16 juin 2025

L'asperge est redevenu un légume pour les riches, pour Isabelle

J'ai choisi Isabelle et son ami Léon pour aborder ce thème en art postal, puisque cette correspondante adore représenter fruits et légumes au crochet, où elle excelle : j'espère qu'elle ne m'en voudra pas. 

Je te souhaite une bonne réception de ce mail-art, chère Isabelle, je suis sûre qu'avec ton amie Léon et ton amour de la belle laine, tu ne pourras que te réjouir de cette belle botte d'asperges vertes!
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J'ai envie de dénoncer ce slogan dont on nous a rabaché les oreilles depuis des années : "pour être en bonne santé, manger 5 fruits et légumes par jour" .

En effet, il me semble que pour être bon pour la santé, il faut répondre a minima à certains critères essentiels comme  qualité, fraicheur et accessibilité.

Les supermarchés font leur promotion en tête de gondole ou de la publicité dans nos boites à lettres ou à la télévision, et là ils jouent essentiellement sur le critère prix, sachant combien les gens traversent des difficultés économiques depuis plusieurs années. Conditionnés par tous ces effets d'annonce, et surtout si la famille est nombreuse, force est de constater que beaucoup d'entre nous succombent aux appâts qu'ils nous tendent. Et pourtant, il ne suffit pas de voir du vert dans son assiette ni de croire que la pomme de terre est un légume pour penser que c'est bon pour notre santé.
 
Lorsque les légumes ont poussé hors saison dans et sous des serres de plastique où l'on exploite des tas d'ouvriers agricoles sous-payés et vivant dans des conditions ignobles de chaleur (comme en Espagne par exemple), que certains poussent hors sol car nourris (ou plutôt biberonnés) avec de l'eau chargée de nutriments et de médicaments, croyez-vous qu'ils puissent être bons à consommer même s'ils sont les moins chers sur le marché? Trouvez-vous bon un concombre ou un melon qui vous est proposé dès février? Si l'on parle des fraises, vous savez celles énormes qui ressemblent à des pis de vache, très odorantes à l'extérieur mais totalement blanches dedans, vendues aussi dès le mois de février dans les hypermarchés, les trouvez-vous réellement délicieuses ? 

Et encore là,  je ne parle pas des intrants ni des insecticides dont ces fruits et légumes sont inondés pour éviter les maladies dans ces espaces de production gigantesques! J'ai récemment remarqué que les citrons ont un prix multiplié par 5 lorsqu'ils sont garantis sans pesticides, après récolte. C'est quand même un comble : il faut maintenant payer davantage pour avoir du "sans". Ceci prouve bien que tout est fait pour que nous succombions aux bas prix (et souvent les familles n'ont pas le choix), indépendamment des problèmes de santé induits par tous les traitements chimiques subis par les produits qu'on nous propose.
     
Personnellement, j'adore l'asperge, ce légume dont la saison est plutôt courte, un de mes grands bonheurs dans l'assiette,  avec la jardinière de légumes de printemps  (oignons nouveaux, petits pois frais, carottes et pomme de terre primeurs, feuilles de laitue et lardons fumés). Mais cette année, force est de constater que je n'ai pas les moyens de m'acheter certains de ces légumes qui, pourtant en pleine saison, sont vendus à des prix totalement fous! Et pourtant je ne crois pas faire partie des retraitées les plus pauvres.  Par contre, je dois dire que je suis exigeante sur la qualité des produits que j'achète et que je préfère souvent acheter peu mais acheter bon et frais!

Alors cette année où les prix pratiqués dépassent l'entendement, pas plus les petits pois frais que les asperges ne viendront garnir mon assiette. Idem pour les cerises (à plus de 15 euros le kg en pleine saison). Je fais le choix délibéré de m'en priver, car je n'arrive pas à acheter des produits venus de l'autre bout du monde (Chili, Maroc), ou bien qui sont "soldés" car ils ont bien trainé dans les rayons....

Honnêtement, je me demande qui peut encore aujourd'hui se payer 5 fruits et légumes par jour qui soient vraiment bons pour notre santé? C'est simple : uniquement les gros salaires!
Déguster des asperges, un mets réservé à l'aristocratie, comme sur le livret de cette chanson !
Le critère prix est non négligeable pour beaucoup, mais pour autant  tout est-il bon à acheter à bas coût? Pendant que l'agro-alimentaire s'enrichit sur notre dos à nous les consommateurs, les producteurs sont sous-rémunérés et beaucoup qui s'étaient convertis à la filière bio (la vraie, pas ce qui est vendu en grandes surfaces sous cette appellation) sont obligés d'abandonner et de revenir au "conventionnel". Quel dommage!
Ce n'est pas facile lorque je fais mes courses et je n'y parviens pas tout le temps mais j'ai décidé de choisir la voie de la consomm'action plutôt que celle de la consommation à tout va, par respect :

