24 mai 2025

MO05 - Hommage aux ouvriers maghrébins, par Vincent

Vincent est l'un des mes correspondants le plus assidu sur mon thème "en mémoire du monde ouvrier" et je l'en remercie vivement.

Il a été inspiré cette fois par un documentaire "504" de Mohamed El Khatib, diffusé sur France3, dont voici le résumé : 

Trois chiffres, quatre roues, et des milliers de souvenirs sous le capot. Qu'auraient été les retours au bled sans la 504, cette bagnole capable d'avaler sans broncher les kilomètres, lestée de pyramides de valises, de casseroles et de gazinières? De cet increvable "chameau mécanique" Mohamed El Khatib fait le oteur d'une plongée vivante et intime dans l'histoire populaire. Mêlant son propre récit familial aux témoignages de celles et ceux qui ont vécu cette transhumance estivale vers le Maghreb....

...Derrière l'anecdote des souvenirs vacanciers pointe l'inconfort de ceux qui revenaient au pays dans leurs plus beaux habits, cherchant à incarner prospérité et réussite alors qu'ils "étaient écrasés et broyés toute l'année". Et le mal-être ressenti de 'être plus vraiment d'ici ni complètement de là-bas...(source Telerama n°3891-3892 du 07/08/24).

On y voit une Peugeot 504 chargée à bloc, sur le départ. Ce n'est pas qu'une voiture : c'est un témoin silencieux. Des hommes venus d'Algérie, du Maroc, de Tunisie y ont mis ce qu'ils pouvaient emporter de leur vie. 

Ils ont vécu dans les foyers Sonacotra, travaillé dans le béton, le bitume, l'acier, sur les chaines de montage. Leurs mains ont bâti la France, des années 60 à 80, dans l'ombre.

***

Pour illustrer musicalement (comme il l'a fait sur Instagram en publiant le post relatif à cet envoi) Vincent préconise une chanson Ya Rayah, écrite par Dahmane El Harrachi et reprise plus tard par Rachid Taha. 

Pour Vincent, cette chanson "parle de ceux qui partent, de ceux qui espèrent revenir, de ceux qu'on oublie".  Par ce mail-art, mon correspondant a voulu leur rendre un peu de place car ils n'ont pas laissé beaucoup d'archives, mais ils ont laissé des traces, parfois une photo suffit à les faire réapparaitre.

Cette chanson, Ya Rayah je la connais et je l'ai fredonnée mais j'ignorai tout des paroles.Voici ce qu'en disait Rebecca Manzoni sur France Inter dans son émission Tubes and Co. 

Il y a combien de kilomètres entre l’Aveyron et l’Algérie ? Beaucoup je crois.

Mais nous y sommes. Sur les routes de l’Aveyron, c'est l’été. Fenêtres ouvertes et musique à fond. On chante en yaourt : “Ya rayah win m’safar trouh taya wa twali”. On ignore ce que ça dit mais la bagnole devient un club, et tout de suite.

Plus tard, on saura que “Ya Rayah”, ça veut dire “toi qui t’en vas”. Que cette chanson parle d’Ulysse, des arabes, des juifs, des ritals ou de ceux qu’on appelle aujourd’hui “les migrants”. Ça fait du monde. Tous ceux qui quittent. Parfois pour le pire. 
Cette chanson dit ceci : Toi le voyageur, où vas-tu ? Tu t’épuiseras et reviendras. Combien de gens peu avisés l’ont regretté avant toi et moi.

Une chanson de l’exil, avec l’espoir au départ et la souffrance pour point de chute. Une chanson écrite à Paris. Dans le Paris immigré du début des années 70. L’auteur, c’est Dahmane El Harrachi, maître du chââbi algérois, dont voici la voix.

Rachid Taha reprend cette chanson une première fois en 1993. En Algérie, ce sont les années noires. Là-bas, et ici, on entend les mots Front Islamique du Salut. “Ya Rayah” passe alors totalement inaperçu.

Taha ressort le titre fin 97 et en Mai 98. Or le 12 Juillet 1998, il se passe ceci…Jacques Vendroux au micro. La France est black blanc beur ! Tout le monde s’aime ! Le monde est merveilleux. A partir de là “Ya Rayah” devient une chanson qui fait le tour du monde et Rachid Taha devient star internationale.

