19 juin 2025

MO006 - Chant populaire ouvrier de 1846, de L'Être anonyme

Quand je vous dis qu'il est très difficile de parler encore et d'illustrer le monde ouvrier en France, ma correspondante bretonne L'Être anonyme vient de s'en rendre compte!

Pour joliment compenser ce manque d'images, elle m'adresse d'une façon très originale les paroles du "Chant des ouvriers" de 1846, écrit paroles et musique par Pierre Dupond (1821-1870). Sous la forme d'un hexagone (=la France), le mail-art présente sur chacun des ses côtés un couplet de la chanson, au centre le refrain final et sur chacun des angles de la figure géométrique le timbre ainsi qu'une fraction de mon adresse. Quelle belle idée !

Écrite, publiée, et fort diffusée en 1846-1847, cette chanson de Pierre Dupont connut évidemment une seconde jeunesse sous la Seconde République, avec des résonances évidemment différentes avant et après Juin 1848 :

Le  Chant des Ouvriers

Nous dont la lampe, le matin,
Nous tous qu’un salaire incertain
Ramène avant l’aube à l’enclume,
Nous qui des bras, des pieds, des mains,
Au clairon du coq se rallume,
De tout le corps luttons sans cesse,
Sans abriter nos lendemains,
Contre le froid et la vieillesse,

Aimons-nous, et quand nous pouvons
Nous unir pour boire à la ronde,
Que le canon se taise ou gronde,
Buvons (ter)

A l’indépendance du monde !
Nos bras, sans relâche tendus
Aux flots jaloux, au sol avare,
Ravissent leurs trésors perdus,
Ce qui nourrit et ce qui pare :
Perles, diamants et métaux,
Fruit du coteau, grain de la plaine ;
Pauvres moutons, quels bons manteaux
Il se tisse avec notre laine !

Aimons-nous, et quand nous pouvons
Nous unir pour boire à la ronde,
Que le canon se taise ou gronde,
Buvons (ter)

Quel fruit tirons-nous des labeurs
Qui courbent nos maigres échines !
Où vont les flots de nos sueurs ?
Nous ne sommes que des machines.
Nos Babels montent jusqu’au ciel,
La terre nous doit ses merveilles :
Dès qu’elles ont fini le miel,
Le maître chasse les abeilles.

Aimons-nous, et quand nous pouvons
Nous unir pour boire à la ronde,
Que le canon se taise ou gronde,
Buvons (ter)

Au fils chétif d’un étranger
Nos femmes tendent leurs mamelles,
Et lui, plus tard, croit déroger
En daignant s’asseoir auprès d’elles ;
De nos jours, le droit du seigneur
Pèse sur nous plus despotique !
Nos filles vendent leur honneur
Aux derniers courtauds de boutique.

Aimons-nous, et quand nous pouvons
Nous unir pour boire à la ronde,
Que le canon se taise ou gronde,
Buvons (ter)

Mal vêtus, logés dans des trous,
Sous les combles, dans les décombres,
Nous vivons avec les hiboux,
Et les larrons, amis des ombres ;
Cependant notre sang vermeil
Coule impétueux dans nos veines
Nous nous plairions au grand soleil,
Et sous les rameaux verts des chênes.

Aimons-nous, et quand nous pouvons
Nous unir pour boire à la ronde,
Que le canon se taise ou gronde,
Buvons (ter)

A chaque fois que par torrents
Notre sang coule sur le monde,
C’est toujours pour quelques tyrans
Que cette rosée est féconde ;
Ménageons-le dorénavant,
L’amour est plus fort que la guerre ;
En attendant qu’un meilleur vent
Souffle du ciel ou de la terre,

Aimons-nous, et quand nous pouvons
Nous unir pour boire à la ronde,
Que le canon se taise ou gronde,
Buvons (ter)
A l’indépendance du monde !

Pierre Dupont, Le chant des Ouvriers Le chant des Ouvriers par Pierre Dupont. Prix : 2 sous. Paroles et musique. 
A Paris, chez l’Auteur, rue de l’Est, 17. Impr. Bautruche. Tantestein et Cordet, 90 rue de la Harpe. 1848

Je ne connais pas encore ce chant mais je vous propose de l'écouter, interprété par le Groupe Tapage Nocturne :

Vidéo publiée sur la chaine Youtube du groupe Tapage Nocturne
TAPAGE Album N°2 - 7 - Le chant des ouvriers - chant populaire - Pierre DUPONT 1821-1870

Des Dupuis, des Durand... Hommage à un Dupont. On ne lit plus Pierre Dupont. Les histoires de la littérature ignorent ou ne le mentionnent qu'en raison de l'intérêt que Baudelaire lui portait. Pierre Dupont, il est vrai, n'appartenait pas au milieu littéraire, n'était pas poète poli au contact des écoles savantes, mais un ancien canut lyonnais devenu chansonnier populaire autodidacte, chantant lui-même ses chansons qui décrivaient la misère, les révoltes des paysans et des ouvriers. C'est sur les paroles du chant des ouvriers que nous avons écrit cette mélodie valsée, hymne que nous reprenons tous en cœur pour finir, en hommage... 
Christelle DURAND : accordéons diatoniques SOL/DO et RÉ/SOL Stéphane DURAND : Vieille acoustique et électro-acoustique Régis DUPUIS : Cornemuse 20 et 23 pouces et accordéon SOL/DO Brigitte DUPUIS : chant et voix Emmanuel "Manu" DUPUIS : Violon Guillaume DURAND : clarinette et saxophone Christophe Brégain : percussions Rémy Abiven : Contrebasse Co-prod : sutiod Blatin - Tapage - 2000 Enregistrement / mixage : Fred Ibanez Maquette et Desing : Régis Dupuis Photos : Jeff Dantin, François Laugine, Patrice Dalmagne Distribution : L'AUTRE DISTRIBUTION

*** Pierre Dupont vu par Charles Baudelaire ***
Source Wikipédia

Dans sa préface au recueil Chants et chansons de Dupont, Baudelaire écrit en 1851 un vibrant hommage à l'homme et au poète : «Raconter les joies, les douleurs et les dangers de chaque métier, et éclairer tous ces aspects particuliers et tous ces horizons divers de la souffrance et du travail humain par une philosophie consolatrice, tel était le devoir qui lui incombait, et qu'il accomplit patiemment. Il viendra un temps où les accents de cette Marseillaise du travail circuleront comme un mot d'ordre maçonnique, et où l'exilé, l'abandonné, le voyageur perdu, soit sous le ciel dévorant des tropiques, soit dans les déserts de neige, quand il entendra cette forte mélodie parfumer l'air de sa senteur originelle,

Nous dont la lampe le matin
Au clairon du coq se rallume,
Nous tous qu'un salaire incertain
Ramène avant l'aube à l'enclume…

pourra dire : je n'ai plus rien à craindre, je suis en France ! (…) Quand je parcours l'œuvre de Dupont, je sens toujours revenir dans ma mémoire, sans doute à cause de quelque secrète affinité, ce sublime mouvement de Proudhon, plein de tendresse et d'enthousiasme : il entend fredonner la chanson lyonnaise,
Allons, du courage,
Braves ouvriers !
Du cœur à l'ouvrage !
Soyons les premiers.

et il s'écrie : Allez donc au travail en chantant, race prédestinée, votre refrain est plus beau que celui de Rouget de Lisle.»

1 commentaire:

Catherine a dit…

Et toi tu me fais découvrir "Tapage", c'est chouette les partages