C'est décidément une année terrible et un très triste mois de mai que nous vivons là avec la perte de tant d'artistes dont le talent dans des registres variés ont fait rayonner la culture française.
Ce 28 mai nous apprenions la disparition de Guy Bedos, comédien et humoriste à son tour, nous quittait, nous laissant orphelin une fois de plus.
Simon, le médecin hypocondriaque, irresistible dans le film d'Yves Robert : Un éléphant ça trompe énormément |
En duo, avec sa femme et partenaire, Sophie Daumier, dans les années 1970 |
C'est surtout l'humoriste politique vachard, n'épargnant personne, ni à gauche ni à droite qui restera dans les mémoires, mais il était tellement plus que cela. Pour moi, je retiendrai surtout l'homme, à l'enfance brisée, qui a été sa vie entière constant dans ses engagements personnels, luttant inlassablement contre le racisme et l'antisémitisme, pour les droits des Sans Papiers et pour le Droit au Logement.
Reposes en paix l'ami! rejoins vite tes meilleurs potes Desproges et Dabadie, au paradis!
Guy , avec son fils Nicolas. |
Diffusée ce jour sur Franc Inter, voici la très belle lettre d'intérieur rédigée par Nicolas Bedos : les adieux d'un fils à son père aimé, magnifique.
Papa,
Une dernière nuit près de toi. Des bougies, un peu de whisky, ta main si fine et féminine qui serre la mienne jusqu'au p'tit jour du dernier jour. Ton regard enfantin qui désarme un peu plus le gamin que j'redeviens. Au-dessus de ton lit, un bordel de photos, de Jean-Loup Dabadie à Gisèle Halimi, de Desproges à Camus en passant par Guitry. Ça ne votait pas pareil, ça ne priait pas les mêmes fantômes, mais vous marchiez groupés dans le sens de l'humour et de l'amour.
Au bout de tes jambes qui ne marchent plus, tes chats – sereins, comme des gardiens. Sur la table de nuit, un fond de verre de Coca, ultime lien entre ce monde et toi, quelques gorgées de force qui te permettent, du fin fond de ta faiblesse, de nous lancer des gestes d'une élégance et d'une tendresse insolentes.
Fâché de ne plus pouvoir parler, tu envoies des baisers muets à ta femme adorée, à ta fille bien aimée, à la fenêtre sur l'Île Saint Louis, au soleil que tu fuis. Des gestes silencieux qui font un boucan merveilleux dans nos yeux malheureux. Tu auras mélangé les vacheries et l'amour jusqu'au baisser de rideau. Les « foutez l'camp » et les « je t'aime ». Caresses et gifles, jusqu'au bout. Incorrigible Cabotin, tu avais bien prévu ton coup : dans ton dernier morceau d' mémoire, tu avais mis des « vous êtes beaux, je suis heureux, j'ai de la chance. C'est ta mère, là, devant moi ? C'est ma femme ? Oh Tant mieux ! ».
On va t'emmener, maintenant, dans ton costume de scène. Celui des sketches et des revues de presse, des télés et des radios, celui qui arpenta la France, en long en large et en travers de la gorge de certains maires. J'ai dénoué ta cravate noire. On va t'emmener où tu voulais, c'est toi qui dictes le programme, c'est toi qui conduis sans permis. D'abord à l'église Saint-Germain, tu n'étais pas très pote avec les religions, mais les églises, ça t'emballait. Tu disais « Faudrait qu'on puisse les louer pour des spectacles de music-hall, des projections de films, des concerts de poésies ». Il y aura des athées, plein d'arabes et plein de juifs. Ça aurait consterné ta mère, tu aurais bien aimé que ta mère soit fâchée.
Puis on t'envole en Corse, dans ce village qui te rendait un peu ta Méditerranée d'Alger. On va chanter avec Izia et les Tao, du Higelin, du Trenet, du Dabadie et Nougaro. On va t'faire des violons, du mélodrame a capella : faut pas mégoter son chagrin, à la sortie d'un comédien. Faut se lâcher sur les bravos et occuper chaque strapontin. C'est leur magot, c'est ton butin. D'autant que je sens que tu n'es pas loin... Tu n'es pas mort : tu dors enfin.»
1 commentaire:
Le titre de ton article et la lettre du fils à son père sont tout à fait dans le ton du personnage .
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