve encore des traces de l’Indonésie lointaine, notamment dans les motifs géométriques qui rappellent les modèles indonésiens. Les emprunts à ce répertoire originel sont facilement reconnaissables, comme les entrelacs floraux, où il n’est pas besoin d’ajouter d’autres motifs. Les origines indonésiennes se retrouvent aussi dans les mouchetés en tête d’épingles sur le fond. Ils rappellent, en effet, que la technique artisanale du batik consiste à créer une réserve par petits points (« titik » signifiant « point » en javanais). D’autres motifs sont issus d’une véritable hybridation entre Java et l’Afrique. L’exemple le plus emblématique est celui des ailes de Garuda, la monture du dieu Vishnu, le dieu protecteur dans l’hindouisme qui est une des six religions officielles de l’Indonésie. Ce motif a donné lieu à de nombreuses interprétations. Il est le support de projections diverses comme un régime de bananes ou un escargot hors de sa coquille. C’est également le cas pour le motif Shell, dessin datant de 1895 et enregistré par Vlisco. Il reprend les ailes de Garuda sur un fond composé de lignes entrelacées que l’on retrouve dans les batiks indonésiens traditionnels et les motifs récurrents dans les adire aleko du Nigeria. Les adire eleko sont des textiles fabriqués avec une technique qui consiste à réaliser des dessins avec de l’amidon de manioc résistant à la teinture indigo. Ces dessins seront ensuite teints d’un joli bleu clair. La popularité du motif Shell est maintenant centenaire ! Les motifs résultent donc parfois d’une véritable association d’emprunts culturels épars, d’un syncrétisme entre deux cultures différentes. 

Pour faire du Wax une étoffe africaine, les industriels européens se sont inspirés des récits de missionnaires, d’explorateurs ou d’administrateurs présents dans le golfe de Guinée. Au XIXe siècle, en effet, l’empire britannique s’installe dans la Gold Coast. Les Britanniques tissent des liens avec les royautés locales et notamment le souverain des ashantis, population vivant au Ghana et faisant partie du grand groupe des akans. Cette région est riche en or et demandeuse de produits manufacturés. C’est dans les attributs des chefferies que les dessinateurs puisent leur inspiration : sceptres, tabourets, chasse-mouche, dais des dignitaires en forme de parasol. Ces motifs sont encore aujourd’hui reproduits, comme les colliers de perles vénitiennes millefiori (technique de création de mosaïque) qui servaient de monnaie d’échange et paraient les rois akans. Le chasse-mouche est d’ailleurs un classique. C’est un dessin qui connaît une longévité exceptionnelle. Le chasse-mouche en crin de cheval est l’attribut des chefferies akans, d’où son succès en Côte d’Ivoire. Il est fabriqué dans ce pays et appartient au fonds de motifs que Vlisco partage avec sa filiale Uniwax.

Ces objets sont encore identifiables mais certaines transformations donnent lieu à des interprétations erronées. Par exemple, le sceptre a été perçu comme la fusée Apollo dans les années 1960 et est, de nos jours, un tire-bouchon. Au-delà des motifs représentés, on attribue au Wax un ou des noms, ce qui tient à la particularité de son commerce.

Tous les motifs ne sont pas nommés. Avoir un nom est une consécration, c’est un signe de l’engouement des consommateurs. Un même tissu peut avoir plusieurs appellations différentes selon les pays. Le tissu véhicule des messages. Il est l’expression d’un sentiment, d’un engouement ou d’un engagement. Puisque ce sont les femmes qui donnent leur nom au Wax, le domaine de l’amour y est largement représenté.

Le Wax est vendu par des femmes pour des femmes qui sont les principales clientes. Il appartient donc à l’univers féminin. On trouve une multitude d’appellations liées à des situations conjugales et sentimentales. Certaines appellations indiquent une condition familiale. Les subtilités du langage du pagne se transmettent d’ailleurs de génération en génération et l’élégance est une façon de s’exprimer. On y retrouve notamment le sujet de la fidélité et de la polygamie avec par exemple :
« Jalousie » représentant deux oiseaux qui s’affrontent et qui symbolisent les conflits dans les mariages polygames

« Les enfants valent mieux que de l’argent » représente une poule au centre d’une composition entourée de poussins et un coq dont on a seulement la tête. Il s’agit d’une allégorique du pouvoir matriarcal. Ce motif exprime la discorde dans les familles polygames quand une co-épouse n’arrive pas à avoir d’enfant ou qu’une nouvelle épouse n’en a pas encore et ne peut donc pas revendiquer d’avoir donné une progéniture à son mari.
« Si tu sors, je sors » qui montre une cage ouverte d’où sort un oiseau et qui est une mise en garde et un avertissement
« Je cours plus vite que ma rivale » qui représente des chevaux cabrés
« L’œil de ma rivale » représentant des formes oblongues rouges surgissant de courbes hypnotiques
« z’ongles de Madame Thérèse », un pagne graphique symbolisant une femme qui refuse de se soumettre à son mari. Madame Thérèse, première dame de Côte d’Ivoire, aurait juré de défigurer la maîtresse que la rumeur prêtait à son mari, Félix Houphouët-Boigny
« Chérie, ne me tourne pas le dos » dont le nom parle de lui-même.

