Dans cette forêt touffue, le regard d'une grand-mère chimpanzé levant les yeux vers le haut m'a semblé très touchant, quasiment humain. Evidemment ce mail-art est destiné à mon amie belge, Michele, à qui le thème des grands-mères ne peut que plaire.
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| Les femelles chimpanzés ont rejoint la courte liste des espèces vivant au-delà de leur âge de procréation. Photo de Kevin Langergraber, Arizona State University |
C’est une situation si rare que l’on peut compter sur les
doigts d’une main le nombre d’espèces qui connaissent la ménopause et y
survivent. On cite les orques (Orcinus orca), les globicéphales tropicaux (Globicephala
macrorhynchus), les narvals (Monodon monoceros), les bélugas (Delphinapterus
leucas) et les fausses orques (Pseudorca crassidens).
Toutefois, une étude sans précédent parue en 2023 confirme
qu’au moins une population de chimpanzés (Pan troglodytes) peut
désormais être ajoutée à la liste des élites.
Cette découverte est le fruit de vingt-et-une années
d’observation de la communauté de chimpanzés sauvages de Ngogo, dans le parc
national de Kibale, en Ouganda. Pour y parvenir, les chercheurs ont dû
collecter une immense quantité d’urine des primates, perchés sur la cime des
arbres.
« Pour ce faire, nous coupons un jeune arbre qui se
termine en forme de “Y”. Ensuite, nous plaçons un sac plastique très fin
par-dessus », explique Kevin Langergraber, primatologue à
l’université d’État de l’Arizona et auteur principal de l’étude publiée le
26 octobre dans la revue Science.
« Ensuite, il faut juste espérer ne pas être trop
éclaboussé », termine-t-il en riant.
Si ces circonstances peuvent paraître risibles, l’étude de
l’urine de 66 femelles de la population de Ngogo, âgées de quatorze à
soixante-sept ans, a révélé que leurs niveaux d’hormone changeaient passé
cinquante ans, ce qui confirme qu’elles vivent une ménopause.
Curieusement, cinquante ans est également l’âge auquel de nombreuses
personnes connaissent le début de leur ménopause.
M. Langengraber et d’autres chercheurs spécialistes des
primates se sont longtemps demandé pourquoi les humains connaissent une ménopause
quand aucun de nos cousins de l’évolution ne la vit.
« C’est vraiment génial de trouver enfin cette pièce du
puzzle », témoigne Catherine Hobaiter, primatologue à l’université de
St Andrews en Écosse, qui elle aussi étudie les chimpanzés à la Budongo Central
Forest Reserve en Ouganda, mais qui n’a pas participé à l’étude.
Les conditions préalables à la ménopause
Pourquoi la ménopause n’a-t-elle été découverte que maintenant chez les chimpanzés ? Pour faire simple, il est extrêmement difficile d’étudier le fonctionnement interne de grands animaux sauvages sans les blesser.
L’étude des chimpanzés compte également de nombreux autres
défis, notamment leur espérance de vie très longue, particulièrement en
captivité. Une femelle, connue sous le nom de Little Mama, devait avoir presque
quatre-vingts ans lorsqu’elle est décédée dans un parc safari de Floride
en 2017. De fait, les scientifiques ne disposent tout simplement pas d’assez de
données pour suivre de nombreux groupes d’Afrique centrale et occidentale.
Néanmoins, la durée du Ngogo
Chimpanzee Project, qui a commencé en 1993, et la technique non invasive de
collecte d’urine ont permis aux scientifiques de faire cette découverte.
Plus précisément, l’équipe a constaté que les femelles âgées
subissent les mêmes changements endocrinologiques qu’une femme d’âge
moyen : les taux d’œstrogènes et de progestatifs diminuent, tandis que
ceux des hormones folliculo-stimulantes et lutéinisantes augmentent.
Cependant, M. Langergraber met en garde : la
population de Ngogo pourrait être une exception par rapport au reste de
l’espèce.
En effet, la communauté de Ngogo vit dans une sorte d’éden
pour les chimpanzés : le parc national de Kibale. Il est riche en
ressources, bien protégé et ne compte pas non plus de léopards, le principal
prédateur de ces primates. Étant donné que la communauté de Ngogo se trouve au
cœur du parc, ses seuls voisins sont d’autres chimpanzés, et non des humains
susceptibles d'exposer les chimpanzés à des agents pathogènes qui ont déjà
dévasté d’autres communautés.
La théorie opposée pourrait tout aussi bien être vraie.
Toutes les populations de chimpanzés ont autrefois vécu dans la prospérité
relative dont jouissent aujourd’hui les chimpanzés de Ngogo, mais les Hommes
ont exercé une telle pression sur les animaux que les femelles ne vivent
généralement plus assez longtemps pour être ménopausées.
Bien sûr, un entre-deux pourrait également être envisagé,
assure le chercheur.
Les chimpanzés valorisent ils leurs grand-mères?
Autre question intrigante : les grands-mères chimpanzés jouent-elles un rôle dans l’évolution ?
En effet, les chercheurs ont montré chez les humains que la
présence d’une grand-mère vivante peut transmettre des avantages aux
petits-enfants, par exemple en leur fournissant de la nourriture et des soins
supplémentaires. Les scientifiques ont également observé des preuves de
ce comportement gériatrique chez les éléphants d’Asie (Elephas
maximus) et les orques.
La réponse n’est pas claire, notamment car les sociétés de
chimpanzés sont très différentes des humaines, comme l’explique Brian Wood,
responsable de l’étude et anthropologue de l’évolution à l’université de
Californie à Los Angeles.
Par exemple, les mâles et les femelles chimpanzés
s’accouplent dans la promiscuité plutôt que de former des relations à long
terme. Les mères s’occupent seules de leur progéniture. Lorsqu’elles atteignent
la maturité, les femelles partent à la recherche de nouvelles communautés,
tandis que les mâles restent dans la région où ils sont nés. Tous ces éléments signifient
que les grands-mères chimpanzés ne savent probablement pas qui sont leurs
petits-enfants, à l’inverse des humains ou même des orques.
«Cela ne signifie pas qu’aucune action de ces femelles
plus âgées n’a de conséquences», poursuit M. Wood. « Mais il
s’agit là d’un domaine à étudier plus tard.»
Dans la population qu’elle étudie à Budongo, Mme Hobaiter a
vu les femelles plus âgées se retirer des rivalités quotidiennes qui font
partie de la vie des chimpanzés.
Elles semblent néanmoins jouir d’un certain prestige et
respect. L’une d’entre elles, Nambi, vit à Budongo depuis probablement
60 ans, voire même plus. Mme Hobaiter a observé des moments où elle
semblait diriger et prendre des décisions pour le groupe.
« Ce qu’elle a vu dans cette forêt, les différentes
saisons qu’elle a connues, les différentes régions de la forêt, les
interactions avec les voisins, c’est là l’incroyable héritage de son
savoir. »

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