Un regard incisif et curieux de tout.
La Cinémathèque française, à Paris, va rendre hommage à l'acteur et producteur en diffusant plus d'une trentaine de ses films. L'occasion de revenir en images, avec lui, au fil des souvenirs, sur un parcours aussi exceptionnel qu'atypique.
Pas le genre à se pommader l'ego parce qu'un hommage, fût-il flatteur et apprécié, lui est rendu à la cinémathèque de Paris. C'est avec un détachement aimable, une satisfaction discrète, que Jacques Perrin évoque la rétrospective présentée rue de Bercy, à partir du 27 avril. À presque 70 printemps, cet éternel élève de la vie l'assure: il est encore dans ses universités. «Il faut que je continue les cours, car je ne sais pas suffisamment. Mon parcours est en suspens... Je dois encore prolonger la trajectoire!» Une trajectoire hors normes. De celles qui ne se tracent pas d'un seul trait de règle, mais convoque le compas d'une curiosité à la pointe toujours aiguisée. Élargir en permanence le cercle de ses rencontres, cerner de nouveaux univers à appréhender, jouer sur tous les plans pour y arriver...
Mieux qu'un long discours, les trente-sept films diffusés jusqu'au 30 mai illustrent fidèlement ce double profil qu'offre l'acteur devenu très jeune, à 27 ans, producteur puis réalisateur. Pas de titres particuliers sur sa carte de visite. Juste le plaisir récurrent de mener avec un même enthousiasme différentes aventures, que ce soit devant ou derrière la caméra. Une carrière d'un demi-siècle n'empêche pas Perrin, le comédien, de continuer à aimer jouer pour «s'évader, s'évanouir des choses et se retrouver confronté à un spectre de situations, de sentiments auxquels la vie vous expose rarement».
Idem pour ses reponsabilités de producteur. Plus de quarante ans après avoir créé sa société -Reggane Films devenue Galatée Films-, il n'en finit pas de réunir des moyens et de solidariser des talents pour soutenir les projets qui titillent son intérêt. De Z à aujourd'hui, rien n'a vraiment changé. Il reste l'avocat des sujets qui mettent en avant des convictions, une réflexion, une cause aussi démesurée soit-elle. «Je ne suis pas un producteur professionnel, précise-t-il, mais un chargé de mission, par lui-même, qui enfile le costume quand ça en vaut la peine!» Seule la passion anime ce missionnaire chimérique, ce bourlingueur au profil de marin toujours prêt à guetter les événements, à vanter les beautés d'une nature poétique et sublimée. Dès qu'un nouveau cap Horn se trouve à portée de foc, il cornaque l'équipage et s'efforce de tenir la barre jusqu'à destination. C'est au milieu des autres, entre ciel et mer, que Jacques Perrin a trouvé son cinema paradiso. Qui l'a aidé à s'accomplir? Qui l'a révélé à lui-même? Ce grand timide a accepté de revenir sur son passé et d'évoquer, au fil des époques, les réalisateurs qui lui ont permis d'être ce qu'il est devenu: un homme de cinéma accompli.
L'époque où Valerio Zurlini lui a donné sa première leçon de cinéma.
Avec Claudia Cardinale dans «La Fille à la valise».
1961. Jacques Perrin vient de terminer ses gammes au Conservatoire lorsque Valerio Zurlini le repère sur la scène du théâtre Edouard VII où il joue, avec Sami Frey, L'Année du bac, une pièce mise en scène par Yves Robert. Quelques essais à Rome avec Claudia Cardinale achèvent de convaincre le réalisateur italien : le blondinet de 19 ans sera le Lorenzo de La Fille à la valise. Une émotion restée intacte : «Valerio Zurlini savait filmer les sentiments lorsqu'ils s'animent... L'élan amoureux qui vous conduit à marcher autrement, la conviction ou la rage qui enflamme votre regard! Il savait nous mettre en condition, préparer le cadre romanesque et affectueux pour que l'on trouve au mieux l'expression juste. C'était un ancien professeur d'histoire de la peinture. Grâce à lui, j'ai découvert l'école de la Renaissance italienne, un humanisme que j'ai poursuivi en Toscane avec Masaccio, Piero della Francesca ou Andrea Mantegna. Leur peinture marquait l'apparition fracassante du modelé humain. Avec Zurlini, c'est l'évidence du sentiment qui s'imposait. Il faut savoir approcher l'âme et bien connaître l'être humain pour réussir à en saisir, comme lui, la force et l'intensité.»
L'époque où Pierre Schoendoerffer lui a ouvert la voie de l'infini questionnement.
