Je poursuis la réalisation du carnet à quatre mains sur le thème de la mer et de la poésie pour Gisèle par cette nouvelle double-page.
Affiche et carte postale anciennes visualisées sur Pinterest
Le bain de mer sur prescription médicale
Se baigner dans la mer est longtemps resté marginal. Quelques mentions anciennes existent mais l’essor se fait à partir de la fin du XVIIIe siècle, dans un but thérapeutique. Les bains de mer se développent d’abord au Royaume-Uni comme à Brighton, Blackpool, Bournemouth, Margate. Il s’agit de faciliter la guérison des maladies ou de fortifier les corps. Des médecins comme Russel vantent le bain de mer en cas de rage, scrofule (écrouelles), lymphatisme, apoplexie (AVC), etc.
Les Anglais vont traverser la Manche et favoriser le développement du bain de mer. Dès 1763, on trouve des mentions du médecin et écrivain Richard Smollett se baignant à Boulogne pour des raisons thérapeutiques. Cette habitude se développe à partir des années 1780.
Dans un premier temps, en Europe continentale, des établissements sont créés à Dieppe puis à Boulogne-sur-Mer. En 1785, François Cléry de Bécourt ouvre un établissement où l’on profite surtout de l’eau de mer dans des baignoires ou des douches. Les espaces sont en sous-sol pour être alimentés en eau salée par la marée. Certaines baignoires sont suspendues pour reproduire le mouvement apaisant des vagues. Hommes et femmes sont séparés dans deux pavillons.
Cléry de Bécourt symbolise l’enrichissement d’une bourgeoisie entreprenante qui obtient l’anoblissement au XVIIIe siècle. Il est issu du milieu des négociants, son père est un échevin boulonnais, sa mère est espagnole. Il naît à Séville, s’installe avec sa famille à Boulogne, s’inspire d’une pratique britannique mais c’est dans les thermes italiens qu’il faut chercher le modèle de son établissement. Cléry de Bécourt confie les travaux à l’architecte boulonnais Sannier.
Cet établissement n’est pas une grande réussite, il est sans doute trop tôt, d’autant plus que le contexte révolutionnaire ne facilite pas les choses. On observe une reprise à partir des années 1820, accentuée par la visite de la duchesse de Berry, belle-fille de Charles X, en 1825.
Un deuxième établissement des bains est fondé cette année-là, par Antoine Versial, originaire de Grenoble. Il confie la construction de son établissement au Boulonnais Joseph Marguet. Ce dernier conçoit aussi des voitures qui permettent de prendre des bains de mer. Le bain ne se prend plus dans l’établissement mais dans la mer. Sur la plage, hommes et femmes sont clairement séparés.
L’établissement des bains va profiter de la multiplication des préconisations médicales en faveur des bains de mer. A Boulogne-sur-Mer, Rouxel, médecin à l’hôpital, traduit les médecins anglais comme Buchan vantant les bains de mer et il loue les avantages de la plage boulonnaise.
L’émergence du phénomène balnéaire
L'établissement de Versial montre aussi une évolution dans la pratique balnéaire. Il propose de nombreux espaces de loisirs. Autour de la grande salle des fêtes, s’organisent des salles de lecture, billard, salons, etc. Installé sur le front de mer (alors que la ville historique se trouve en hauteur), le nouvel établissement montre une nouvelle dimension mondaine. Peu à peu l’argument médical passe à l’arrière-plan et la plage devient un loisir. Une terrasse-belvédère permet d’admirer la mer, pour l’instant bien à l’abri du soleil, sous une tente. Cet établissement, vu les tarifs pratiqués, est réservé à une clientèle huppée qui vient avec « ses » domestiques ou cherche à les recruter.
Racheté par la municipalité qui fait des travaux pour le rendre plus attractif, l’établissement propose à partir de 1863 de nouvelles salles d’hydrothérapie, des salons pour lire, pour jouer et une des premières piscines découvertes de France (si ce n’est la première), sur le modèle de Brighton. A partir de 1866, un aquarium pittoresque attire les clients.
Loger et divertir les vacanciers
Dans le sillage de ces établissements, se développent de nombreux hôtels et restaurants. Dans les années 1820, on compte cinq hôtels mais leur nombre ne va cesser d’augmenter au XIXe siècle. En 1839, on en dénombre 14, en 1844 sur le plan d’Hopkins, 36.
