Voici ma cinquième contribution pour la future exposition d'Eric sur le thème "Paroles" prévue à la fin de ce mois à Mialet.
Quand l'image règne maintenant partout dans nos sociétés, il est bon de savoir qu'il reste encore quelques rares endroits du monde où la tradition orale ne s'est pas totalement perdue.
Case à palabres (toguna), réserve de paille sur le toit, échelle en bois posée sur le côté, Burkina Faso, Afrique
à l'ombre d'un manguier en Afrique : https://talent.paperblog.fr/2541667/a-l-ombre-d-un-arbre-en-afrique/
cases à palabres ivoiriennes https://www.balades-ivoiriennes.blog/post/cases-%C3%A0-palabre
Cela reste le cas dans certains pays d'Afrique noire où persistent des rassemblements sous l'arbre à palabres, ou bien en Côte d'Ivoire où la construction de cases à palabres reste une tradition forte.
*** L'arbre à palabres ***
l'arbre à palabres dans un village de la campagne sénégalaise dans la région de Dakar au Sénégal en Afrique de l'Ouest
droit de la photo : Pierre pour Adobe Stock
En Afrique bien avant l’avènement de la justice fruit de la colonisation , les problèmes de société se réglaient à l’arbre à palabre. Comment fonctionnait-il? Voici ce qu'en dit l'historien traditionaliste Sobel Dione .
Etymologiquement, le mot palabre vient de l’espagnol « palabra » et a le sens de parole, de discussion, de conversation longue et oiseuse. En tant que cadre d’organisation de débats contradictoires, d’expression d’avis, de conseils, de déploiement de mécanismes divers de dissuasion et d’arbitrage, la palabre, tout au long des siècles, est apparue comme le cadre idoine de résolution des conflits en Afrique noire.
La palabre, incontestablement, constitue une donnée fondamentale des sociétés africaines et l’expression la plus évidente de la vitalité d’une culture de paix. Partout en Afrique noire, on retrouve à quelques nuances près, la même conception de la palabre, considérée comme phénomène total, dans lequel s’imbriquent la sacralité, l’autorité et le savoir, ce dernier étant incarné par les vieillards qui ont accumulé, au fil des ans, sagesse et expérience .
Véritable institution, la palabre est régie par des normes établies, et les principaux acteurs doivent justifier d’une grande expertise. La palabre se tient toujours en un lieu chargé de symboles : sous un arbre, près d’une grotte, sur un promontoire ou dans une case édifiée spécialement à cet effet ; tous ces endroits sont marqués du sceau de la sacralité. La date de la palabre n’est pas laissée au hasard ; elle doit correspondre à un moment propice déterminé par les géomanciens.
En principe, la palabre est ouverte à tous, ce qui fait d’elle un cadre d’expression sociale et politique de grande liberté. Parfois cependant, pour des raisons de confidentialité, les jeunes enfants et les femmes réputées bavardes en sont exclus. La palabre est une affaire de longue durée et le circuit toujours compliqué des débats invite à la patience.
Outre la parole, il y a une symbolique de gestes ritualisés, des silences lourds de signification, tout cela étant l’expression d’une éducation et d’une culture fort élaborées. La palabre n’a pas pour finalité d’établir les torts respectifs des parties en conflit et de prononcer des sentences qui conduisent à l’exclusion et au rejet.
Sur son sens, l’historien informe que « La palabre apparaît plutôt comme une logothérapie qui a pour but de briser le cercle infernal de la violence et de la contre violence afin de rétablir l’harmonie et la paix. Ainsi, chez les Dogon au Mali, il est établi que l’intérêt commun exige la paix, et que les nuages porteurs de pluies fuient les lieux où règne le désordre.
Aussi, la sagesse Sereer au Sénégal veut qu’en cas de conflit, les deux parties partagent les responsabilités, la considération suprême étant le maintien de la tranquillité interne, au terme d’un pardon mutuel. Ainsi donc, la problématique de la dissuasion, de la prévention et de la résolution des conflits se traduit dans les sociétés traditionnelles africaines par l’adage suivant, formulé par les Banen du centre du Cameroun : « éviter la guerre à tout prix, faire la guerre quand on n’a pas pu l’éviter, mais toujours rétablir la paix après la guerre ».
Cela traduit, de façon intrinsèque, la culture de paix qui a été un facteur dominant dans le processus historique de l’Afrique traditionnelle, en dépit de la dithyrambe sur le hauts faits de guerre des bâtisseurs d’empires, et d’une certaine ethnographie qui a délibérément mis en emphase les conflits intertribaux. C’est l’étape de la palabre, des interminables joutes et plaidoyers verbaux qui peuvent durer des jours et des semaines, voire même des mois comme lors de certaines conférences de réconciliations traditionnelles.
Loin d’être des palabres inutiles, comme le pensent certains négociateurs modernes pressés et obnubilés par les résultats à court terme, cette tradition est très importante. C’est d’elle que dépendra, en fin de compte, la vigueur des accords conclus et l’engagement des parties. En effet, dans le processus de résolution des conflits, la manière dont les négociations sont menées s’avère aussi importante que les résultats eux-mêmes.
