4 mars 2024

Disparition de Claude Nougaro il y a aujourd'hui 20 ans

Hommage à Claude Nougaro le motsicien,  poète intemporel

Ses mots amoureux de la langue française, son swing, sa voix, son accent, les musiques du monde qu'il a choisies pour y faire rythmer ses textes aux rimes riches, sa poésie que l'on connait beaucoup moins bien tout comme ses dessins,  tout cela en a fait un homme et un artiste terriblement original qui me manque infiniment. 

Presse 2 © Stan Wiezniak_Universal Music France_GAMMA RAPHO_1

Né en 1929 à Toulouse, ville qui ne cessera de l’habiter, Claude Nougaro fut une des grandes voix des dernières décennies du XXème siècle. Issu d’une famille de musiciens, il découvre très tôt le jazz et la poésie. Le jeune homme part tenter sa chance à Paris et en 1954, ses premières performances sur scène au « Lapin Agile », café-concert de Montmartre, sont très vite remarquées. Dalida lui demande d’ailleurs d’effectuer ses premières parties.

Reconnaissable entre mille à charrier dans sa voix les cailloux de la Garonne, il a produit des dizaines de chansons admirables, écrites avec toute la rudesse de sa plume gasconne et pétries de jazz, de bossa nova ou de funk. «Quatre boules de cuir», «Armstrong », «Toulouse», «Cécile ma fille», «Nougayork», «Le jazz et la java» ou « Tu verras » sont quelques-unes de ces splendides chansons.

Il a avant tout le monde entrepris l’exploration des musiques d’ailleurs livrant des titres chargés de la moiteur des musiques africaines ou de la saveur des rythmes du Brésil. Chez Nougaro, les mots et les notes s’épousent car le swing et la rime, il les a dans la peau ! Cet artiste d’une grande modernité a influencé nombre de chanteurs… et de rappeurs par sa capacité à faire sonner les mots, se disant lui-même « motsicien ». Enseignés dans les écoles certains de ses titres sont des modèles de poésie moderne.

Source : https://www.melo-app.com/notice/claude-nougaro

Crédit photo : Claude Nougaro ©lastfm

 Claude Nougaro : sur l'écran noir de ses nuits blanches...

En cette soirée hivernale de décembre 1954, la neige recouvrait les hauteurs de la Butte. On distinguait à peine les contours de la maison où depuis des lustres Le Lapin Agile tenait ses assises. Quelques rares lueurs, derrière les carreaux, s'efforçaient de percer l'obscurité. Un jeune homme, semblant surgi de nulle part, s'était frayé un passage dans l'allée qui desservait la porte d'entrée. Quittant le comptoir, le fils de la maison vint à sa rencontre, laissons lui le soin de nous conter la suite :

« Bonsoir monsieur, lança le visiteur d'une voix empreinte d'un bel accent toulousain. Je suis Claude Nougaro, le fils de Pierre. Je viens pour vous dire quelques poèmes que j'ai écrits.

– Ah oui, on connaît bien votre père ici. Chaque fois qu'il vient passer la veillée avec nous, on lui demande de chanter Les vieilles de notre pays ne sont pas des vieilles moroses ! Quel plaisir de l'écouter ! Je me présente, Yves Mathieu, mais ici on m'appelle Vivi. Est-ce que vous chantez aussi ?

– Non je ne chante pas du tout...

– Mon beau-père, Paulo, va vous écouter.

Nous montons tous les trois dans la salle. Claude se place devant le rideau rouge et nous récite Pégase. Nous comprenons tout de suite le talent de ce jeune taurillon qui sent encore le lait de vache ainsi qu'il aimait se décrire lui-même dans la fougue de sa jeunesse.

Paulo lui donne sa chance, il devient dès lors un membre de la famille du Lapin ! »

Une amitié sans faille naîtra entre Claude, Paulo, le fils du légendaire Père Frédé, Yvonne Darle sa compagne et son fils Yves, Vivi pour les proches. Ils le logeront même dans une chambre, au-dessus de la salle, pendant ses années de galère.

Yves Mathieu et Claude Nougaro ont à peu près le même âge. Yves, meneur de revue aux Folies-Bergère, le conseille, lui donne de l'assurance et l'aide à vaincre sa timidité envers les femmes. Le résultat ne se fera attendre : il épousera peu après Sylvie, l'hôtesse de ce cabaret mythique, la future maman de Cécile, sa fille.

