3 mai 2020

Il nous chantait la France des couleurs : Idir, repose en paix !

Décidément les mauvaises nouvelles dans le monde de la culture s'enchaînent : hier c'est Idir le chanteur kabyle à la voix si douce, qui a tiré sa révérence, à seulement 70 ans.
 Merci à toi ! Adieu l'Artiste, ambassadeur de fraternité entre les hommes!

C'était un bonhomme chaleureux, qui savait chanter la paix et faire le pont entre deux rives,celles de l'Algérie et de la France que baigne la même Mer Méditerranée. C'était un grand monsieur, un poète universel, une bien belle personne que je vais regretter, une de plus!
A vava inouva

Né dans un village de Kabylie le 25 octobre 1949, Hamid Cheriet y baigne dans la culture berbère et, déjà, dans la musique. Il découvrira que son pays est aussi arabe lorsque, pendant la guerre, les habitants de son village sont envoyés à Alger. École chez les Pères blancs et les Jésuites, études de géologie. Il gratte un peu de guitare, compose des chansons pour des amis. "Je ne chantais pas, mon destin était clair : je devais aller chercher du pétrole dans le Sud", racontera-t-il plus tard.

Les Français sont séduits par cette voix douce et nostalgique qui porte en elle la lumière des montagnes berbères. Les Algériens entendent soudain autre chose que la variété arabe promue jusqu'alors par le régime, découvrent la beauté de la langue kabyle. Pendant un moment, même sa famille a ignoré que la si belle chanson de la radio est la sienne. Il ne sera pas ingénieur géologue.

Un jour de 1974, une chanteuse qui doit interpréter en direct à la radio une chanson qu'il a écrite tombe malade. Le producteur lui demande de la remplacer au pied levé. Les auditeurs appellent pour réentendre la chanson, qu'Idir enregistre aussitôt. A vava inouva devient un tube en Algérie, traverse la Méditerranée : les hits parades français de l'époque le classent en deuxième place.

Idir a toujours agi comme un poil à gratter culturel. Bien sûr, il est une voix symbolique de la culture kabyle, disant de sa voix très douce, depuis des décennies, quels sont les dégâts de l’arabisation de l’Algérie. Mais ce n’est pas un hasard qu’il ait intitulé Identités – au pluriel – un de ses albums des années 1990 : il croit que les hommes ne sont pas faits d’une seule culture, d’une seule langue, d’un seul lieu.

Il sait aussi parfaitement déjouer les vieilles évidences identitaires, ainsi que le prouve une fois de plus son nouvel album, Ici et ailleurs, qui sonne autant comme le manifeste d’un nouveau monde apaisé autour du partage et de la compréhension mutuelle que comme l’autoportrait d’un Algérien né en 1949 et vivant en France depuis des décennies.

Une affaire de talent et d'identité : Idir vivra en France, à la fois pour convenances professionnelles, mais aussi, dès les années 90, par sécurité. On pourrait le résumer en disant qu'il cumule, pour l'Algérie kabyle, les fonctions que Georges Brassens et le micro de la BBC en guerre ont rempli pour la France. Les chansons que chacun connait si bien qu'elles dépassent leur créateur et la fière certitude d'appartenir à une nation, à une langue, à une culture. Une affaire de talent, évidemment, mais également d'identité. Cette identité est le centre de l'œuvre d'Idir, et sans doute la raison d'être de tout son parcours d'homme et d'artiste.

Hommage aux femmes

Lettre à ma fille

Comme Lounès Matoub, il défend l’idée d’une Algérie multiculturelle qui "ne rejetterait pas Pasteur avec Salan" et qui admettrait le pluralisme linguistique et religieux. Et, dans Ici et ailleurs, il se livre à une étonnante démonstration de transculturalité en invitant de grands interprètes de chanson française pour une série de duos dont il a écrit les adaptations en langue kabyle.On y perd de vue l’origine de certains titres, comme La Bohème dans laquelle Charles Aznavour chante berbère. D’ailleurs, quand affleure le mot bistrot, cela rappelle qu’avant de devenir un mot kabyle, ce serait un mot russe annexé par les Français.Tout l’album fonctionne avec cette liberté qui, en remplaçant la guitare par la mandole, égare La Corrida loin de l’Espagne et de l’Amérique folk, au grand plaisir de son auteur-compositeur Francis Cabrel. Bernard Lavilliers est venu sur On the Road Again, Maxime Le Forestier sur Né quelque part, Gérard Lenorman sur Les Matins d’hiver, Tryo sur L’Hymne de nos campagnes. Idir a obtenu la voix d’Henri Salvador pour un duo virtuel sur Jardin d’hiver. Et cela fait évidemment sens que Patrick Bruel vienne chanter avec Idir sa chanson Les Larmes de leurs pères, inspirée par le printemps tunisien.
D'ici et d'ailleurs : Idir en concert au sein du journal Le Parisien

Dix ans après sa création sur l’album La France des couleurs, dans lequel il chantait en duo avec des artistes urbains, il reprend avec Tanina, sa fille, la chanson écrite alors par Grand Corps Malade, Lettre à ma fille. Le même auteur lui donne cette fois-ci Avancer, titre prophétique qu’ils enregistrent ensemble et qui proclame : "Nous savons bien que nos racines ne nous empêcheront jamais d’avancer". Cet album prouve même qu’elles aident à se déplacer…


La France des couleurs


On veut notre identité
On a longtemps hésité
On est la même entité
Zwit Rwit
Egalité, fraternité
On mérite mieux que ces cités
L’avenir c’est la mixité
Zwit Rwit

Il faut qu’on avance tous dans le même sens
Malgré la distance et malgré nos différences
Brisons le silence pour un hymne à la même chance
Peu importe la danse, qu’on vibre à la même cadence
La France des couleurs défendra les couleurs de la France
La France des couleurs ; bouge, bouge et mélange
On se bat pour la dignité
Et pour faire valoir nos idées
On veut juste être écouté
Zwit Rwit

Arrêtons de nous éviter
Avançons sans douter
Ta main dans la mienne ; unité
Zwit Rwit

Il faut que ça change ; c’est ici que ça commence
Cherchons les réponses pour remonter la pente
Face à tellement d’offenses c’est l’union qui fait la force
Peu importe la danse, qu’on vibre à la même cadence
La France des couleurs défendra les couleurs de la France
La France des couleurs ; bouge, bouge et mélange

Paroliers : Mohamed Benhamadouche / El Hamid Cheriet / Zehira Darabid / Philippe Greiss
Paroles de La France des couleurs © Sony ATV Music Publishing


***
Je rajoute un beau poème hommage que lui a dédié l'humoriste Sophie Aram 




2 commentaires:

Marie a dit…

Merci Ginette pour ce bel hommage à Idir.
Amitiés.
Marie

monsieur R a dit…

En effet, très bel hommage à cet artiste humaniste disparu dans l'indifférence médiatique générale. Merci .