Ces séances de palabres servent à vider son sac, remonter aux origines du problème, exprimer ses griefs ou les sentiments ressentis, les souffrances endurées, visiter l’histoire des conflits et des accords de paix signés. L’art de la rhétorique et du geste, les talents poétiques et même humoristiques sont utilisés pour émouvoir les cœurs, frapper les esprits et finalement défendre son cas. La palabre se propose moins de distribuer des sanctions que de convaincre, de réconcilier, de restaurer la paix dans la communauté perturbée par le conflit.
Elle milite contre une vision très pénalisante de la société. A l’inverse de surveiller et punir, la palabre se caractérisait plutôt par discuter et racheter. Ces prises de parole opèrent comme des séances de thérapie de groupes, comme une psychanalyse à travers laquelle chaque camp exprime ses douleurs, ses frustrations et par là expurge les rancœurs accumulées. Quand on sait que chez les Africains le ventre est le point névralgique des sentiments et des émotions, mais aussi le foyer de la volonté et du souffle de vie, l’on comprend la signification thérapeutique qu’ils accordent à ces séances.
Pour finir Sobel Dione rappelle que « dans l’esprit de l’Africain, il ne suffit pas de régler un conflit et de redresser les torts subis. Encore faut-il prévenir les futurs conflits. Il est donc important de veiller à la guérison de la plaie et à la sauvegarde de la solidarité et de la cohésion sociale. La cérémonie pour sceller la réconciliation est donc une étape tout aussi importante dans le processus. Il faut faire en sorte que chaque partie ait le sentiment d’avoir gagné quelque chose dans les négociations ou d’avoir, au moins, sauvegardé l’intérêt général de la communauté. Cette démarche qui rappelle un peu la méthode moderne de résolution des conflits appelée « the win-win approach » appelle à une sorte de mise en scène. Tout un cérémonial est organisé autour de cette réconciliation pour rappeler la portée sociale et l’intérêt communautaire des décisions prises. On procède au sacrifice de certains types d’animaux au cours duquel on invoque Dieu, les esprits des ancêtres communs et des saints afin de bénir le verdict.
Article trouvé sur le site https://sunuker.net/larbre-a-palabre-cadre-privilegie-de-resolution-des-conflits-en-afrique/
*** Les
cases à palabres en Côte d'Ivoire : Symboles de tradition et de justice ***
Les cases à palabres sont des édifices emblématiques de la culture ivoirienne, présents dans de nombreux villages et communautés à travers le pays. Elles occupent une place centrale dans la vie sociale, servant de lieu de rassemblement, de discussion et de résolution des conflits.
On trouve des cases à palabres dans toutes les régions de la Côte d'Ivoire, mais elles sont particulièrement répandues dans les zones rurales, où les traditions sont encore bien ancrées. Chaque ethnie a son propre style architectural, mais les principes de base restent les mêmes.
La case à palabres est bien plus qu'un simple bâtiment. Elle symbolise :
- L'unité et la cohésion sociale: C'est le lieu où la communauté se réunit pour discuter des problèmes communs et prendre des décisions importantes.
- La justice et l'équité: Les palabres, discussions publiques visant à résoudre les conflits, se déroulent dans la case, sous l'autorité des anciens et des chefs coutumiers.
- La transmission de la culture et des valeurs: Les anciens transmettent leur savoir et leur sagesse aux jeunes générations lors des palabres.
La case à palabres est souvent considérée comme un lieu sacré, où l'on communique avec les ancêtres et les esprits. Elle est utilisée pour :
- Les palabres: Résolution des conflits, discussions sur les affaires du village, prise de décisions importantes.
- Les cérémonies: Mariages, funérailles, rites initiatiques, fêtes traditionnelles.
- Les réunions: Discussions entre les membres de la communauté, rencontres avec les autorités.
- L'accueil des visiteurs: Les étrangers sont souvent reçus dans la case à palabres en signe de bienvenue.
La case à palabres est souvent considérée comme un lieu sacré, où l'on respecte certaines règles :
- Respect des anciens: Les anciens sont les gardiens de la tradition et leur parole est écoutée avec respect.
- Interdiction de la violence: Les palabres doivent se dérouler dans le calme et la sérénité.
- Respect des objets sacrés: La case à palabres peut contenir des objets sacrés (fétiches, masques, etc.) qui doivent être traités avec respect.
La construction d'une case à palabres est un événement communautaire, impliquant tous les villageois. Chaque étape est accompagnée de rituels et de cérémonies.
En conclusion: Les cases à palabres sont des éléments essentiels du patrimoine culturel ivoirien. Elles témoignent de l'importance des traditions, de la justice et de la cohésion sociale dans la société ivoirienne. Bien que menacées par la modernisation et l'exode rural, elles continuent de jouer un rôle central dans la vie de nombreuses communautés.
source : article relevé sur le site balades ivoiriennes
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