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photographie de Ronan
Donovan du National Geographic |
Des recherches sur la santé d’anciens animaux de laboratoire
ont révélé que pour les chimpanzés, et donc probablement pour les humains,
l’inactivité est la principale responsable de la fragilité qui s’installe avec
l’âge.
Lorsque Auntie Rose est morte en 2007, elle était le plus vieux chimpanzé connu. Elle avait 63 ans, un âge très avancé pour son espèce, et ses derniers mois se sont avérés difficiles. « Elle avait perdu tous es poils et elle se contentait de ramper dans la forêt », témoigne Emily Otali, directrice des opérations pour le Kibale Chimpanzee Project en Ouganda et exploratrice National Geographic. « Elle me faisait de la peine. »
Pourtant, jusqu’à son dernier souffle, Auntie Rose s’est
débrouillée toute seule. Les chimpanzés adultes se partagent rarement leur
nourriture, pas même avec les anciens. Les animaux âgés doivent donc continuer
de faire les efforts nécessaires à la recherche de nourriture. Dans la nature,
les aînés sont moins actifs et peuvent s’affaiblir, en perdant leur masse musculaire à mesure qu’ils
vieillissent. « Mais ils supportent le vieillissement bien mieux que nous.
Ils continuent d’avancer, c’est impressionnant », souligne
Emily Otali.
Depuis 1987, des scientifiques étudient les chimpanzés
sauvages de la région de Kanyawara, dans le parc national de Kibale. Ils aident
ainsi à renforcer notre compréhension du comportement des primates et de leurs
relations avec l’Homme moderne.
Parallèlement, les chimpanzés détenus dans les centres
de recherche biomédicale étaient considérés comme âgés à 35 ans. Plusieurs
établissements aux États-Unis détenaient des centaines de chimpanzés pendant
des années, pour mener des expérimentations destinées à aider à la recherche de
traitement contre certaines maladies humaines. Ces animaux captifs ont commencé
à développer des affections similaires à celles associées au vieillissement
chez les Hommes, comme des problèmes cardiaques ou du diabète. Les chercheurs
ont été étonnés de voir à quel point nos plus proches cousins nous
ressemblaient.
Depuis 2010, grâce à une directive du Parlement européen, l’utilisation des
chimpanzés et autres grands singes à des fins d’expérimentation est interdite dans l’Union européenne, sauf circonstances
exceptionnelles.
Aux États-Unis, ce n’est que depuis 2015 que les Instituts américains de la santé ont décidé de mettre un
terme aux recherches invasives sur les chimpanzés. Un rapport a démontré
que de nombreux primates de laboratoires, souvent âgés de moins de 60 ans,
étaient alors trop fragiles pour bouger. Toutefois les expériences
auxquelles ils avaient été soumis pourraient n'expliquer qu’en partie de la
cause cette infirmité.
Les recherches menées sur les chimpanzés sauvages et dans
les sanctuaires d’Afrique, où ils disposent de beaucoup d’espace pour
vagabonder, montrent que ces animaux vieillissent en bien meilleure santé que
leurs homologues de laboratoire. Ces conclusions permettent de tirer des
enseignements clairs sur la manière de prendre soin des chimpanzés encore en
captivité.
En outre, elles suggèrent que l’étude des problèmes de santé
des chimpanzés de laboratoire n’a fourni que peu d’informations sur leur
vieillissement naturel. Au contraire, le sort de ces chimpanzés captifs et
vieillissants pourrait nous en apprendre davantage sur les risques que pose la
sédentarité croissante des Hommes d’aujourd’hui.
À mesure que les gens vieillissent, ils deviennent de moins
en moins actifs. Généralement, ils se confortent dans la prophétie
autoréalisatrice qui stipule que leur corps s’affaiblit naturellement et que
leur condition physique se détériore donc inévitablement. Pourtant, même les
chimpanzés sauvages comme Auntie Rose, qui devaient parcourir plusieurs
kilomètres par jour pour trouver de la nourriture et n’étaient pas soignés
lorsqu’ils étaient malades ou blessés, semblent vieillir en meilleure santé,
affirme l’anthropologue Melissa Emery Thompson de l’université du
Nouveau-Mexique et codirectrice du Kibale Chimpanzee Project.
Les études menées sur les peuples ayant un mode de vie de
chasseurs-cueilleurs, dont beaucoup restent très actifs jusqu’à la fin de
leur vie, ont également montré qu’ils restaient en meilleure santé bien
plus longtemps que ceux qui se laissaient aller en vieillissant. Par exemple,
la vitesse de déplacement des membres du peuple Hazda en Tanzanie, qui s’adonnent
à la recherche de nourriture toute leur vie, ne semble pas diminuer drastiquement avec l’âge.
« Ce n’est pas l’activité physique, mais bien
l’inactivité qui nous fragilise », assure-t-elle.
Le mélange parfait entre captivité et vie sauvage
À la réserve
de chimpanzés de l’île de Ngamba en Ouganda, les chimpanzés saisis des
braconniers vivent dans de vastes enclos de forêt tropicale où ils sont libres
de se déplacer. Ils passent une visite médicale tous les ans, au cours de
laquelle les vétérinaires endorment les animaux, l’occasion parfaite pour
collecter des données sur le vieillissement.
« Sur la base des études des populations captives, les
scientifiques pensaient que les chimpanzés avaient un haut taux de
cholestérol », explique Alexandra
Rosati, anthropologue à l’université du Michigan. Mais dans une récente étude, Mme Rosati est ses collègues ont
constaté que les chimpanzés de la réserve avaient des taux de cholestérol bien
moins élevés que ceux de laboratoire.