- pour les producteurs locaux et les maraîchers qui s'efforcent de remettre les sols en état avec la permaculture, la rotation des cultures en respectant le cycle des saisons, 
- pour le cycle de la nature : consommer en fonction des produits de saison de France
- pour préserver les ressources en eau de notre planète qui vont en s'amenuisant (finis les avocats en culture intensive au Pérou comme  sontgourmandes en eau les cultures du mais ou du coton partout) 
- pour permettre de conserver un maximum des surfaces cultivables et de forêt (c'est assez de détruire les forêts pour en faire du carburant "vert", assez de bitumes et d'artificialisation des sols pour bâtir des entrepôts genre Amazon ou des grandes surfaces...) 

et surtout, pour ma santé, en préférant le cuisiné maison plutôt que les plats déjà tout prêts à l'emploi (trop riches en graisses, en sel et en sucre, sans compter les additifs nombreux et dont l'effet cocktail n'a jamais été étudié).

Autre exemple : les protéines apportées par les légumineuses -ou légumes secs- tellement variées ne sont jamais valorisées, pourquoi ? Avez-vous vu de la publicité sur les lentilles vertes ou blondes, les pois chiches, les pois-cassés verts (tous de production française), les haricots secs rouges ou blancs ? c'est pourtant une alternative peu chère à la viande, au poisson et aux oeufs! Et bien oui, le mot magique est laché..rien ne doit entraver la consommation à outrance de la viande (et ses lobbyistes y veille).

Bon j'arrête là ma démonstration car vous savez déjà tous, plus ou moins, tout cela : chacun fait comme il peut dans cette jungle pour s'en sortir au mieux, mais comme dit l'adage, un homme averti en vaut deux !

Une petite aide ici, pour mieux s'y retrouver dans les fruits et les légumes, leur saison optimale pour être consommés et des recettes : https://www.lesfruitsetlegumesfrais.com/


*** LES ASPERGES DANS L'ART ***

PROUST ET LES ASPERGES

L'Allemagne de l'Est est le paradis des asperges (Spargelparadies). Vous trouvez ce légume en grande quantité sur tous les étalages des marchés est-allemands et notamment sur ceux du marché de Leipzig. Et cela est plus qu'appréciable quand on est, tout comme moi, un amateur d'asperges !

J'en ai d'ailleurs dégustées récemment ce qui m'a fait me souvenir d'une anecdote que j'ai lue dans Le côté de Guermantes, le troisième opus d' A la recherche du temps perdu de Proust. Le narrateur y évoque, en effet, un tableau représentant une botte d'asperges que le peintre Elstir a vendu à la duchesse de Guermantes et que la mari de cette dernière trouve affreux étant donné la caractère assez avant-gardiste de l'oeuvre. En note, il est rapporté l'anecdote selon laquelle, en 1880, le peintre Edouard Manet a réalisé une telle oeuvre suite à une commande faite par Charles Ephrussi (critique d'art, collectionneur russe et ami de Marcel Proust). Manet la lui vendait 800 Fr mais Charles Ephrussi lui en offrit 1000. Manet, homme qui aime l'humour, décida alors de lui offrir un tableau représentant une seule asperge pour remercier Ephrussi de sa générosité.

  

Une botte d'asperges, Edouard Manet (Musée d'Orsay) - voir le timbre - L'asperge, Edouard Manet (Musée du Louvre, Paris)
Mais, ce n'est pas la première fois que l'asperge est mentionnée dans l'oeuvre de Proust. Déjà, dans Du côté de chez Swann, le narrateur effectue une description de ce légume : "[...]mon ravissement était devant les asperges, trempées d’outremer et de rose et dont l’épi, finement pignoché de mauve et d’azur, se dégrade insensiblement jusqu’au pied,-encore souillé pourtant du sol de leur plant,-par des irisations qui ne sont pas de la terre. Il me semblait que ces nuances célestes trahissaient les délicieuses créatures qui s’étaient amusées à se métamorphoser en légumes et qui, à travers le déguisement de leur chair comestible et ferme, laissaient apercevoir en ces couleurs naissantes d’aurore, en ces ébauches d’arc-en-ciel, en cette extinction de soirs bleus, cette essence précieuse que je reconnaissais encore quand, toute la nuit qui suivait un dîner où j’en avais mangé, elles jouaient, dans leurs farces poétiques et grossières comme une féerie de Shakespeare, à changer mon pot de chambre en un vase de parfum."

Toujours dans le même chapitre, le narrateur se souvient d’un certain séjour chez sa grand-tante à "Combray" où Françoise, la gouvernante, réserva une place de choix à ce légume dans ses menus.

