30 septembre 2024

Les cabanes d'Agnès Varda : que du bonheur, pour Stéphanie

Ma correspondante voironnaise Stéphanie, artiste découpeuse sur papier,  aime beaucoup les cabanes que l'on retrouve souvent dans ses créations. Elle aime également beaucoup le cinéma. Je sais qu'elle apprécie beaucoup elle-aussi la personnalité et l'oeuvre d'Agnès Varda. 

Le DVD du film Le Bonheur crédit photo Ciné-Tamaris
La serre du bonheur, installation d'Agnès Varda au Domaine de Chaumont-sur-Loire, 2019 - © Éric Sander
 La Cabane du Bonheur - maquette, 2017, Collection Fondation Villa Datris, photo © Bertrand Michau

Alors c'était tout trouvé de lui adresser un mail-art hommage à Agnès où celle-ci a utilisé les pellicules de son long-métrage Le Bonheur tourné en 1964 devenues inutiles à l'ère du numérique pour en faire une (voire plusieurs) cabanes dans des installations d'art contemporain 

Ecoutons Agnès nous en parler : “Pour moi la nostalgie du cinéma en 35 mm s’est transformée en désir de recyclage… Je bâtis des cabanes avec les copies abandonnées de mes films. Abandonnées parce qu’inutilisables en projection. Devenues des cabanes, maisons favorites du monde imaginaire.

À l’époque, les copies de films arrivaient dans les cabines de projection sous forme de 5 à 8 boîtes de métal, rondes comme des galettes de 4 cm d‘épaisseur. Dans chaque boîte une bobine en métal sur laquelle était enroulé un grand ruban de 500 à 600 mètres de pellicule : c’était le film en images avec sur le côté le dessin optique du son. Le projecteur de la cabine avait deux lampes, l’une transmettait l’image, l’autre le son. De nos jours le support de chaque film est un fichier numérique, image et son, qui pèse en moyenne 200 g quand il n’est pas dématérialisé. On a jeté un peu partout des quantités de bobines et de pellicules… Pour mes films et ceux de Jacques Demy on s’est retrouvés avec des copies et des copies, dont les salles de cinéma ne veulent plus. On sait que je m’intéresse au glanage et au recyclage.

C’est la troisième cabane que je construis. Pour chacun de mes films j’imagine une forme particulière. Le film Le Bonheur réalisé en 1964 contait l’histoire d’un couple heureux, incarné par Jean-Claude Drouot, sa femme et ses enfants. Ils aimaient les pique-niques. J’avais tourné en Ile-de-France en pensant aux peintres impressionnistes. On entendait du Mozart. Le générique était tourné près d’un champ de tournesols, ces fleurs d’été et de bonheur.

Cette serre, avec ses doubles fenêtres si particulières, est fabriquée avec une copie entière du film, 2 159 mètres, qui permettront de compléter la construction. Les visiteurs pourront entrer dans la cabane et voir de plus près, les images du film en transparence. 24 images de la douce Claire Drouot valent une seconde de film. On est entourés par la durée du film et par les images d’un temps passé. Quant aux boîtes pour transporter les bobines elles sont devenues obsolètes. J’aime ces boîtes. Je me souviens qu’on en trimballait des masse (une centaine au moins) qui tintaient quand on les jetait dans les coffres de voiture pour aller mixer les films. Des boîtes pour l’image, pour les dialogues en direct, pour des musiques, pour les bruits… Est-ce encore nostalgie et/ou recyclage ? Une arche royale faite de ces boites vides de pellicules 35 mm nous invite à entrer dans le royaume de la seconde vie des films.” 

***  La Serre du Bonheur - Agnès VARDA Artiste visuelle  ***
extrait d'un article trouvé sur le site  anglais : https://www.crash.fr/we-remember-our-meeting-with-agnes-varda/

