12 septembre 2023

Rencontre avec l'oeuvre de Mariano Otero - échappée de deux jours en Morbihan (12 au14 septembre 2023)

Daniella a récemment publié sur son blog un article dédié à Mariano Otero, peintre d'origine espagnol,  breton d'adoption, à qui le musée départemental La Cohue de Vannes consacre une belle exposition jusqu'au 31 décembre 2023. Le peu que Daniella en a écrit m'a décidée à aller voir cette exposition en sa compagnie, ce qui m'a permis de lui faire une  petite visite à la Fontaine Dernan, en même temps.

Vidéo publiée sur la chaine Youtube de FR3 Bretagne
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Mariano Otero (1942-2019) - La grâce du trait 
Essentiellement connu pour sa peinture des femmes, on voit dans l'exposition quelques-unes de ses "baigneuses" aux formes avantageuses, 
et de ses "danseuses de tango", pleines de sensualité 
mais surtout son principal modèle, Marie-Alice Villeneuve, sa muse devenue son épouse, puis ses filles. 

Le peintre s'exprime surtout avec du pastel, ce qui donne un grain très particulier à ses portraits, mais bien sûr l'expo présente aussi quelques huiles sur bois et deux ou trois sculptures en papier mâché.
 
Mariano Otero a dessiné et peint toute sa vie et est resté fidèle à son identité et à sa culture espagnole (cf. articles de presse ci-dessous)

J'ai évidemment beaucoup aimé ses toiles, mais la surprise la plus grande pour moi vient du fait qu'il a entretenu une correspondance illustrée tout au long de sa vie, les enveloppes sont dessinées à la plume et aquarellées (on ne parle pas là d'art postal, et pourtant) destinées essentiellement à Marie-Alice,  sa femme, ses enfants, ses parents et sa belle famille.  Malheureusement, la largeur de la vitrine d'exposition ainsi que le reflet de l'éclairage m'ont empêchée de faire des photos comme j'en aurai eu envie. En voici quelques-unes néanmoins, pleines d'imperfections, mais qui sont très parlantes ... 


Ah comme j'aurai aimé être cette "Marie-Alice", son grand amour et recevoir de telles missives!

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Le peintre Mariano Otero excellait dans les portraits de femmes, à la sensualité généreuse. © Archives Ouest-France

Le peintre des femmes, Mariano Otero s’en est allé
Le peintre rennais, célèbre pour ses baigneuses et danseuses de tango, était un portraitiste des femmes hors pair. Espagnol exilé sous Franco, c’était aussi un artiste engagé.

Les Rennais ne croiseront plus le peintre Mariano Otero, qui se rendait à vélo, sept jours sur sept, à son atelier. À Rennes, où il vivait, et à Dinard, où la galerie Vue sur mer exposait le peintre depuis 27 ans, tout le monde connaissait ses baigneuses aux formes généreuses et ses danseuses de tango. À 77 ans, le peintre d’origine espagnole, qui ne passait pas un jour sans dessiner, s’est éteint d’une maladie foudroyante, entouré de sa femme, de ses filles et de son frère Antonio.

C’est pour rejoindre son père, Républicain espagnol exilé à Rennes sous Franco, que le jeune Mariano Otero était arrivé dans la capitale bretonne, en 1956, à l’âge de 14 ans. Trop jeune pour s’inscrire en école d’art, il obtient bientôt une dérogation et devient le plus jeune diplômé des Beaux-arts de France. Avec son frère Antonio, qui épousera la peintre Clotilde Vautier, ils réaliseront leurs premières expositions à trois.

Artiste engagé :
Les convictions antifascistes de son père ne quitteront pas Mariano Otero. Dans les années 1960-1970, membre de l’union des étudiants communistes, il réalisera de nombreuses affiches militantes : contre la dictature au Chili, pour Amnesty international ou la défense des immigrés.

« C’est un artiste engagé politique et humaniste, son œuvre se comprend à travers l’histoire de l’Espagne déchirée » , expliquait Delphine Durand, docteure en histoire de l’art, lors d’une conférence sur le thème Mariano, peintre de l’exil, qui a fait salle comble le 2 avril, à Rennes.