Dans la «317e Section». |
crédit photo DR - Site Breiz info.com |
1965. C'est après l'avoir vu dans Journal intime que Pierre Schoendoerffer engage le jeune acteur pour rejoindre le corps expéditionnaire de La 317e Section. Les deux hommes tourneront quatre films ensemble: Le Crabe-Tambour (1977), L'Honneur d'un capitaine (1982) et Là-haut (2002), mais c'est le tournage qui a pour cadre la guerre d'Indochine qui marquera durablement Jacques Perrin. En 2002, il réalise avec Eric Deroo L'Empire du milieu du Sud -dont le DVD vient de sortir aux éditions Montparnasse. Ce qu'il avait découvert dans la jungle se confirme dans les propos de Musset: «C'est tout un monde que chacun porte en lui.» Ce monde-là, qui naît et qui meurt en silence, le comédien puis le producteur ne vont avoir de cesse d'en dévoiler les replis et les compartiments secrets. «Difficile d'évoquer Pierre Schoendoerffer en quelques mots. De mon parcours avec lui, je pourrais écrire une chronique ou un journal de bord. Il y serait question d'un voyage vers les autres où l'on finit surtout par se rencontrer soi-même, dans des zones de mystère. Avec l'Indochine, Schoendoerffer remarchait sur ses traces, et quelles traces! Je l'ai vu aller au bout de sa démarche, attraper la dysenterie, tomber malade... Tout ça, pour chercher à comprendre et comprendre encore. Pourquoi cette guerre? Pourquoi ces combats? A cette dérive volontaire du questionnement, il n'y a pas forcément de réponse, mais d'une certaine façon La 317e Section montrait que la guerre se déroule surtout entre le soldat et lui-même. On n'a jamais parlé de l'Empire français ou de l'esprit colonial... La plupart de ces jeunes partaient pour l'exotisme de l'ailleurs, pour se révéler en se frottant à quelque chose d'exaltant et de dangereux: le chemin de l'aventure et celui du destin inéluctable... La mort. Dès cette époque, j'ai compris que l'ailleurs n'existait pas. Quand on est très loin, on chemine un peu plus déboussolé, mais on trimbale toujours la même carcasse. Ce qui m'intéresse vraiment, c'est le voyage que l'on fait auprès des autres ici ou au bout du monde.»
L'époque où Jacques Demy lui a montré que le cinéma pouvait révéler des mondes insoupçonnés.
Dans «Les Demoiselles de Rochefort». 1967. Pourquoi lui? Jacques Perrin se le demande encore. Il ne savait ni chanter ni danser. La Nouvelle Vague le boudait, et pourtant. D'un Jacques l'autre, Demy a su trouver sur le visage du comédien l'expression pure du M. Maxence des Demoiselles de Rochefort (1967), puis, plus tard le romantisme sans mièvrerie du prince charmant de Catherine Deneuve dans Peau d'âne (1971). Deux parenthèses enchantées comme l'on en vit rarement. «Que Jacques Demy me sollicite fut une vraie surprise. J'étais très loin de la Nouvelle Vague, pas pour des raisons politiques ou par volonté de défendre un autre cinéma, mais je n'y correspondais pas. Lui en faisait partie, mais il était différent, décalé! Son premier film, Lola, annonçait déjà son goût pour la comédie musicale. C'était un homme immensément créatif qui poursuivait une sorte de fantaisie d'existence, un imaginaire très personnel. Même sur un tournage, il avait ce côté toujours flottant, entre deux nuages... Ce qui ne l'empêchait pas de tout maîtriser parfaitement. Son exigence se doublait d'une telle gentillesse qu'on n'avait pas l'impression de travailler. Il répandait sur tous les acteurs et toute l'équipe technique une sorte de grâce qui faisait qu'on ne touchait pas tout à fait le sol. Que ce soit pour Les Demoiselles de Rochefort ou Peau d'âne, j'avais envie chaque matin de retourner sur le plateau, juste pour voir ce magicien agir. Un sacré exemple.»
L'époque où Costa-Gavras en a fait le producteur d'un film oscarisé et doublement récompensé à Cannes.
1968. Alors que la jeunesse parisienne lance des pavés, Jacques Perrin a créé sa société de production Reggane Films. Dans sa besace, quelques courts et moyens métrages, mais le premier coup d'éclat du jeune producteur est de permettre à Costa-Gavras de réaliser Z: un brûlot inspiré de l'assassinat du député grec Lambrakis. Après Compartiment tueurs (1965) et Un homme de trop (1967), l'acteur qui n'interprète qu'un rôle secondaire, aux côtés d'Yves Montand et Charles Denner, se retouve au premier plan pour financer l'adaptation du roman de Vassilis Vassilikos. Son implication est totale. Avec l'équipe et une bande d'étudiants, il ira même jusqu'à coller les affiches du film sur tous les murs de la capitale. L'utopiste pragmatique a découvert que bâtir ses rêves est possible. «Le cinéma est aussi une arme redoutable qui va directement à l'essentiel, à l'émotion. J'ai tout de suite compris à quel point il était temps pour Costa de réaliser ce film. L'exilé, l'homme déchiré qui a tout abandonné avait besoin de se mettre en juste équilibre par rapport à son pays natal, à ce qu'il pensait, à ses compatriotes. Je crois qu'il n'aurait jamais été tranquille s'il ne l'avait pas fait. Comme producteur, j'étais souvent désolé du manque de confort, de moyens, mais toute l'équipe était solidaire. Comment ne pas l'être en voyant Costa si convaincu? On formait comme une troupe de théâtre, une famille qui, pendant un temps, est profondément ensemble. J'aime l'esprit de troupe! Moi et Gavras, tous les deux au milieu des autres: une très belle rencontre au service d'une cause qui en valait la peine.»
L'époque où Gérard Vienne et Claude Nuridsany l'ont entraîné vers le documentaire animalier.
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Microcosmos, le peuple de l'herbe - Papillon • Crédits : Vincent van Zalinge |
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