  Au Lapin Agile, Claude Nougaro réalise des petits tours de chant accompagné par le pianiste Jean-Michel Arnaud. Ces chansons comico-réalistes ont des titres évocateurs : Coupez-les moi au rasoir, Les pantoufles à papa, ou encore La Chanson de Spoutnik... Il partage la scène avec Jean-Roger Caussimon, le Canadien Raymond Lévêque, le chansonnier Jacques Grello, l'interprète de fables Jean-Marc Tennberg, le guitariste Alexandre Lagoya et Ida Presti, sa partenaire, puis tant d'autres…

Avec Jean-Michel Arnaud, Claude se lance dans l'écriture de nombreuses chansons qu'il confie aux vedettes du moment à l'instar d'Odette Laure, de Lucette Raillat, Philippe Clay et Marcel Amont. C'est ainsi que notre « Mot-sicien », selon sa formule, se trouva baigné en ce lieu envoûtant où résonnent encore aujourd'hui les vibrations des voix d'Aristide Bruant, de Dorgelès, Carco, Mac Orlan, Apollinaire, Picasso… Il surnomme alors Le Lapin Agile « Coffre-fort de l'éternité » :

« Là, dira-t-il, je fus heureux d'entendre s'égrener des chansons admirables, poétiques, touchantes pures et vraies. »

En ce début des années cinquante, les cabarets montmartrois redoublent d'activité. La plupart des futures « têtes d'affiche » des grands music-hall sont déjà présentes. Claude entre dans la danse. Chez Patachou il se produit en compagnie de Jacques Brel, Guy Béart et Georges Brassens. L'auteur du Gorille devient son mentor. Il lui dédie un sonnet 

(...) Là bas, au sel, à Sète aux salives de marbre
De la mer oui, toujours, toujours recommencée
Tu naquis d'un maçon certainement pas glabre
Et travaillas bientôt ta guitare à penser (...)

Un soir, le patron des Trois-Baudets, Jacques Canetti, qui est également directeur artistique chez Philips, découvre Claude : il va prendre en main son début de carrière. C'est aussi le temps où il décroche l'examen d'entrée à la SACEM et rencontre Michel Legrand avec lequel il collaborera fructueusement.

 Cet épisode montmartrois s'inscrit à merveille dans l'histoire de sa vie, de son attachement au monde de la musique et de la poésie, dont les premières lignes se sont écrites le 9 septembre 1929, jour de sa naissance à Toulouse. Avec un père chanteur lyrique au Capitole, bientôt baryton à l'Opéra de Paris, et une mère professeur de piano, comment aurait-il pu échapper à sa destinée?

Mais malheureusement, la vie d'artiste n'est guère compatible avec la vie de famille... Très souvent en tournée, ses parents sont amenés à le confier à ses grands-parents toulousains et à des établissements scolaires dont il sera pensionnaire. Il se réfugie dans les livres qui deviendront dorénavant ses seuls véritables amis. Grâce à Baudelaire, Hugo, Verlaine, Cocteau, il apprend à jongler avec les mots, « à les frotter comme des petits cailloux pour en faire jaillir des étincelles », dira-t-il, et durant les vacances, à l'écoute du poste de TSF de son grand-père, il élargit son spectre musical en découvrant Louis Armstrong, Bessie Smith, Charles Trenet, Édith Piaf, Glenn Miller...

La tête dans les étoiles, il couvre ses cahiers d'écolier de poèmes, négligeant les autres matières . Il rate son bac, qu'importe ! Il se débrouille, devient apprenti journaliste et réussit à signer quelques piges dans L'Echo d'Alger, La Dépêche de Constantine sans oublier Le Journal des Curistes de Vichy !

En 1949 il devance l'appel et part effectuer son service militaire au Maroc, à Rabat, d'une durée de dix-huit mois dont dix au cachot ! Il profite de cet isolement pour parfaire ses articles de presse... Dès sa libération il rejoint son père nommé baryton à l'Opéra Garnier et s'installe avec lui à Saint-Germain-des-Prés.

C'est le temps de l'insouciance, de l'existentialisme prôné par Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, où, entre Le Café de Flore et Les Deux-Magots se détachent les silhouettes de Boris Vian, Prévert, Queneau, Juliette Greco et des jazzmen dont Sidney Bechet et Miles Davies.