Au début des années 90, il a posé les fondements de l’électro à la sauce arabo–franco–anglaise avec un album injustement méconnu. En 98, la musique électronique française dite French touch explose enfin... et lui fait quoi ? Il remplit un devoir de mémoire.

De ce début de la chanson, il disait : Il suffit d’écouter l’intro jouée au luth pour se rendre compte du respect envers l’auteur, envers son histoire et envers ceux à qui s’adresse cette complainte.

A ce respect de l’histoire, Rachid Taha ajoute une pulsation du futur, conçue par le producteur anglais Steve Hillage. Chaâbi traditionnel et techno s’allient dans la transe. Et "Ya Rayah" réconcilie.

Une réconciliation entre la première génération d’immigrés, que raconte cette chanson. Une génération hantée par le retour au pays. Une réconciliation avec leurs fils et leurs filles qui sont d’ici et qui ont hérité d’une nostalgie pour un pays qu’ils ne connaissent pas.

Ce “Ya Rayah” des dancefloor par Rachid Taha, c’est la fierté, la célébration moderne d’un patrimoine. Des nuits de joie sur des larmes.

Paroles de "Ya Rayah" (Traduction)

"Toi voyageur"
Ô toi qui pars, où que tu ailles, tu finiras par revenir

Combien de gens peu avisés l'ont regretté avant toi et moi

Combien de pays surpeuplés et de régions désertes as-tu vu?
Combien de temps as-tu gaspillé? Combien vas-tu en perdre encore et que laisseras-tu?

Ô toi l'émigré, combien tu t'épuises à force de te démener dans le pays des autres
Le destin et le temps suivent leur course mais toi tu l'ignores
Les difficultés ne durent pas, et toi tu ne construiras, ni n'apprendras rien de plus, ainsi
Ô toi qui pars, où que tu ailles, tu finiras par revenir

Pourquoi ton cœur est-il si triste? Pourquoi restes-tu planté là comme un malheureux?
Les jours ne durent pas, tout comme ta jeunesse et la mienne
Ô le malheureux dont la chance est passée, comme la mienne
Ô toi qui pars, où que tu ailles, tu finiras par revenir

Ô toi qui voyage, je te donne un conseil à suivre tantôt
Vois ce qui te convient avant de vendre ou d'acheter
Ô toi l'endormi, des nouvelles de toi me sont parvenues, il t'est arrivé ce qui m'est arrivé
Ainsi reviens le cœur à son créateur le Très Haut

Ô toi qui pars, où que tu ailles, tu finiras par revenir
Ô toi qui pars, où que tu ailles, tu finiras par revenir

Clip vidéo de Rachid Taha interprétant Ya Rayah. © 1997 Barclay
publié sur la chaine Youtube de l'artiste
***
Cher Vincent, je te remercie d'autant plus de cet envoi qui m'a enthousiasmé à plus d'un titre, car, rares sont les personnes, comme toi, qui savent reconnaître l'apport incontestable à notre économie de toutes ces personnes qui ont tout abandonné, au pays, pour trouver du travail en France.

Encore aujourd'hui, les travailleurs immigrés sont  indispensables à ce pays, dans toutes les tâches les plus ingrates, les plus difficiles, les moins payées et les plus précaires, souvent sans contrat de travail, voire sans contrat de séjour. Combien sont morts anonyment, coulés dans le béton, ou axphysiés par des émanations toxiques, car non protégés dans les règles de l'art?  Ils mériteraient davantage notre respect et notre gratitude.

Et c'est la petite fille d'immigrés italiens, qui te le dit. Un énorme merci à toi!

********* encore un beau coup de La Poste *********

Bien qu'affranchie avec un beau timbre à 2.58 Euros (soit davantage que le prix courant d'un envoi non urgent de moins de 20g) l'enveloppe initiale a été retournée à mon correspondant "parce que le destinataire est inconnu à l'adresse". 
Pour me parvenir dans une nouvelle enveloppe libellée exactement de la même manière, Vincent a du s'acquitter d'un nouvel affranchissement de 2.78 Euros, 
soit un coût total de 5.36 Euros pour l'acheminement de cette correspondance. 
Bravo La Poste qui décidément, n'en rate pas une : non, ce n'est plus une entreprise de service. 

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