On évoque aussi la sexualité : 
« Mon mari est capable », sous entendu d’entretenir sa femme et de lui offrir ce dont elle a besoin (et notamment des wax) mais on comprend que l’on parle aussi là de vigueur sexuelle ; a contrario le motif dont nous avons parlé précédemment appelé « Les enfants valent mieux que de l’argent » peut être appelé « Mon mari est incapable » car seule la tête du coq est représenté.
« J’ai toujours envie » qui représente une enveloppe dans un cœur à une époque où l’on écrivait des lettres pour déclarer sa flamme, annonce clairement la couleur.« Les enfants valent mieux que de l’argent » ou « Mon mari est incapable »

Certains motifs évoquent également l’amour inséparable et la famille comme :
« Ton pied, mon pied » qui est un dessin de Vlisco et rappelle une chanson de Sam Mangwana (artiste du Congo). C’est la promesse d’un amour inséparable mais au Bénin, on l’appelle « la main du lépreux ».
« La main et les doigts », souvent appelé « l’union fait la force » signifie travailler ensemble pour réussir et peut s’appliquer au couple. Sur les bords du tissu se trouve une rangée de doigts. Au centre sont représentées des mains, paumes vers le haut et des pièces de monnaie. Les doigts seuls ne peuvent rien sans la globalité d’une main. Seule la main est efficace pour manipuler l’argent.

Au-delà de l’évocation de situations familiales et sentimentales, la place de la femme et les situations auxquelles elles doivent faire face personnellement et intimement sont évoquées. Dans l’imaginaire collectif, l’Afrique est le symbole de la féminité car c’est la terre qui a vu naître l’humanité. Certaines sociétés sont basées sur des structures matriarcales où la mère tient une place primordiale, menant de front vie familiale et vie professionnelle dans laquelle elle réussit. Les pagnes imprimés les mettent en scène dans des situations diverses : dans des champs, des ateliers de couture, des cabinets d’avocats, des pharmacies. Au Mali, par exemple, le pagne est un support de lutte contre l’excision et pour la campagne de vaccinations contre le papillomavirus. La créatrice Eliza Squibb a dessiné un motif où l’appareil génital et le virus sont stylisés. Ce motif est accompagné de slogans comme « je me protège », « je me soigne », « je guéris » et en bambara (une des langues nationales du Mali) « mieux vaut prévenir que guérir ».

La modernité, le progrès technique et le succès (dans une logique de consommation de biens et notamment de biens occidents) sont symbolisés par des objets de la vie quotidienne que l’on convoite: ordinateur, portable, ventilateur, machine à écrire, télévision, gramophone. On ne donne évidemment pas d’autres noms à ces motifs qui parlent d’eux-mêmes. On représente également des moyens de communication : avion, train, moto, voiture, bus, patin à roulettes.

On évoque enfin des comportements ou des habitudes en lien avec la santé, l’hygiène, la scolarisation comme l’alphabet. La religion y est aussi bien sûr, très représentée, les pagnes religieux, leurs images et leurs représentations appartiennent au prosélytisme forcené qui a eu lieu durant la colonisation. La politique et le patriotisme y sont également représentés, le pagne pouvant se faire aussi support de propagande. 

Je ne peux adjoindre de photos, toutes protégées, pour vous montrer tous les motifs du wax décrits ci-dessus, mais cette VIDEO sur leur signification le fait très bien.


et pour terminer cet article, voici un petit jeu : associer le motif (lettre) à sa signification (chiffre)

1) Tu sors je sors: Tu me trompes je te trompes
2) Mari capable ..au lit (l'huitre)
3) Un seul doigt ne lave pas la figure: L’union fait la force
4) Y a des années de malheur
5) L’oeil de ma rivale: A mettre quand je sais que je vais la croiser
6) Tu me plais (Les yeux)
7) Je cours plus vite que ma rivale (Le cheval de saut)
8) Addis Abeba, capitale del'Ethiopie
9) Homme là, ne voit pas dubien: l'homme ne reconnaitpas tout les effortsque fait la femme pour lui
10) Feuille de gombo: Luxueux
11) Langue connait pas du bien: On ne parle que pour dire du mal
12) La famille (la poule)

Réponses en blanc ci-dessous (surlignez ou copiez-coller dans un éditeur de texte):
A.10; B.5; C.8; D11; E.1; F.6; G.2; H.7; I.3; J.9; K.12; L.4

1 commentaire:

Marie a dit…

Bonjour Dentellebleue,
Ton article est fabuleux. J'apprends vraiment quelque chose : j'ai toujours cru que le Wax était un tissu africain et j'ignorais que les motifs avaient des significations. Je vais regarder ceux que j'ai rapportés d'Afrique d'un autre œil. Ceux que j'ai sont notés "made in Nigeria". J'ignorais qu'ils pouvaient être fabriqués aux Pays-Bas. En Afrique de l'Ouest, j'ai vu lors de réunions de certains partis politiques des futurs élus (ou pas) et des sympathisants vêtus de tenues en tissu Wax où le leader du parti avait fait imprimer son effigie.
Lors de mariages, en tout cas à ceux auxquels j'ai assisté, l'homme de la famille (le plus fortuné, cela peut être un frère) doit faire confectionner des tenues pour toutes les femmes de la famille de la mariée (y compris les invitées) dans le même tissu.
Merci pour toutes ces informations, explications, et toutes ces belles couleurs éclatantes. Il est vrai que c'est un bonheur pour les yeux que d'entrer dans une boutique - ou se tenir devant un stand sur un marché - où sont étendus ou superposés des montagnes de tissus colorés. La mesure pour l'acheter est le pagne. Tu peux prendre deux pagnes, un pagne, un demi-pagne, selon tes moyens (un pagne - je suppose que tu le sais déjà - équivaut à environ 6 mètres de longueur linéaire).
Et là-bas, il n'y a pas que les tissus qui sont colorés : ils adorent les seaux et les bassines en plastique. C'est une symphonie de couleurs ! Sans compter que toutes ces couleurs, tu les vois dans un contexte de terre rouge et odorante, et souvent sous un soleil éclatant.
Merci encore pour ton article édifiant. Bonne journée.