30 octobre 2020

Sans la culture, où est l'espérance ? Merci Ariane pour ta lettre au Président de la République

Frappée par les mots si justes d'Ariane Ascaride, enregistrés juste avant la fermeture du Théâtre de Paris hier soir,  je partage avec vous son chagrin et son indignation vis-à-vis du mépris de la Culture dans le discours du Président de la République instaurant le nouveau confinement.

Ariane Ascaride © Getty
Ariane Ascaride jouait depuis la rentrée "Le dernier jour du jeûne" de Simon Abkarian au Théâtre de Paris. Confinement oblige, le théâtre ferme et les représentations s'arrêtent. Après avoir vidé sa loge, Ariane Ascaride a pris sa plume.

La lettre d'Ariane Ascaride du 30 octobre 2020 - Par France Inter (émission Boomerang)

Monsieur le Président

Je sais. Vous êtes au four et au moulin et ma lettre ne pèse pas bien lourd face à cette marée épidémique. Mais je ne peux pas m’empêcher de l’écrire. 

Monsieur le Président, hier soir devant ma télé je vous écoutais avec une grande attention, mon espoir bien avant l’allocution était réduit à néant, mais ce qui fait un trou à mon âme est l’absence dans votre discours du mot culture. 

Pas une fois il n’a été prononcé, nous sommes la France, Monsieur, pays reconnu par le monde entier et envié par tous pour la présence de sa créativité culturelle, la peinture, la musique, la littérature, la danse l’architecture, le cinéma, le théâtre (vous remarquez : je cite mon outil de travail en dernier), tous ces arts sont dans ce pays des lettres de noblesses que les hommes et les femmes du monde admirent. 

C’est un pays où marcher dans les villes raconte l’histoire du monde, où la parole dans les cinémas et les théâtres apaise, réjouit, porte à la réflexion et au rêves ces anonymes qui s’assoient dans le noir pour respirer ensemble un temps donné. Nous sommes indispensables à l’âme humaine, nous aidons à la soigner, je ne parle même pas de tout le travail que nous faisons avec les psychiatres .

Nous sommes des fous, des trublions, mais tous les rois en ont toujours eu besoin.

Et hier soir, silence total...

Je pensais à Mozart hier soir, au fond le regard des dirigeants n’a pas tellement changé et ça me désespère. Nous faisons du bruit, nous parlons et rions fort, nous dérangeons certes, mais sans nous, l’expression de la vie est réduite à néant.

Aujourd’hui je suis perdue. Je sais, je veux le croire, les lieux de cultures ouvriront à nouveau et on pourra retourner dans les librairies acheter un livre que l’on glissera dans la poche de son manteau comme un porte bonheur, un porte vie . 

Hier soir, quelque chose s’est brisé dans mon cœur. Je ne sais pas bien quoi. Peut-être l’espérance,

Et c’est terrible pour moi , car c’est l’espérance d’écrire un beau livre, de construire un bel édifice, de faire entendre un texte magnifique, de peindre l’aura des humains, de faire chanter et danser nos spectateurs, qui nous poussent tous à travailler comme des fous, à faire des sacrifices de salaire, des sacrifices familiaux. Demandez à nos familles ce qu’elles acceptent parfois pour que nous puissions donner de la joie à ces anonymes .

Voilà Monsieur le Président, je ne pouvais pas me taire. Moi, votre silence m’a démolie. Mais je me relèverai et mes amis aussi. Je voulais juste que vous mesuriez avec cet oubli combien vous vous avez écorché les rêves de ceux qui font rêver et se sentir vivant.

Avec toutes salutations respectueuses
Ariane Ascaride

Dans son parcours professionnel, Ariane s'est beaucoup investie sur la transmission et sur notre histoire commune de citoyen de la France.  J'en veux pour preuve ce magnifique film de 2015 "Les Héritiers" que je vous recommande vivement de voir ou revoir : Bande annonce du film LES HERITIERS 

Avec son époux le réalisateur Robert Guédiguian, elle a souvent contribué à mettre en avant la nécessité du mieux vivre ensemble, dans des films  où les petites gens et leurs souffrances ainsi que le mépris dont il font l'objet sont souvent magnifiquement traités.

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