Le profil des propriétaires est varié mais il y a souvent peu de renseignements sur eux (et encore moins sur leurs employés). L’Hôtel du Nord est géré par Victor Muhlberque, ancien officier de la Grande Armée, Parisien marié à une femme du Nord. Ces établissements cherchent à attirer la nombreuse clientèle anglaise qui apprécie précocement les bains de mer. Les hôteliers sont parfois anglais. Le nom des hôtels est révélateur : hôtels de Londres, Bedford, Bristol, White Horse, Folkestone, Royal, British, etc.
Pour s’y retrouver, les guides ou les journaux recensent les bonnes adresses. Certains hôtels sont des références. D’abord l’Hôtel du Nord fondé par Muhlberque, qui accueille hommes d’Etat (Louis-Philippe et son fils le duc de Nemours, Napoléon III) ou de lettres (Victor Hugo, Walter Scott, etc.), puis l’Hôtel du Pavillon, devenu Hôtel du Pavillon impérial en 1854. Beaucoup ressemblent aux constructions parisiennes de la même époque.
Ces hôtels évoluent sans cesse, tel l’Hôtel des Bains. Ancien « établissement d’hydrothérapie » de Cléry évoqué plus haut, il est transformé en Hôtel des bains et change régulièrement de mains.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les hôtels ont tendance à se regrouper. Afin de se démarquer d’une concurrence féroce, il propose un accueil aux gares ferroviaire ou maritime, en 5 langues.
Dans la suite de ces hôtels, de nombreuses pensions de famille, des meublés ou des logements chez l’habitant se développent. Souvent, la famille habite au sous-sol ou au rez-de-chaussée l’été pour pouvoir louer les étages supérieurs aux touristes. C’est une pratique répandue, à tel point que lors de la reconstruction après 1945, les habitants du Portel, proche de Boulogne, demandent aux architectes et urbanistes de tenir compte de cette pratique.
A Boulogne, il y a peu de villas. Celles-ci font leur apparition dans les stations plus tardives de la seconde moitié du XIXe siècle, comme Deauville, Le Touquet, Wimereux etc. Les villas ne font leur apparition à Boulogne qu’à la fin du siècle, dans une petite portion du front de mer.
Des équipements voient aussi le jour pour divertir les touristes, en premier lieu un casino. En 1857, la grande rivale, Dieppe, crée un nouvel établissement de jeux. La municipalité réplique en inaugurant un casino en 1863 dans l’établissement de Versial. Les modernisations sont régulières pour que Boulogne résiste à la concurrence des autres stations balnéaires qui se développent alors. En 1895, le casino est à nouveau rénové.
Un musée est aussi visitable. Les artistes sont nombreux à se rendre à Boulogne et contribuent à faire parler de la ville : Liszt, Eugène Boudin, Manet.
Faire venir des touristes à Boulogne
Les vacanciers arrivent dans un premier temps surtout par mer, venus du Royaume-Uni. Les infrastructures du port vont se développer, tant celles liées à la pêche que celles liées au transport des voyageurs. Boulogne est une étape pour les Britanniques faisant leur Grand Tour ou pour les personnalités en visite en France. Les liaisons régulières avec l’Angleterre existent depuis 1822 et elles ne vont cesser de se développer.
Les Français vont aussi se tourner vers la plage et le chemin de fer va permettre de les conduire jusqu’à Boulogne. C’est notamment le combat d’Alexandre Adam, le maire de Boulogne, conscient de la nécessité de pouvoir acheminer un grand nombre de personnes pour remplir les hôtels. Il est aussi président de la Chambre de Commerce et du Conseil général du Pas-de-Calais. Une ligne vers Amiens est créée en 1848, qui est ensuite prolongée vers Lille et surtout Paris.
La compagnie du Chemin de Fer du Nord réalise de nombreuses publicités mettant en valeur la ville, tout comme les compagnies maritimes.
La Mairie lance aussi des aménagements pour faire face à l’afflux des vacanciers : égouts, éclairage au gaz, construction du pont sur la Liane (la rivière au centre de Boulogne), digue pour se promener en bord de mer et même certains trottoirs en marbre.
