Vincent est l'un des mes correspondants le plus assidu sur mon thème "en mémoire du monde ouvrier" et je l'en remercie vivement.
Il a été inspiré cette fois par un documentaire "504" de Mohamed El Khatib, diffusé sur France3, dont voici le résumé :
Trois chiffres, quatre roues, et des milliers de souvenirs sous le capot. Qu'auraient été les retours au bled sans la 504, cette bagnole capable d'avaler sans broncher les kilomètres, lestée de pyramides de valises, de casseroles et de gazinières? De cet increvable "chameau mécanique" Mohamed El Khatib fait le oteur d'une plongée vivante et intime dans l'histoire populaire. Mêlant son propre récit familial aux témoignages de celles et ceux qui ont vécu cette transhumance estivale vers le Maghreb....
...Derrière l'anecdote des souvenirs vacanciers pointe l'inconfort de ceux qui revenaient au pays dans leurs plus beaux habits, cherchant à incarner prospérité et réussite alors qu'ils "étaient écrasés et broyés toute l'année". Et le mal-être ressenti de 'être plus vraiment d'ici ni complètement de là-bas...(source Telerama n°3891-3892 du 07/08/24).
Ils ont vécu dans les foyers Sonacotra, travaillé dans le béton, le bitume, l'acier, sur les chaines de montage. Leurs mains ont bâti la France, des années 60 à 80, dans l'ombre.
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Il y a combien de kilomètres entre l’Aveyron et l’Algérie ? Beaucoup je crois.
Mais nous y sommes. Sur les routes de l’Aveyron, c'est l’été. Fenêtres ouvertes et musique à fond. On chante en yaourt : “Ya rayah win m’safar trouh taya wa twali”. On ignore ce que ça dit mais la bagnole devient un club, et tout de suite.Plus tard, on saura que “Ya Rayah”, ça veut dire “toi qui t’en vas”. Que cette chanson parle d’Ulysse, des arabes, des juifs, des ritals ou de ceux qu’on appelle aujourd’hui “les migrants”. Ça fait du monde. Tous ceux qui quittent. Parfois pour le pire.
Cette chanson dit ceci : Toi le voyageur, où vas-tu ? Tu t’épuiseras et reviendras. Combien de gens peu avisés l’ont regretté avant toi et moi.
Une chanson de l’exil, avec l’espoir au départ et la souffrance pour point de chute. Une chanson écrite à Paris. Dans le Paris immigré du début des années 70. L’auteur, c’est Dahmane El Harrachi, maître du chââbi algérois, dont voici la voix.Rachid Taha reprend cette chanson une première fois en 1993. En Algérie, ce sont les années noires. Là-bas, et ici, on entend les mots Front Islamique du Salut. “Ya Rayah” passe alors totalement inaperçu.Taha ressort le titre fin 97 et en Mai 98. Or le 12 Juillet 1998, il se passe ceci…Jacques Vendroux au micro. La France est black blanc beur ! Tout le monde s’aime ! Le monde est merveilleux. A partir de là “Ya Rayah” devient une chanson qui fait le tour du monde et Rachid Taha devient star internationale.Au début des années 90, il a posé les fondements de l’électro à la sauce arabo–franco–anglaise avec un album injustement méconnu. En 98, la musique électronique française dite French touch explose enfin... et lui fait quoi ? Il remplit un devoir de mémoire.De ce début de la chanson, il disait : Il suffit d’écouter l’intro jouée au luth pour se rendre compte du respect envers l’auteur, envers son histoire et envers ceux à qui s’adresse cette complainte.A ce respect de l’histoire, Rachid Taha ajoute une pulsation du futur, conçue par le producteur anglais Steve Hillage. Chaâbi traditionnel et techno s’allient dans la transe. Et "Ya Rayah" réconcilie.Une réconciliation entre la première génération d’immigrés, que raconte cette chanson. Une génération hantée par le retour au pays. Une réconciliation avec leurs fils et leurs filles qui sont d’ici et qui ont hérité d’une nostalgie pour un pays qu’ils ne connaissent pas.Ce “Ya Rayah” des dancefloor par Rachid Taha, c’est la fierté, la célébration moderne d’un patrimoine. Des nuits de joie sur des larmes.
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