La Poste française vient d'éditer un timbre en hommage à Séraphine Louis, dite Séraphine de Senlis, à l'occasion du 80e anniversaire de sa mort, avec son tableau "L'arbre de Vie".
J'en profite pour lui rendre un vibrant hommage, car cette femme était totalement tombée dans l'oubli jusqu'à ce qu'un réalisateur tourne un long-métrage sur son histoire. Sa peinture est maintenant reconnue et classée dans l'art naïf, mais sa vie n'a pas été un long fleuve tranquille. à gauche, photo de Séraphine Louis, dans le catalogue de l’exposition Les Maîtres populaires de la réalité, Paris, 1937
à droite, Séraphine Louis photographiée vers 1935 devant un bâtiment de l'hopital psychiatrique • © Musée Henri Theillou
Sans instruction, Séraphine Louis, femme de ménage à Senlis,
a peint une centaine de tableaux entre 1905 et 1932. Découverte par un célèbre
collectionneur d'art, elle jouira de sa notoriété très peu de temps avant
de finir ses jours internée à l'hôpital psychiatrique de
Clermont-de-l'Oise.
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Fleurs dans un panier de Séraphine Louis, vers 1910,crayon, gouache et peinture dorée sur papier vergé, n° Inv. A.00.5.689, musée d’Art et d’Archéologie, Senlis • © Irwin Leullier |
En 1912, Séraphine Louis est embauchée comme femme de ménage
chez Wilhem Uhde. Ce collectionneur, critique et marchand d'art, ami de Picasso
et de Braque, a découvert Le Douanier Rousseau dans les années 1900. Pour
lui, il est évident que Séraphine possède un immense talent pour la peinture.
Seulement, en 1914, la guerre éclate. Wilhem Uhde, d'origine allemande,
est contraint de quitter la France. En partant, il encourage Séraphine à
persévérer dans cette voie, comme d'autres artistes autodidactes
qu'il nommera plus tard les Primitifs modernes.
"Elle refusait de parler de son art. Elle disait
: « La peinture, c’est ma vie. C’est la lumière. Et pour vivre,
il faut que je fasse des ménages ». Et elle appelait cela le travail noir", raconte
en 1969, le docteur Gallot qui l'avait bien connue.
Séraphine Louis est née dans une famille modeste à Arsy
dans l'Oise le 3 septembre 1864. Orpheline à l'âge de 7 ans, elle
est élevée par sa sœur aînée avant d'entrer au Couvent de la Charité
de la Providence à Clermont-de-l'Oise. De 1881 à 1901, elle y travaille en tant
que domestique. Elle gardera de cette période de sa vie une très forte
empreinte religieuse.
En 1906, Séraphine s'installe à Senlis où elle travaille
comme femme de ménage dans de grandes familles bourgeoises. Quelques années
plus tard, elle emménage dans un appartement situé 1 rue du Puits-Tiphaine.
C'est durant cette période qu'elle commence à peindre. Elle dessine
et peint sur de petites toiles, des panneaux de bois, des pots en terre
cuite, du carton. Sur tout ce qu'elle peut trouver.
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Les grenades de Séraphine Louis, vers 1915, huile et ripolin sur bois, n° Inv. A.00.5.352, musée d’Art et d’Archéologie, Senlis • © Christian Schryve |
"Elle n'a pas pris de cours, elle a commencé à peindre parce que son ange lui aurait dit de peindre", explique Alicia Basso Boccabella, responsable des publics au Musée d'Art et d'Archéologie de Senlis. Autodidacte, elle peint exclusivement des fruits et des fleurs, semble-t-il à partir de livres de botanique qu'elle trouve dans les foyers bourgeois. "Ses peintures sont très réalistes, elles s'ancrent vraiment dans la réalité. On les reconnaît très facilement aussi parce que les fruits flottent dans l'espace, ils ne sont pas posés sur une table comme chez Cézanne par exemple. On suppose donc qu'elle s'est inspirée des planches botaniques", décrit Alicia Basso Boccabella.