A Boulogne, station balnéaire à la mode, de nombreuses animations sont proposées pendant la saison : théâtre, notamment en anglais, musique, feux d’artifice, magie, sports, jeux, courses à âne, tir aux pigeons, excursions en mer ou dans l’arrière-pays, etc. Cette offre est mise en valeur dans la publicité qui se développe en cette fin du XIXe siècle. Certaines personnes sont aussi attirées à Boulogne par la dévotion mariale, la ville étant aussi un lieu de pèlerinage et de processions religieuses.
Des expositions internationales sont organisées, comme en 1866 l’exposition universelle autour de la pêche, sous l’égide de Napoléon III, ou en 1877, une exposition internationale des beaux-arts.
Pour conseiller les touristes, diverses cartes ou guides sont édités. Le guide Brunet connaît de nombreuses éditions, sous l’égide du « Comité de publicité de Boulogne ». On y retrouve l’incontournable plan détachable, des éléments historiques, les animations proposées, les heures des marées, les excursions possibles et même les places au théâtre. Il existe une version anglaise pour cette clientèle choyée, comme en témoigne aussi The Tableau de Boulogne-sur-Mer et The Visitor’s guide in Boulogne par Griset. Le « Comité de publicité » et l’établissement des bains proposent aussi le Petit guide officiel de l’étranger distribué gratuitement aux touristes.
L’image de Boulogne est aussi diffusée plus largement par le bouche à oreille, via les photographies de famille ou les dioramas.
La mer reste perçue comme dangereuse et les baigneurs doivent respecter des précautions. Dès 1824, un ancien marin propose ses services de sauvetage de mai à octobre. Des générations de sauveteurs vont se succéder.
Un tourisme balnéaire de plus en plus sportif
La forte présence de la communauté anglaise va favoriser le développement de sports issus du Royaume-Uni.
Les courses de chevaux, d’avirons et les régates se développent grâce à l’anglomanie. Des sports alors plus confidentiels émergent aussi. Un club de tennis, ou lawn-tennis, est fondé fin XIXe siècle, après que les joueurs ont pratiqué sur la plage. Il regroupe une poignée de joueurs et de joueuses au pied des remparts.
Le golf se développe lentement à Hardelot, en périphérie de Boulogne. Le football apparaît. D’un jeu de gentlemen anglais en villégiature au XIXe siècle, il devient un sport apprécié des travailleurs boulonnais.
Les nouveaux modes de locomotion sont aussi l’objet de courses effrénées. Les courses de cycles sont d’abord à la mode, le but étant aussi de former de bons soldats.
Ensuite, les courses de voitures apparaissent au début du siècle avant de se multiplier dans l’entre-deux-guerres. Il existe même des « concours d’élégance » pour les voitures, avec parfois une vedette pour en faire la publicité. La natation est donc loin d’être le seul sport pratiqué à Boulogne.
Le déclin de l’activité balnéaire à Boulogne
Boulogne-sur-Mer doit faire face à la concurrence de nombreuses autres stations balnéaires qui se développent sur la « Côte d’Opale » et ailleurs. De plus, la ville de Boulogne, premier port de pêche français, décide de miser sur son activité portuaire et industrielle. Si au XIXe siècle, les estivants sont ravis de contempler les activités du port, c’est moins le cas au XXe siècle où les ports s’agrandissent, s’industrialisent et se ferment. Cette photographie de 1925 montre que l’industrie marque désormais le paysage boulonnais avec ses cheminées.
La Première Guerre mondiale ralentit l’activité balnéaire. La ville voit passer les troupes venues du Royaume-Uni, de Belgique, du Congo, etc. Les Américains arrivent en 1917 à Boulogne avec Pershing. Certains hôtels sont transformés en hôpitaux.
C’est surtout la Seconde Guerre mondiale qui marque un coup d’arrêt à l’activité balnéaire. Zone logistique en temps de guerre, la ville est bombardée de 1940 à 1945, par les Allemands puis par les Alliés ...
Toute lumière, l’eau recouvre le corps de nappes légères et les découvre. A l’air, la chair mouillée scintille, notes aiguës d’une flûte, ultimes tremblements des sons d’une cymbale.