D’autres indicateurs de risques cardiovasculaires, notamment
le poids, étaient plus faibles chez les chimpanzés de l’île de Ngamba. Mme
Rosati indique que l’explication pourrait venir du fait que les chimpanzés
sauvages peuvent davantage se déplacer. Ils mangent également davantage de
fruits et légumes, dont certains poussent naturellement dans les enclos, et
moins de la bouillie riche en nutriments qui constituait l’aliment de base du
régime alimentaire des animaux en laboratoire.
Les chimpanzés sauvages ne montrent pas pour autant aucun
signe de vieillissement, assure Joshua
Rukundo, ancien vétérinaire principal, désormais directeur, de la réserve
de l’île de Ngamba. L’inflammation des articulations est une affection courante
chez les chimpanzés vieillissants. « Souvent, ils présentent aussi des
problèmes aux dents, ce qui les empêche de digérer les fibres. Ce manque de
nourriture affecte leur immunité et ils deviennent donc vulnérables face aux
maladies. »
Néanmoins, il précise que la plupart de ces symptômes
peuvent être traités. Ainsi, en ce qui concerne le vieillissement en bonne
santé, les chimpanzés de l’île de Ngamba vivent peut-être dans le meilleur des
deux mondes. Ils disposent de grands espaces pour vagabonder, comme ils le
feraient dans la nature, et profitent de certains avantages de la captivité,
comme des suppléments en nourriture et des soins.
Cette situation pourrait servir d’exemple pour assurer de
bons soins aux anciens chimpanzés de laboratoire en captivité, mais aussi pour
les autres singes et les animaux des zoos.
Rester actif
Des observations similaires ont été obtenues de l’une des
populations de singes les plus connues au monde. Les gorilles des montagnes (Gorilla
beringei beringei) du parc national des volcans au Rwanda sont étudiés depuis
54 ans, lorsque Dian
Fossey a lancé ses recherches là-bas en 1967. Depuis, les chercheurs
ont enterré les corps des gorilles sauvages morts naturellement dans des cages
spéciales afin de les protéger des charognards. Cette technique leur permet de
les garder en sécurité pour de prochaines études. Depuis 2008, la National
Geographic Society soutient la collecte et l’étude de ces restes.
«C’est une collection vraiment unique, comptant plus d’une centaine de squelettes» indique Christopher Ruff, anatomiste à l’université Johns Hopkins. Elle a permis aux chercheurs de découvrir si les os des gorilles vieillissaient comme les nôtres. Une récente étude menée par M. Ruff et ses collègues a cherché à déterminer si les os des gorilles présentaient des signes d’ostéoporose, une affection qui affaiblit les os à mesure que les Hommes vieillissent. Ils ont remarqué que même si les cavités osseuses des primates s’étendaient comme celles des humains, la solidité de leurs os ne diminuait pas avec le temps et les fractures étaient rares.
Contrairement à leurs homologues détenus en captivité, les
chimpanzés observés dans les sanctuaires ou dans la nature semblent vieillir en
meilleure santé car ils restent actifs tout au long de leur vie.
Ce phénomène peut s’expliquer en partie par la consommation
des nombreuses plantes riches en calcium contenues dans le régime alimentaire
des gorilles. Le facteur le plus important reste tout de même l’activité
physique. Même si les gorilles des montagnes passent de nombreuses heures assis
à manger, ils font beaucoup d’exercice en montant et descendant les pentes
abruptes de la région.
C’est une activité cruciale, assure M. Ruff, puisque les os
sont ainsi sans cesse remodelés en réponse aux forces qu’ils subissent.
Contrairement aux pièces d’une machine, nos os et nos muscles contiennent des
tissus vivants qui leur permettent de se réorganiser et de se réparer
activement lorsque nous nous en servons. Si nous restons inactifs, ils se
dégradent. « Soit vous les utilisez, soit vous les perdez », conclut
M. Ruff.
Une retraite rajeunissante
La bonne nouvelle pour celles et ceux qui sortent de l’inactivité imposée par les confinements de la pandémie, c’est qu’une augmentation de l’exercice physique peut aider les corps affaiblis à se rétablir.
Heureusement, de nombreux anciens chimpanzés de laboratoire
ont eux aussi l’occasion de remettre leurs muscles vieillissants en route. Des
centaines de chimpanzés de laboratoire aux États-Unis ont été transférés
à Chimp Haven. Ce
sanctuaire fondé en 2005 en Louisiane offre aux primates à la retraite de
grands espaces pour se déplacer.
Les animaux y sont totalement protégés de la recherche
invasive et les conditions imposées aux scientifiques pour les étudier sont
strictes. Dans une déclaration, des gestionnaires du sanctuaire ont affirmé
à National Geographic qu’ils ont approuvé de multiples études,
essentiellement d’observation, portant sur la cognition, la mobilité et le
microbiome des chimpanzés vieillissants dont ils ont la charge.
Certaines de ces recherches pourraient un jour s’avérer
bénéfiques pour la santé humaine mais la priorité du Chimp Haven reste
désormais focalisée sur le bien-être de ses pensionnaires.
Source : article rédigé par Tim Vernimmen publié le 5 juillet 2021 dans National Géographic https://www.nationalgeographic.fr/animaux/et-si-les-chimpanzes-sauvages-pouvaient-nous-apprendre-a-vieillir-en-bonne-sante

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