Admirateur des portraits en clair-obscur de Velázquez, mais aussi de Goya et de Picasso, Mariano Otero était très attaché à la culture espagnole. Il avait fondé, en 1999, le centre culturel espagnol à Rennes.
 
Portraitiste des femmes :
C’était avant tout un portraitiste des femmes hors pair, dont il excellait à transcrire la sensualité généreuse et un peu mystérieuse, en particulier au pastel. C’est par elles qu’il s’était lancé en peinture. « J’ai réalisé le portrait de ma mère, ma sœur, mes petites amies, confiait-il en avril, à Ouest-France. Jusqu’à Marie-Alice, mon modèle privilégié, devenu ma femme. »

Le festival du film britannique de Dinard ne s’y était pas trompé, en lui confiant la réalisation de son affiche à plusieurs reprises. On se souvient notamment de ses baigneuses au maillot reprenant le drapeau britannique.
Mariano Otero, dans son atelier, quartier Cleunay. | Archives Ouest France
« Paris, Londres, New York et bien sûr Madrid : notre galerie a vendu ses œuvres dans le monde entier, souligne Thierry Dobé, son galeriste dinardais. Il était sans doute trop figuratif pour les musées, dont il n’a pas cherché la reconnaissance. Ce n’est pas cela qui l’intéressait. »

Actif jusqu’au bout, Mariano Otero s’en est allé après avoir mis la dernière main à deux nouvelles expositions de ses œuvres, prévues en août, à Roscoff et à Dinard.

Source : Article du Fabienne RICHARD. Ouest-France du mardi 9 juillet 2019

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Hommage à Mariano Otero
(extraits du courrier  adressé à sa femme, ses filles, son frère, et son petit fils Juan)

Chers amis, Cher(e)s camarades,

Quand la nouvelle du décès si brutal de Mariano Otero s’est abattue, une immense tristesse s’est emparée de chacune et chacun d’entre nous....

Avec Mariano, le monde perd un artiste à l’œuvre d’une incroyable densité. La France et la Bretagne pleurent l’un de leurs fils adoptifs, et l’Espagne l’un des témoins vigilants de sa terrible déchirure.

Et nous sommes aujourd’hui nombreux à perdre un camarade irréductiblement fidèle à l’idéal communiste qui resta, la vie durant, résolument lié aux militants de notre, de sa si chère région tout en restant attaché à sa patrie et au Parti Communiste Espagnol celui de la passionaria Dolorès Ibarruri et aux liens de solidarité indéfectible que le parti Espagnol noua avec la Parti communiste Français.

La figure admirable de Mariano draine derrière elle le souvenir d’un siècle terrible où l’engagement s’affirmait pour tout humaniste comme une exigence. Il avait pris chez lui la forme d’un engagement indissociablement artistique et politique.

Enfant de la lutte contre le fascisme, témoin des affres d’une époque prométhéenne, Mariano mêla dans son œuvre le sentiment personnel et le tumulte de l’Histoire, le goût des beautés simples de l’existence et l’engagement politique, le banal transfiguré et la recherche de l’idéal.

Qu’il ait épousé avec tant de facilité, de complicité et de bonheur ces terres brétiliennes et la ville de Dinard ne saurait faire oublier les douleurs de l’exil.

Un exil contraint par la violence fasciste d’une Espagne placée sous le joug d’une terrible dictature dont le père de Mariano, Antonio Otero Seco, grand intellectuel républicain, eut à subir les geôles avant de lutter dans la clandestinité puis dans l’exil au cœur de cette ville de Rennes devenue refuge solitaire et solidaire.

Mariano et vous-même, cher Antonio, n’économisèrent ni votre temps, ni votre énergie pour que le souvenir de cette remarquable figure tutélaire ne sombre dans l’oubli, et avec elle un pan de la mémoire républicaine forgée dans la lutte et l’exil.

L’ouvrage de témoignages inédits de l’oppression franquiste récemment édité par vos soins atteste de cette belle abnégation à faire vivre le souvenir de ces « vies entre parenthèses ». Surtout nous vient en mémoire la création par Mariano du Centre culturel espagnol de Rennes en 1999 qui entretient la mémoire de la République et travaille aujourd’hui encore à éclairer les zones d’ombres de l’Espagne post-franquiste. .

