Les frontières ne sont pas seulement territoriales, elles sont aussi politiques et culturelles. Elles sont aussi mobiles aussi, dans le temps.
L'exemple le plus marquant est celui de la Russie : depuis la chute du mur de Berlin et l'éclatement de l'ancienne URSS elle-même héritière de l'Empire Russe, la Russie est tiraillée entre effets d'héritages et nouvelles polarités. sur ses frontières inter-étatiques avec l'Estonie, la Lettonie, la Biélorussie, l'Ukraine, la Géorgie, l'Azerbaïdjan et le Kazakhstan, toutes anciennes républiques soviétiques où vivent toujours des Russes mais nouvelles nations (re-)devenues indépendantes en 1991. Le nouveau périmètre de cet immense Etat qu'est encore la Russie ne convient pas à l'homme fort du pays, Vladimir Poutine qui déclare que "les frontières de la Russie ne se terminent nulle part" (provocation ou boutade, je vous laisse choisir). Le conflit avec l'Ukraine qui a éclaté en 2014 (en Crimée) puis a pris une nouvelle tournure en 2022 avec l'invasion russe dans le Dombass, montre à quel point il est difficile de concilier le découpage artificiel des frontières avec la réalité culturelle, politique et ethnique des populations.
Sans les frontières, il y aurait beaucoup plus de mélanges et d'entente entre les populations, car les frontières sont souvent la cause de guerres. Pour ne prendre qu'un exemple flagrant., en soixante-quinze ans, les Alsaciens et Lorrains mosellans ont perdu quatre guerres (1871-1918-1940-1945) et se sont pourtant retrouvés quatre fois dans le camp du vainqueur. Ce constat résume la situation d'une région aux marges de la France et de l'Allemagne, objet constant de disputes entre 1870 et 1945. Pour la population de ces deux régions, cette situation dantesque a été particulièrement douloureuse. Rappelons-nous des "Malgré-Nous" soldats lorrains ou alsaciens engagés dans une guerre qui n'était pas la leur lorsqu'ils se sont retrouvés de nationalité allemande et obligés de combattre leurs "compatriotes"français.
Un monde sans frontières : une utopie ou une nécessité ?
Si elles sont réduites à des simples traits au sol, ou borne de béton indiquant la limite d'un pays dans l'espace Schengen avec la libre circulation des biens et des individus, c'est une toute autre histoire aux limites de l'Europe. Tout le monde a bien en tête les problèmes de la jungle de Calais où s'entassent des migrants dans des conditions déplorables candidats pour tenter la tranversée de la Manche et gagner le Royaume-Uni, sans oublier le nombre effrayant de naufragés morts en Méditerranée, qu'ils cherchent à regagner l'Europe par l'Ile de Lampédusa, celle de Chypre, ou bien d'entrer par Gibraltar. Là ce sont des murailles de grillages et de barbelés sur plusieurs épaisseurs qui matérialisent la frontière pour la rendre infranchissable.
à gauche, entre l'Angleterre et la France, Calais , à droite entre Maroc et Espagne, à Mellila
Les migrations ou l'absurdité des frontières : remontant aux origines de l'histoire de l'Humanité, qui a débuté par... une grande migration... C'est l'Homo Sapiens, devenu sédentaire, qui inventera la frontière. Au 19ème, on y ajoutera des fils barbelés, inspirés des ronces.
Le Musée de l'Homme à Paris a consacré cette année une exposition aux Migrations, un phénomène plus ancien encore que les frontières et le concept de nation. Cette exposition a rassemblé informations, documents, vidéos et œuvres d'artistes. Une vision plurielle d'un phénomène qu'aujourd'hui, face à la montée de l'extrême droite, aux canulars et à la peur de la différence, nous devons défendre comme un droit fondamental de chacun (article 13 de la Déclaration universelle des droits de l'homme).
Expo au Musée de l'Homme 2025 - 13 personnes attendant l'autorisation de passer une ligne brisée
© Ruben Martin de Lucas
On peut aussi se moquer de l'absurdité des frontières comme le fait le photographe Rubén Martin de Lucas avec des scènes ironiques de fils d'attente au milieu de nulle part ou la capacité des humains à prendre possession d'un espace naturel, puis à accorder ou refuser aux autres le droit d'y entrer.
Aux frontières de l'absurde, quelques unes des "Républiques" de Rubén Martin de Lucas
«Ni ce projet ni l'art ne changeront le monde, mais ils peuvent nous aider à le voir avec des yeux différents. Personnellement, j'aimerais qu'il suscite la réflexion sur ce qu'est une nation, sur l'absurdité du nationalisme et sur l'étrange sentiment de possession que nous exerçons sur une planète bien plus vieille que nous.»
Source : https://www.slate.fr/grand-format/republiques-minimales-art-nations-photographie-236420
Incontestablement son œuvre interroge aussi notre place dans le monde : de quel côté de la ligne nous situons-nous ?
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"Les frontières ne sont que des coups de crayon sur des cartes. Elles tranchent des mondes mais ne les séparent pas. On peut parfois les oublier aussi vite qu'elles furent tracées."
Cette citation est extraite d'un livre de Philippe Claudel Le rapport Brodeck : c'est la narration du meurtre d'un personnage étranger confiée à Brodeck, l'action se situe dans un petit village à quelque kilomètres d'une frontière, dans l'immédiat après-guerre. En fait l'histoire parle davantage de la culpabilité des villageois et de la notion bourreau/victime plus que de la notion de frontière. Pourtant dans leurs têtes il existe bien une frontière, celle qui n'accepte pas l'autre, celui qu'on ne connaît pas, l'étranger!
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