C'est d'ailleurs aux Deux-Magots que Claude va rencontrer l'écrivain, poète, dramaturge Jacques Audiberti qui deviendra son « père spirituel ». Il l'hébergera par intermittence, et lui rendra hommage en 1965 avec sa Chanson pour le Maçon. « Le texte de cette chanson, confiera sa dernière épouse Hélène Nougaro au journal La Dépêche, nous ramène à nous-même. Claude raconte sa quête vers le public tout en voulant rester un marginal qui privilégie les paroles complexes. C'est tellement travaillé qu'on peut l'écouter des dizaines de fois et en découvrir encore aujourd'hui un sens différent. »

En 1958, Claude fait la connaissance du pianiste Maurice Vander. Les deux compères ne se quitteront plus. L'année suivante, il gravera son premier album. Henri Salvador, en signant un texte de présentation au verso de la pochette, en est le premier parrain musical. Mais le titre « phare » de ces enregistrements, Il y avait une ville, évoque les conséquences dramatiques de la guerre atomique et effraie le public. Le disque est un échec.

En revanche, en 1962 avec son second 25 cm, arrangé par Michel Legrand, le succès est au rendez-vous. L'une des chansons, Une petite Fille, sur une musique de Jacques Datin, devient le tube de l'été. Elle est dédiée à Sylvie, la maman de Cécile. Au cours de son interprétation Claude lance un cri déchirant « Attends-moi ! » comme un sanglot inspiré par le film de Marcel Pagnol Manon des sources quand Ugolin se précipite à la suite de Manon.

Dans ce disque, Claude Nougaro passe en revue ses thèmes favoris : celui de la femme tantôt ange, tantôt démon, avec Les Don Juan et Le Cinéma


Sur l'écran noir de mes nuits blanches
Moi je me fais du cinéma
Sans pognon et sans caméra
Bardot peut partir en vacances
Ma vedette c'est toujours toi (...)

 Il évoque aussi le métissage musical avec Le Jazz et la Java tandis que la ségrégation raciale explose dans le sud des États-Unis. Il y oppose avec adresse le jazz des afro-américains à la java, danse populaire de bal musette de l'ancienne génération, se plaçant ainsi à mi-chemin entre Piaf et Armstrong. Il y ajoute sur une musique de Jacques Datin une émouvante ballade consacrée à Cécile, sa fille, qui venait de naître.

Comme pour exorciser son addiction à l'alcool, il décide de se mettre en scène dans une composition humoristique, avec une bande de copains éméchés se présentant ensemble sous les fenêtres d'une certaine Marie-Christine qu'il espère reconquérir malgré son état, en lui chantant en guise d'aubade :


Je suis sous, sous, sous, sous ton balcon
Comme Roméo, oh! oh ! Marie-Christine !
Je reviens comme l'assassin sur les lieux de son crime
Mais notre amour n'est pas mort, hein dis-moi que non (...)
Je suis bourré, bourré, bourré de bonnes intentionS
J'ai trouvé du boulot, oh Marie-Christine
C'est sérieux, j'ai balancé mon dictionnaire de rimes
Je n'écris plus de chansons, non j'travaille pour de bon (...)

Cette chanson sera également interprétée par un des artistes les plus insolites et talentueux du temps dont le long visage émacié, la silhouette interminable et l'allure dégingandée firent longtemps les beaux soirs des cabarets : Philippe Clay.

 Hélène Nougaro dira bien après, à propos de ce mauvais penchant de Claude :

« Il parlait volontiers de ses tendances autodestructrices. Ces moments n'étaient certes pas très drôles, mais ils étaient ponctuels. Avec l'alcool, on cherche à soigner une maladie de l'âme, on essaie d'oublier, de s'anesthésier les neurones. Ce n'était pas un alcoolique il était noir. Et puis quand il sortait pour aller vers l'autre, il avait besoin de se désinhiber. Claude était terriblement timide. »

Avec le déferlement des nouvelles idoles de la chanson des années 60, certains artistes disparurent des scènes parisiennes emportant avec eux des courants de qualité comme le style « Rive Gauche » de l'après-guerre, bien malmené alors. Lui, bien au contraire, continue de susciter de plus en plus de suffrages auprès des jeunes épris de rock 'n' roll, avec ce jazz qu'il aime remettre au goût du jour, musique puisée aux mêmes racines. Ils viendront le soutenir et l'applaudir à l'Olympia en 1963 en vedette américaine de Dalida, son amie montmartroise installée 11bis rue d'Orchampt. Ils partiront d'ailleurs en tournée ensemble avec ce spectacle à travers la France peu après.