-"Madame Octave, il va falloir que je vous quitte, je n’ai pas le temps de m’amuser, voilà bientôt dix heures, mon fourneau n’est seulement pas éclairé, et j’ai encore à plumer mes asperges. »
-«Comment, Françoise, encore des asperges ! mais c’est une vraie maladie d’asperges que vous avez cette année, vous allez en fatiguer nos Parisien !»
-«Mais non, madame Octave, ils aiment bien ça. Ils rentreront de l’église avec de l’appétit et vous verrez qu’ils ne les mangeront pas avec le dos de la cuiller »


[...]"L’année où nous mangeâmes tant d’asperges, la fille de cuisine habituellement chargée de les « plumer » était une pauvre créature maladive, dans un état de grossesse déjà assez avancé quand nous arrivâmes à Pâques, et on s’étonnait même que Françoise lui laissât faire tant de courses et de besogne, car elle commençait à porter difficilement devant elle la mystérieuse corbeille, chaque jour plus remplie, dont on devinait sous ses amples sarraux la forme magnifique. Ceux-ci rappelaient les houppelandes qui revêtent certaines des figures symboliques de Giotto dont M. Swann m’avait donné des photographies. C’est lui-même qui nous l’avait fait remarquer et quand il nous demandait des nouvelles de la fille de cuisine, il nous disait : « Comment va la Charité de Giotto ? »[...]"

"La pauvre Charité de Giotto, comme l’appelait Swann, chargée par Françoise de les « plumer », les avait près d’elle dans une corbeille, son air était douloureux, comme si elle ressentait tous les malheurs de la terre ; et les légères couronnes d’azur qui ceignaient les asperges au-dessus de leurs tuniques de rose étaient finement dessinées, étoile par étoile, comme le sont dans la fresque les fleurs bandées autour du front ou piquées dans la corbeille de la Vertu de Padoue."

On apprend, un peu plus loin, la raison quelque peu sadique de cette prédilection :

"[...]bien des années plus tard, nous apprîmes que si cet été-là nous avions mangé presque tous les jours des asperges, c’était parce que leur odeur donnait à la pauvre fille de cuisine chargée de les éplucher des crises d’asthme d’une telle violence qu’elle fut obligée de finir par s’en aller."

A noter que l'asperge a fait son entrée dans la littérature grâce à Marcel Proust.

Nature morte aux asperges (1867) de Fernand Bonvin, conservée au musée Kröller-Müller d’Otterlo
Pour avoir arpenté le Louvre pendant sa jeunesse, alors qu’il était compositeur d’imprimerie puis employé à la Préfecture de police, François Bonvin (1817-1887) connaît les œuvres des peintres hollandais et surtout celles de Chardin. Il se spécialise dans les scènes religieuses, de type Charité dans un hospice, et dans les natures mortes. Les animaux y rivalisent de naturel avec les fruits et légumes.

Botte d’asperges au verre de vin rosé (2004) de Bernard Londinsky sur le site d’Artprice

De nos jours, l’asperge fait encore le bonheur des peintres avec son opposition de blanc, vert et violet. Ici, Bernard Londinsky (né en 1932), élève du peintre Roland Bourigeaud, pose sa botte sur une petite planchette de bois et fait jouer de manière hyperréaliste les asperges à têtes vertes entre celles aux légers reflets roses, violets et rouges. Il la flanque d’un verre de vin et d’une branche de groseilles bien mûres. Un trompe-l’œil admirablement exécuté.

Le Bottelage des asperges (1884) d’Hippolyte Pierre Delanoy,conservé au musée Henri Martin de Cahors
Pour le peintre d’histoire, de portraits et de natures mortes Hippolyte Pierre Delanoy (1849-1899), il s’agit d’abord de faire briller les armures, de rendre le soyeux d’une texture, d’évoquer quelque recoin d’une ferme comme faisaient ses maîtres Léon Bonnat et Antoine Vollon à la recherche d’un réalisme parfait. Comme les peintres hollandais, il se passionne pour le détail, celui d’une asperge brisée au premier plan, lors de sa mise en botte. 

Nature morte aux asperges (1697) de Adriaen Coorte, conservée au Rijksmuseum d’Amsterdam
Pendant d’un bol de fraises rutilant sur fond noir, cette nature morte aux asperges est caractéristique du travail précis d’Adriaen Coorte (vers 1665-après 1707), un artiste de Middelburg en Hollande. S’il est connu pour ses représentations d’animaux comme des pélicans ou des canards, il a reçu de nombreuses commandes de compositions de fruits et légumes répondant à des céramiques chinoises et de la vaisselle de cuivre ou d’argent. Tout un jeu de matières et de reflets.

Moi, j'ai un faible pour cette "Nature morte avec un panier de fruits et une botte d'asperges" peinte par une femme, Louise Mouillon, en 1630.

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