Ce documentaire bouleversant de Sepideh Farsi a déjà fait beaucoup parler de lui. Il était au Festival de Cannes, dans la sélection de l’ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) et lors de son discours d’ouverture, Juliette Binoche a rendu hommage à Fatma Hassouna, héroïne du film. Fatma aurait dû être présente, mais elle a été tuée par l’armée israélienne, ainsi que presque tous les membres de sa famille, le lendemain du jour où Sepideh Farsi lui apprenait que le film avait été sélectionné à Cannes. Par la suite, la réalisatrice a été invitée à de nombreuses émissions de radio ou télévision et a pu parler longuement de son film et de « Fatem », comme elle l’appelle très vite.Sepideh Farsi a fui l’Iran à 18 ans, après y avoir fait de la prison, et vit depuis en France. Particulièrement sensible au sort des Gazouis, elle espérait pouvoir entrer à Gaza pour documenter la vie de ses habitants, mais ce fut impossible. Un Gazoui rencontré au Caire lui conseilla alors d’entrer en contact avec Fatem, une photographe extraordinaire, disait-il, qui documentait la vie quotidienne à Gaza depuis le début de la guerre. D’emblée, Fatem, que ses ami.e.s appellent « l’œil de Gaza » accepte de partager son regard avec Sedipeh et de lui raconter/montrer Gaza et ce qu’elle y vit.
C’est la rencontre entre ces deux femmes, via le réseau WhatsApp, que raconte ce documentaire poignant, qui aura sans aucun doute une valeur historique inestimable. D’un côté Fatem, 24 ans au début des échanges, coincée à Gaza dont elle n’est jamais sortie, photographe de grand talent et poète, qui publie ses photos sur Instagram et les fait aussi parvenir à divers journaux étrangers, de l’autre Sedipeh, soixante ans, réalisatrice chevronnée, qui se promène à travers le monde pour montrer ses films, mais ne peut retourner en Iran, dont elle est sortie miraculeusement. Étrange effet de miroir inversé.
Le courant passe très vite entre les deux femmes, qui, petit à petit, deviennent de vraies amies. Sedipeh filme le visage de Fatem et son sourire magnifique lors de leurs entretiens via le téléphone portable. La connexion est parfois impossible, ou difficile, ou de mauvaise qualité, et son visage se fige ou disparaît, l’écran devient noir, sinistre symbole.
Ces prises de vue sont l’essentiel du film. S’y ajoutent les superbes photos de Fatem, instantanés de la vie dans l’enclave, et des extraits de divers journaux télévisés (Al Jazeera, CNN, France 24).
Leurs échanges commencent le 24 avril 2024 et se terminent le 15 avril 2025. Nous y découvrons une jeune femme solaire, d’une énergie, générosité, joie de vivre incroyables, malgré des conditions de vie terribles, les bombes qui tombent sans relâche, la mort omniprésente, les déplacements forcés, les nuits dans les abris. «Nous allons rire et vivre notre vie, qu’ils le veuillent ou non… Ils ne peuvent nous vaincre, nous n’avons rien à perdre.» Parfois, un membre de sa famille passe sa tête dans l’écran, curieux et ravi de voir cette correspondante inattendue.
Fatem est très fière d’être palestinienne et très attachée à « son Gaza » qui a besoin d’elle, dit-elle. Certes, elle aimerait découvrir le monde et suit avec beaucoup d’attention et de plaisir les différents déplacements de Sepideh, mais elle reviendrait ensuite à Gaza, sa terre chérie. Elle est certaine qu’ils pourront la reconstruire.
Dès qu’elle le peut, elle arpente les rues de Gaza avec son appareil photo qu’elle considère «comme une arme». «Put your soul on your hand and walk» – «Mets ton cœur dans ta main et marche», qui donne son titre au film, est une sorte de devise pour elle et témoigne de son courage et de sa profonde humanité. Souvent aussi, elle tourne son téléphone portable vers l’extérieur, vers des immeubles démolis, des quartiers qui viennent d’être bombardés. Elle a perdu beaucoup de membres de sa famille et, durant le film, la mort emporte encore des gens qu’elle aime. Des frappes sur une école transformée en abri la révoltent au plus haut point. Parfois, elle a l’impression d’être « dans une scène de film. »
Sepideh et elle parlent de tout, et la réalisatrice devient parfois une sorte de mentor. Elle est aussi une ouverture sur le monde, et un soutien pour Fatem «Tu es à mes côtés, cela suffit».
Les derniers temps, Fatem perd un peu de sa joie de vivre. Elle souffre de la famine, rêve de poulet et de chocolat, est atteinte de dépression, même si elle veut continuer à croire à la fin de la guerre et garde son sourire. Dans sa tête «c’est chaotique» Et ses photos sont de plus en plus sombres. «Ici, tu peux mourir à cause d’une bombe, de la peur ou de la famine. Tu as le choix entre différentes options…»
Elle évoque sa propre mort dans un magnifique poème, où elle devient un ange. Et affirme : «Je voudrais une mort bruyante, éclatante, je ne veux pas être un chiffre à la dernière page d’un journal». Ce qui, hélas, se réalise, grâce à ce film, sa présence à Cannes, l’immense émotion qu’il provoque.
Ce film de Sepideh Farsi, à la forme si inhabituelle, est essentiel : il redonne leur humanité aux Gazouis, trop souvent réduits à des statistiques, fait entendre leur voix, nous fait partager le quotidien de leur vie. La Ligue des Droits de l'Homme se devait de le soutenir car il est en complète adéquation avec les valeurs qu’elle défend, et sa mobilisation pour les Palestiniens.
Début mai, on comptabilisait plus de 200 journalistes tués à Gaza. Le nombre s’est accru depuis. Fatem, qui publiait ses photos, est considérée comme photojournaliste et fait désormais partie de cette liste abominable. Mais nous n’oublierons jamais son sourire.
Réalisation : Sepideh Farsi / Production et distribution : Rêves d’eau Productions /Durée : 112 minutes
Source: https://www.ldh-france.org/la-ldh-soutient-put-your-soul-on-your-hand-and-walk-un-film-de-sepideh-farsi/


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