Pour l'organiste Eddy Louiss, il compose C'est Eddy, puis il tombe sous le charme de la musique brésilienne. Il adapte en 1966 le succès de Baden-Powell Berimbau, nom à l'origine d'un instrument monocorde, sorte d'arc que l'artiste fait vibrer et résonner. Il en fait Bidonville où il évoque ces abris, baraques de fortune où s'entassent des malheureux. En même temps il écrit L'Amour sorcier qu'il enregistre en 1967, année où il rencontre Odette, jeune femme d'origine arménienne avec laquelle il aura deux filles, Fanny en 1969 et Théa en 1973. L'année 1967 sera aussi celle où il livrera l'un de ses plus grands succès : Toulouse, superbe hommage à sa ville natale :


Qu'il est loin mon pays, qu'il est loin
Parfois au fond de moi se ranime
L'eau verte du Canal du Midi
Et la brique rouge des Minimes
Ô mon paîs, ô Toulouse, ô Toulouse
Je reprends l'avenue vers l'école
Mon cartable est bourré de coups de poings (...)

La mélodie de cette œuvre repose sur les notes émises par le carillon de l'église des Minimes de son enfance.

Une autre anecdote se rattache à sa création : lorsqu'il vivait chez ses grands-parents, il avait tendance à projeter sur cette ville les longs moments de tristesse, de chagrin, de solitude qu'il ressentait. Il voulait s'en évader et la rendait responsable de ses états d'âme. C'est pourquoi la première version débutait ainsi "Ô Toulouse,Toi qu'on nomme la ville rose, Le rose me rend morose.."mais finalement, conseillé par ses proches, Claude préfèra offrir à sa ville un texte plus chaleureux.

En mai 68, Paris s'enflamme. Des barricades s'élèvent, les pavés s'envolent, les étudiants couvrent les murs d'affiches… Une grève massive s'ensuit paralysant la France. Les événements lui suggèrent Paris Mai, sorte de soutien à la jeunesse en révolte que la censure va juger subversive. Elle sera interdite d'antenne, bien qu'étant davantage un manifeste esthétique qu'un appel à la révolution… Il retourne alors aux racines de la musique noire en adaptant le gospel Go down Moses, chant inspiré de l'Ancien Testament entonné par les esclaves qui voulaient rompre avec leur existence de soumission et de misère. Claude Nougaro le transforme en hommage au trompettiste Louis Armstrong, avec des arrangements de Maurice Vander. Amstrong je ne suis pas noir devient un symbole intemporel contre le racisme.

Il s'interroge, se cherche, mêle sa passion du verbe à la mélodie. Dans son esprit Musset cohabite avec Slide Hampton. Le « croque-notes » se met à l'écoute des rythmes planétaires. Il ovationne la musique africaine en écrivant Locomotive d'or :


Locomotive d'or, aussi riche en pistons,
Aussi chargée d'essieux que de siècles un sépulcre,
Locomotive d'or, croqueuse d'un charbon
Plus fruité, plus juteux que l'est la canne à sucre
Locomotive d'or,
Sans un soupçon de suie, sans une ombre de lucre
Tu me fais visiter tes Congos, tes Gabons,
Tes Oubangui-Chari et tes Côte d'Ivoire
Où de blancs éléphants m'aspergeaient de mémoire
Locomotive d'or. (...)

Il renoue avec Baden-Powell, chante avec lui, traduit la chanson de Gilberto Gil Viramundo (globe-trotter en portugais) qui raconte le périple de Gilberto dans l'hémisphère sud, fréquente les maîtres du jazz américain Thelonius Monk et Quincy Jones, explore de nouvelles formes d'expression. Claude a compris depuis longtemps que la transmission des émotions universelles passe par la chanson, par l'oralité. Une jeune femme ne le laisse pas indifférent. Elle se prénomme Marcia, c'est une Brésilienne divorcée de Baden-Powell. Un fils, Pablo, naîtra de leur union en 1977. Sa venue au monde inspire notre poète :


(...) Il n'y a pas eu d'ombre au tableau
Mais une lumière ô Pablo
Pablo Pablo Pablo Pablo
Et ma dulcinée de Rio
Riait en voyant tes grelots
Pablo Pablo
Mais tu te radines un peu trop tôt
Te v'là dans une cabine Apollo
Avec des tuyaux (...)

En 1977, à l' Olympia, Claude Nougaro propose un spectacle original et novateur : deux poèmes fantastiques Plume d'Ange et Victor avec en arrière-plan une projection de diapositives représentant les œuvres du peintre Daniel Estrade. Le public a du mal à suivre. Les producteurs aussi... Ses recherches constantes surprennent un peu trop !