Mariano n’avait que 14 ans lorsqu’il mit les pieds en France pour la première fois pour rejoindre avec mère, frère et sœur un père et un mari qui enseignait sa langue et sa culture originelle dans la Faculté des Lettres de Rennes.

La France d’alors sût se montrer généreuse et accueillante envers cette famille que l’on qualifie communément d’immigrés, mais qui, de fait, était une famille de réfugiés.

Notre pays leur offrit l’asile, donnant ainsi vie au principe édicté pour la première fois de notre histoire dans l’article 120 de la Constitution montagnarde de 1793 qui dispose que « le peuple français donne l’asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté ». Principe qui trouva d’heureuses suites dans le droit national et international mais qui tend aujourd’hui à s’évanouir dans cet égoïsme des nations rivales que Mariano exécrait tant.

La solidarité militante, ouvrière et internationaliste, qui elle ne dérogea pas aux principes arrachés pour la dignité humaine, contribua enfin à offrir à ses camarades de combats ce sentiment fraternel si précieux aux cœurs bannis.

Nous y voyons le juste prolongement des liens tissés entre les militants progressistes et communistes de nos deux peuples lorsqu’en 1936, les brigades internationales partirent secourir la République assiégée par les hordes fascistes.

Mariano dont la vocation artistique semblait innée, entra immédiatement aux Beaux-arts pour en sortir plus jeune diplômé en 1962 à seulement 20 ans, âge des découvertes et des formations intellectuelles où l’on n’est pas encore tout à fait sérieux.

Dès lors, il ne lâcha plus fusains, pinceaux et pastels chaque jour, chaque semaine, et resta pour toujours l’artiste habité par la soif créatrice que chacun connait faisant sans doute sienne cette interpellation de Baudelaire : « le meilleur témoignage que nous puissions donner de notre dignité, c’est la culture ».

Sa modestie et sa simplicité seules empêcheront plus tard une pleine reconnaissance académique. Mais à quoi bon sacrifier le temps compté de la création pour satisfaire quelque marchand d’art ? Mariano ne s’en souciait guère. Il avait adopté cette parole prononcée par Jack Ralite aux Etats généraux de la culture : « quand un peuple abandonne son imaginaire aux grandes affaires il se condamne à des libertés précaires ». La reconnaissance de son travail et la fascination qu’il suscitait, particulièrement ici, sur ces terres bretonnes, suffisait – semble-t-il-amplement à son bonheur.

Nous avons en mémoire ces baigneuses qui, au premier coup d’œil, laissent planer ce parfum de congés payés, ce goût du bonheur, cette sensualité pastelle magnifiée par le gris lumineux des bords de mer océans. L’on songe encore à ces danseurs de tango aux corps fiévreux et élancés, aux membres lascivement articulés. Peintre de la volupté, Mariano sublima les corps, particulièrement ceux des femmes, et donna à toute une galerie de portraits la profondeur empruntée à Vélasquez où l’on plonge dans un regard comme l’on cherche une vérité. Mariano portraitisait avec un immense plaisir et nous légua par dizaines ces visages de femmes et d’hommes inconnus ou imaginés, comme de poètes suppliciés ou exilés. Peut-être est-ce dans ces portraits burinés que se dévoile le mieux l’intimité de l’artiste ?

Mariano avait pris le parti de la figuration à une époque où l’art s’éprenait d’abstraction, voire d’un certain hermétisme. A travers ce choix, les corps et les visages devenaient autant de témoignages d’une humanité bien vivante, en lutte, mêlée d’espoirs et de craintes, à la recherche de plaisirs charnels, malgré les guerres et l’horreur fasciste.

C’est ainsi que l’on peut lire son œuvre comme un grand cri humaniste...

Source L'humanité du lundi 15 juillet 2019- Rennes - Patrick le Hyaric - Directeur de L’Humanité

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Je t'adresse un très grand merci  Daniella, toi qui m'a permis de découvrir cet artiste dont j'ignorai tout et merci aussi de ton chaleureux accueil et pour les balades que le beau temps nous a autorisé à Vannes et dans le joli petit bourg de Saint-Goustan. 




et comme, même en voyage,  on n'oublie pas les amis : photo de gauche, une pensée pour Fabienne avec un ex-voto "bateau", une pensée pour Eric à droite avec une girouette "sirène"

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