Baignée, elle s’enlumine d’une huile topaze brûlée. Un vin muscat miroite dans le soleil. Le flux et le reflux, aussi mobiles que les éclats et les ombres que danse sur le sol un platane agité par le vent, dessinent sur la chair des feuilles qui se dorent et brunissent.
II
Elle va, nageant une brasse volontaire, scandée.
Elle se modèle sur une vision à vol d’oiseau qu’ils avaient eue ensemble au château d’If : un corps de femme et ses membres bronzés se ramassent sur eux-mêmes et se détendent sur un rythme égal, d’une manière mécanique et souple, dans une mer verte. La profondeur sensible pourtant se réduit au plan. La nageuse glisse lentement, image double du mouvement et de l’immobilité si parfaite, écrite au pochoir.
III
Il est massé et désarticulé membre à membre par à-coups hasardeux de douceur et de force. Il flotte, les yeux ouverts, seul est présent, ailleurs, un ciel qui ne commence nulle part et n’a pas de fin. Il n’est plus soumis à la pesanteur terrienne, ainsi après l’amour lorsque se dissout le monde de l’extase dans lequel la jouissance, après une débauche de reliefs, a enivré l’espace et brouillé ses dimensions.Il respire sur un rythme très lent, sept battements de cœur dans un sens, sept dans l’autre, séparés par une courte pause à l’aller comme au retour, se berçant de sa propre houle, la vague harmonisée ou contraire, et toujours ce ciel sans but, ce soleil sans ombres.
Il flotte le ciel jusqu’au bout, tout à la lumière. Il est délivré des angles, de ses propres arêtes. Ici, se calme la douleur d’être volume relief contre relief, violence, – mortel ? Il flotte. C’est une sensation de glissements superposés et retenus de toutes les surfaces planes découvertes d’une grande étendue, places, places-jardins, esplanades, foirails, champ de manœuvres, pelouses des stades, avenues des grandes villes la nuit, villes aux maisons basses qui n’exilent pas le ciel, plaines, causses, hauts plateaux nus, deltas, pays des étangs de la mer.
IV
Et, nageant, il joue. Une main troue la surface, emporte de l’eau, la main brille, les gouttes s’égaillent une main accentue le mouvement du bras et provoque un courant plus ou moins vif qui masse le mollet ; un bras sort à mi-parcours, rampe et ricoche sur l’eau, tel l’aviron manqué ; un bras s’élève à la verticale et s’enfonce, roue à aubes ; l’avant-bras seul pagaie.Il joue. Il tourne la tête sur le côté, l’œil à peine au-dessus de l’eau, il écoute le bras tourner dans l’omoplate, un son nacré enfermé dans la chair, il « écoute », ou plutôt il touche, ou plutôt il guette les sensations tactiles des muscles, il suit le glissement du bras tout entier, et s’attarde à la rigidité du poignet.
V
Il nage. Il nage, comme il marche, plus aisément même, ne dépensant aucune énergie pour tenir, la pesanteur répartie sur toute la surface du corps, la poitrine plus légère, l’air plus efficace. Plus intimement libre, hors de tout spectacle, cloîtré, en communion tactile vivace avec l’élément où il se meut. Le cerveau est un être clair, un être de fraicheur de promenade. Les idées ne sont pas des idées, des arabesques se dessinant sans se fermer, disparaissant et pourtant présentes ensemble, se superposant dans un temps incarné, et dansant, anguilles du soleil dans la mer d’une même lumière, chaque muscle est murmure et choc, appel et réponse, caresse et vigueur et suspens du secret, bloc opaque et transparent à lui-même et aux autres, s’accordant tous par bonds et glissements dans leurs jeux antagonistes et fraternels selon l’acte total du corps et son thème actuel. Chaque mot ? Une phrase, le poème ? Muscle ou petit rat ? Lequel a-t-on nommé d’abord ? Où s’est faite la rencontre ? Le mot, sensation et poème, saisie globale d’un évènement minuscule tout baigné dans l’organisme entier concentrant sur un seul point toute sa puissance de feu, et l’homme nomme, dénomme, parle, physiologie faite poète.
Ah ! écrire comme l’on nage
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