Vous venez d’inaugurer votre exposition Une Cabane de cinéma : la serre du Bonheur à la Galerie Nathalie Obadia. Le Bonheur est un film magnifique qui prend encore plus de sens dans cette cabane créée à partir des copies du film.
Dans cette serre, on fait pousser des plantes, et tout a été fait à partir d'une copie intégrale du film : 2 500 mètres de copies. C'est du recyclage, au sens sentimental comme au sens propre. On a recyclé le film lui-même, qui ne sert plus à rien, et j'ai aussi recyclé l'idée du film. Les copies sont la peau d'un film, c'est-à-dire qu'on a créé un organisme qui existe par lui-même. On peut « entrer » dans le film, même si ce n'est que dans un sens allégorique. J'ai aussi réalisé des caissons lumineux à partir des images de tournesols montrées au générique du Bonheur . Sur l'un est écrit « Mozart », sur l'autre « Claude Beausoleil » (le directeur de la photographie au nom magnifique) et sur le dernier, mon nom apparaît. C'est comme une version miniature du générique placé dans une boîte. L'idée est d'adapter le film à d'autres formes et supports.
En même temps, cela crée un lien entre votre travail de photographe et votre travail de réalisateur. On peut discerner les vingt-quatre images par seconde.
Oui, on les voit étalées. Puisque vous avez parlé de vingt-quatre images par seconde, je montre dans la petite salle du fond la pièce Images capturées, qui sont deux triptyques réalisés à partir d'une séquence de Vagabond . Dans cette séquence, Sandrine Bonnaire est poursuivie à travers un village par des monstres déguisés en animaux. En regardant la séquence au ralenti, j'ai extrait un vingt-quatrième d'une image, six fois différentes. Nous avons fait un tirage de chaque image capturée. Je trouve cela extrêmement intéressant parce qu'il s'agit encore une fois d'une forme de recyclage mental. Vagabond est complètement décortiqué. On ne connaît pas l'histoire, on ne sait pas ce qui se passe, mais on est dans la violence, une violence sans explication. La violence est montrée de tellement de façons aujourd'hui, que ce soit dans les films de guerre ou dans les relations sexuelles. Ce qui m'intéressait, ce n'était pas les histoires de violence, mais plutôt l'expression du sentiment de violence.
Parlons davantage du film Le Bonheur 
C'est un film solaire tourné dans une magnifique lumière d'été. Mais il y a aussi du drame et de l'ombre, comme dans les œuvres douces de Mozart qui contiennent leur propre angoisse. Le film est presque une exagération du bonheur, ou un cliché : un beau jeune homme, une belle jeune femme et des enfants. Tout cela est tellement cliché, mais il suffit d'un petit coup de pouce pour que tout s'écroule. C'était un film fragile et presque dangereux. J'avais dit quelque chose de très cruel à l'époque : « Chacun est unique mais remplaçable. » La cellule familiale est importante pour la notion de société. Si le rôle social fonctionne, s'il y a un père, une mère et des enfants, alors la cellule familiale fonctionne. Si on enlève un élément, il faut le remplacer. On ne peut pas avoir de trou… Le monde est plein de trous aujourd'hui.
Comment vous est venue l’idée du scénario ?
Très facilement. Sans trop réfléchir. Je l’ai écrit rapidement – ​​et je l’ai tourné rapidement aussi. Je suis allé voir Jean-Claude Drouot, qui était la vedette de l’émission Thierry La Fronde , et je lui ai proposé de jouer dans mon film. Je voulais – je souhaitais – qu’il vienne avec sa femme et ses enfants. Il a accepté. Et sa femme aussi. Puis nous avons tourné le film.
Pourquoi avoir voulu présenter la cabane du Bonheur plutôt que les autres cabanes de Vagabond ou de La Pointe Courte ?
La galerie et sa verrière se prêtaient davantage à l’installation d’une serre. La tente de Vagabond aurait été trop petite. Je pense que l’espace inspire ce que l’on y place. La première exposition que j’ai montée était à la Fondation Cartier, imaginée par Jean Nouvel. Dès que j’ai vu l’espace vaste et lumineux, j’ai tout de suite pensé à installer une cabane en pellicules de films recyclés. J’avais fait un film intitulé Les Glaneurs et moi , j’avais donc déjà en tête l’idée du recyclage. Le glanage, par définition, c’est la collecte de choses que d’autres ont jetées. Nos copies 35 mm ont été jetées, car nous ne projetons plus que des fichiers numériques. Une ou deux salles ont conservé les vieux projecteurs 35 mm par pudeur et les utilisent de temps en temps. Toutes les copies représentant le cinéma que nous aimions ont maintenant été jetées. J’ai eu simplement l’idée simple de recycler, avec un peu de nostalgie et l’envie de faire revivre ces films. Avant, on avait besoin de centaines de caisses en fer pour transporter les bobines de films et tout d'un coup elles sont devenues inutiles. J'ai utilisé ces caisses pour faire une arche : L'Arche de Cinéma est un simple recyclage et mon envie de faire une arche d'entrée.
Quand avez-vous commencé à faire de l’art en plus du cinéma ?
Cela a commencé avec la Biennale de Venise en 2003. J’ai été invitée par Hans Ulrich Obrist. Il a créé une section appelée Utopia Station où il voulait inviter des gens qui n’étaient pas étiquetés comme « artistes ». Il a notamment fait venir l’écrivain Edouard Glissant. C’était un pur bonheur pour moi. J’avais déjà fait des photos et des vidéos de pommes de terre en forme de cœur. Je me suis sentie prête quand Hans m’a appelée. J’ai donc exposé Patatutopia. C’était beau de voir les grands écrans avec toutes ces pommes de terre en forme de cœur qui respirent. Maintenant, on peut me qualifier d’artiste plasticienne, puisque je fais des triptyques. Les triptyques et les retables du XVe siècle sont une forme d’art que j’adore, parce que j’aime comment ils s’ouvrent et se ferment. Et le chiffre trois est très fort. J’ai fait plusieurs portraits avec des panneaux en vidéo, avec le panneau du milieu affichant un portrait en pellicule argentique et les panneaux latéraux affichant des images numériques pleines de couleurs et plus actuelles. J’aime combiner le noir et blanc et la couleur, le film et la photographie, les parties fixes et en mouvement. Il est impossible d’exercer un tel métier visuel sans tout insérer dans un flux plus large. Hélas, en France, on me considère comme un "grand cinéaste" mais jamais comme un "grand artiste". Certains musées américains ont acheté certaines de mes pièces. Il y a un de mes triptyques au MoMA, et le LACMA a acheté une de mes cabanes de cinéma et une fresque murale de vingt mètres. En France, la Fondation Cartier m’a remarqué et m’a proposé une vaste exposition. Maintenant, j’ai la chance d’être invitée à la Galerie Nathalie Obadia, ce qui est un vrai plaisir.

Agnès Varda exposa une cabane en forme de serre où poussent des tournesols lors de sa toute dernière installation dans les jardins de Chaumont sur Loire en 2019. 

 
Serre du bonheur, installation d'Agnès Varda au Domaine de Chaumont-sur-Loire, 2019 - © Éric Sander
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Chère Stéphanie, je  te souhaite une belle réception de cet art postal textile, ainsi qu'un beau début d'automne. 

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