Il revient au début des années 80 à plus de sobriété, abandonne les grandes formations et revisite son répertoire. Les concerts dorénavant regroupent uniquement trois musiciens : le batteur Bernard Lubat, le contrebassiste Pierre Michelot et son fidèle pianiste Maurice Vander : c'est le Nougaro Trio. C'est au cours d'une tournée à l'île de La Réunion, qu'il fera la connaissance d'Hélène, jeune kinésithérapeute qui l'accompagnera jusqu'en 2004.

L'accueil, malgré tout, reste mitigé. Il se sent ostracisé. Ses ventes de disques régressent et en 1986, la firme Barclay où il enregistre depuis dix ans ne souhaite plus renouveler son contrat et l'exclut de son catalogue.

Claude Nougaro encaisse le coup...« Quand on est dans la cage du ring, pour atteindre la déesse de pierre, il n'est qu'une manière, Boxe, Boxe, il faut être vainqueur ! » comme il le chante dans Quatre Boules de cuir.

Il réagit, vend sa maison de l'avenue Junot à Montmartre et, sans label, met le cap sur New York. Son producteur Mick Lanaro lui conseille de rencontrer un jeune Français passionné par les claviers électroniques, Philippe Saisse, à Manhattan. Reconverti au binaire, il parachève avec ce musicien l'album NougaYork où fleurissent des mélodies attachantes, des paroles exquises, des jeux de mots dont il a le secret. Il est accompagné d'exceptionnels artistes comme Rodgers et Marcus Miller. Cet opus sera récompensé en 1988 par « Les Victoires de la Musique  du meilleur album et du meilleur artiste interprète ».

«Avec cet album, déclarera la chanteuse Maurane, Claude a fait la nique à tout le monde et surtout à son ancien label Barclay qui lui avait rendu son contrat. C'est un succès qui lui a permis de se faire connaître d'une génération plus jeune, qui lui a rendu la place qu'il méritait. »

Avant de quitter l'Amérique en 1988, il va graver à Los Angeles Pacifique, ensemble d'œuvres plus sensibles en phase avec les couleurs musicales californiennes du moment dont Toi là-haut, chanson dédiée à son père décédé la même année.

De retour en France, il renoue avec sa première maison de disques Philips, s'accoquine à nouveau avec son vieux complice Maurice Vander, le retrouve en duo avec Une voix, dix doigts, double album live enregistré à l'Odyssud de Blagnac en septembre 1991

Deux ans plus tard, sous forme de testament musical, Claude réalise Chansongs, son album « arlequin » où il fait la synthèse de tous les styles qui l'enthousiasment.

En 1997 avec L'Enfant phare, il retourne à ses premières amours : les rythmes latinos et le jazz.

En janvier 2000, attiré par toutes les musiques du monde, au tournant du nouveau siècle, Claude Nougaro nous livre ses dernières œuvres réunies sous le titre Embarquement immédiat avec le concours d'Yvan Cassar. Une dernière fois, il nous emporte dans un voyage musical autour de la Terre, soutenu par un big band tonitruant où éblouissent, tels de véritables joyaux, ses poèmes en harmonie avec les aspects radieux ou tragiques de sa vie.

 Affaibli par ce surcroît d'activité, il se rend à Quiberon pour profiter des bienfaits d'une cure thermale. La presqu'île l'inspire. Il envoie à Hélène une carte postale enrichie d'un superbe poème :

« Je ne savais pas que cette très belle carte allait devenir une chanson, racontera-t-elle plus tard. Quand ce fut le cas, je fus émue, évidemment. Mais à partir du moment où c'est une chanson, ce n'est presque plus moi. Ce chant d'amour appartient à toutes les femmes... ». Claude l'intitulera L'île Hélène :


Assis sur un banc devant l'océan
Devant l'océan égal à lui-même
Un homme pensif se masse les tifs
Interrogatif, à quoi pense-t-il ?
À quoi pense-t-il, livré à lui-même ?
Il pense à son île
Son île Hélène
Est-ce que l'île l'aime ? (...)

Hypersensible, l'artiste se rend compte que ses forces se dérobent de plus en plus. Qu'importe. Il trouve en 2002 le courage de se produire dans toute la France avec un spectacle parlé, Les Fables de ma fontaine, et de préparer sous le label « Jazz Blue Note Record » son dernier opus, La Note Bleue, entre 2003 et 2004, année où malheureusement rattrapé par la longue maladie dont il souffre, il disparaît. C'est le 4 mars que s'éteint l'écran de sa vie en sa résidence parisienne rue Saint-Julien-le-Pauvre.