La nature comme seul maître
Treize ans plus tard, Séraphine produit désormais des toiles
de plus grand format, pouvant aller parfois jusqu'à deux mètres de
hauteur. Elle en présente six à l'exposition de la Société des Amis des Arts à
l'Hôtel de Ville de Senlis. Installé désormais à Chantilly, Wilhem Uhde la
retrouve et découvre cette évolution dans sa peinture. "De quelque chose
de très réaliste, on est passé à quelque chose d'imaginaire. C'est toujours
très symétrique, mais sa peinture est foisonnante, il n'y a plus aucun espace
de libre sur la toile", précise Alicia Basso Boccabella.
Séraphine peint avec du Ripolin, une laque industrielle qui
coule, l'obligeant ainsi à peindre par terre, à genoux. "Si
l'on prend n'importe laquelle de ses œuvres, on remarque que chaque
feuille a ses propres traits de pinceau. C'est très flagrant sur
l'Arbre de vie. Elle ne laisse pas le Ripolin sêcher donc
il y a des craquelures et c'est aussi ce qui fait la spécificité de ses
tableaux", décrit la responsable des publics du Musée
de Senlis. Autre particularité de l'artiste, elle signe ses œuvres
avant de peindre. "Elle signait S.Louis puis recouvrait la
signature de couleur. On ne sait pas vraiment pourquoi elle faisait ça,
elle ne parlait pas de ses œuvres", ajoute-t-elle.
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Les marguerites - 1925/1930 |
Si l'on parle d'art naïf aujourd'hui pour qualifier les œuvres de Séraphine Louis, une chose est certaine, celle-ci ne peignait pas
pour rentrer dans des cases. "Elle n'explique
pas pourquoi elle peint, comme vous n'expliquez pas pourquoi vous
respirez. Elle peignait pour elle-même, elle ne donnait même pas de
titre à ses tableaux, c'est Wilhem Uhde qui leur a donné des
titres par la suite",
explique Alicia Basso Boccabella. Lorsqu'elle peignait,
Séraphine était guidée par sa croyance en Dieu, en particulier la Vierge
Marie. "La légende dit qu'elle chantait, de manière très fausse
d'ailleurs, des cantiques tout en peignant, sourit la responsable des
publics au musée de Senlis. En tout cas, il y a une vraie mysticité
dans ses tableaux. On pense qu'elle cherche à représenter une flore
paradisiaque dans l'au-delà."
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Les grappes de raisins, vers 1930 |
En 1929, Séraphine est exposée aux côtés des Primitifs
modernes lors de l'exposition Les Peintres du Coeur sacré à la
galerie des Quatre-Chemins à Paris. La peintre acquiert ainsi
une petite notoriété et de l'argent qu'elle a tendance à dilapider un peu trop. "Dans
les années 30, Wilhem Uhde cesse de l'aider. Ne plus pouvoir
peindre a créé chez elle une décompensation, c'est-à-dire un état de détresse
subi", explique Alicia Basso Boccabella. Le 21 février
1932, après une forte crise psychotique, elle est internée à l'hôpital
psychiatrique de Clermont-de-l'Oise. Séraphine est alors
diagnostiquée comme étant atteinte de "psychose
chronique avec idées de grandeur prédominantes, hallucinations auditives et
idées délirantes imaginatives."
Durant ces années d'hospitalisation dans l'un des sites du
centre hospitalier à Villers-sous-Erquery, Séraphine ne peint plus, mais
écrit une quarantaine de lettres. "Ça part dans tous les sens,
confie Goty Clin, vice-présidente de l'association culturelle des
amis du CHI de Clermont. Elle écrit comme elle poserait des fleurs sur ses
toiles. Ses lettres sont bourrées de fautes." Elle y décrit ses
hallucinations et ses persécutions, mais aussi les mauvais traitements qu'elle
subit.
À l'instar de la sculptrice et peintre Camille Claudel, sa contemporaine exacte, Séraphine Louis meurt de faim dans un hôpital psychiatrique. Atteinte d'un cancer du sein et dans la misère la plus totale, elle meurt le 11 décembre 1942 dans l'annexe de l'hôpital à Villers-sous-Erquery, dans les dures conditions des asiles sous l'Occupation allemandeet dans l'indifférence générale. Son dossier médical conservé à l'hôpital de Senlis porte la mention « cueille de l'herbe pour manger la nuit ; mange des détritus ».