Lors de ses obsèques à Toulouse le carillon de la basilique Saint-Sernin fera tinter les notes de sa chanson Toulouse et ses cendres iront se disperser dans les eaux de la Garonne, sa première source d'inspiration.

En apprenant l'hommage que Montmartre en Revue s'apprêtait à rendre à notre poète, Hélène Nougaro, qui préside l'association Claude Nougaro, accepta de nous communiquer l'émouvante lettre de Guy Béart qu'elle reçut le lendemain de son départ. En voici quelques lignes :

 « Mon cher Claude, Ta disparition physique me blesse profondément. Voilà presque un demi-siècle que j'ai le bonheur de te connaître. Je me souviens avoir été saisi pour la première fois alors que nous étions tous les deux chez Philips par ta présence puissante et fougueuse, tes mots martelés à la diction parfaite, ta musique dès le début actuelle et originale. Puis je t'ai suivi grâce à tes créations et tes apparitions toujours singulières et fortes.

Ta stature, ta langue au jus de treille, des rythmes, tes chansons, ont fait de toi un de ces hommes rares, libre debout, libéré de toutes entraves. J'ai chanté dans L'Espérance folle :


La mort c'est une blague
La même vague
Nous baigne toujours

mais c'est une blague qui fait de la peine aux tiens, à tes amis, à ceux qui t'estiment, à ceux que tu enchantes et enchanteras, à ceux qui t'aiment. Et ils sont si nombreux ! Que de Petites filles seront en pleurs. Et des grandes. Mais tu leur courras toujours après.  Je prie le Seigneur pour qu'il t'accueille de façon lumineuse, ensoleillée, aussi joliment que tu savais nous accueillir. »

Tout en portant à ma connaissance ce vibrant et poignant témoignage, Hélène, à la manière d'une chanson de Claude, me conta une anecdote singulière, hors du temps, énoncée avec son bel accent toulousain :

« Je vis, me dit-elle, entre l'église Saint-Séverin et celle de Saint-Julien-le-Pauvre, à deux pas de Notre-Dame, cernée par Dieu selon l'expression de Claude. Depuis près de cinq ans, lors de mes promenades, une magnifique corneille toute noire jusqu'aux pattes m'apparaît. Le rituel est toujours le même. Elle décrit au-dessus de moi un arc de cercle, déploie ses ailes, vient se poser et me regarde. J'ai l'impression qu'à travers ce passereau étonnant, Claude me fait signe. Elle reste un long moment à m'observer et repart vers l'un de ses refuges.

J'ai photographié cette corneille de nombreuses fois comme vous pouvez l'imaginer. Or récemment, en classant ces clichés, quelle ne fut pas ma surprise de voir une ancienne photo de Claude se placer comme par enchantement entre deux pauses de cette porteuse d'espérance... »

En prêtant l'oreille à cette belle « fable de sa fontaine », une phrase de René Char me revient en mémoire : « Au plus fort de l'orage il y a toujours un oiseau pour nous rassurer : c'est l'oiseau inconnu, il chante avant de s'envoler... »

 Oiseau, bel oiseau inconnu mais familier, messager de l'âme du poète qui n'a pas disparu...

En nous quittant, ce troubadour venu enchanter le pays des trouvères nous a laissé telles des poussières d'étoiles des chansons devenues aujourd'hui intemporelles. Régulièrement les hommages se multiplient autour de sa mémoire. Un des plus beaux a été conçu par Cécile, sa fille aînée si joliment chansonnée. Depuis septembre 2019, elle a créé à Toulouse la « Maison Nougaro », lieu de vie consacré à son père, sur une péniche amarrée sur le Canal du Midi. Elle abrite une scène où l'on écoute des concerts intimistes, on y découvre une exposition des croquis et tableaux de son père ainsi qu'un bar-restaurant où le visiteur est convié à déguster le fameux « ragoût-nougaresque » !

Nul doute que l'auteur de L'Amour sorcier prend un malin plaisir à venir hanter ce lieu si original...

Source : Gérard Letailleur -Les éditions d’Art de Trianon de Versailles.

***
Merci à toi l'Artiste, toujours tellement présent dans nos vies!

Claude Nougaro le 23 février 1983 au Palais des sports de Toulouse (JP Muller/ AFP)

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