Séraphine de Senlis est enterrée dans une fosse anonyme du carré des indigents au cimetière de Clermont. Elle avait pourtant exprimé, dans ses dernières volontés, le souhait de voir graver sur sa tombe cette mention : « Ici repose Séraphine Louis, sans rivale, et attendant la résurrection bienheureuse ».
Ses tableaux estimés à des milliers d'euros
Après la mort de Séraphine, Wilhem Uhde continue
d'exposer ses tableaux, notamment lors d'une exposition exclusivement dédiée à
elle à la galerie de France à Paris en 1945. "Ce n'est que plus tard,
dans les années 70, lorsque l'on redécouvre l'art naïf, que l'on s'est vraiment
intéressé aux œuvres de Séraphine",
explique Alicia Basso Boccabella. Le musée
de Senlis en possède 21 sur 109, qui sont régulièrement
prêtées à d'autres musées : en France, en Allemagne, au Japon ou aux
États-Unis. "On a eu la chance l'année dernière de les avoir toutes
en même temps. À cause du confinement, on a dû mettre fin
à l'exposition qui était prévue, mais les œuvres sont visibles en visite virtuelle", précise
la responsable des publics du musée.
Les autres sont visibles notamment au musée Maillol de
Paris, au La<m à Villeneuve-d'Ascq ou encore au musée
international d'art naïf Anatole Jakovski à Nice. "Il y en a beaucoup
aussi dans les collections privées, indique Goty Clin. Lorsqu'elle
était dans le besoin, Séraphine troquait ses tableaux chez les commerçants de
Senlis, donc il est certain qu'il y en a encore beaucoup dans la nature, chez
des particuliers."
Aujourd'hui, certaines de ses plus grandes toiles sont
estimées à plusieurs centaines de milliers d'euros. "C'est un art qui
fonctionne très bien sur le marché, qui cote beaucoup", confie-t-elle.
Comme beaucoup d'artistes, Séraphine n'aura pas eu la chance de connaître cette
notoriété, elle qui disait selon le docteur Gallot, qu'elle aurait un jour
"sa statue sur la place de Senlis."
À défaut, Yolande
Moreau l'incarnera brillamment au cinéma dans le film Séraphine réalisé
par Martin Provost sorti en 2008 et récompensé par 7 Césars dont celui du
meilleur film et de la meilleure actrice. Des documentaires lui sont consacrés
également au musée Henri Theillou sur l'histoire de la
psychiatrie à Clermont.
Enfin, un catalogue raisonné de Pierre Guénégan regroupant
toutes les œuvres de Séraphine est paru en mars 2021, en vente chez
Artcurial. Pour la première fois, les lettres de l'artiste, écrites durant ses
années d'internement à l'asile de Clermont de l'Oise, sont publiées. L'ouvrage
comprend également de nombreuses analyses d'auteurs, historiens de l’art,
psychiatres et psychanalystes.
Sources : reportage France 3 + Wikipédia
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une des cartes postales retrouvées par Pierre Guénégan |
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Le Brestois Pierre Guénégan a « enquêté » pendant dix ans pour répertorier les œuvres de Séraphine Louis mais aussi comprendre ses motivations profondes (DR) |
Séraphine : « La femme m’a passionné autant que l’artiste »
A propos de cette "enquête", je vous renvoie à la lecture de
l'article passionnant publié par Sarah Morio dans le Télégramme du 03 juin 2021 sur le travail monumental élaboré par Pierre Guénégan sur Séraphine Louis, et notamment sur ce qu'elle a pu écrire lorsqu'elle est internée et dans l'impossibilité de peindre
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LE FILM "Joséphine" de Martin Provost - 2008
images du film "Joséphine" de Martin Provost
C'est par le biais du merveilleux film de Martin Provost sorti en 2008 où Yolande Moreau a su incarner Joséphine d'une manière absolument admirable, que j'ai entendu parlé la première fois de cette femme peintre. Cette très grande actrice a su rendre à la fois cette passion de peindre qui habitait Joséphine d'une manière quasi mystique, et les troubles mentaux qui vont aller croissant et finir par la conduire à l'asile où elle finira sa vie misérablement et oubliée de tous.