20 novembre 2025

On parle beaucoup de la 16e JMFTA dans la presse : article dans 20 Minutes hier et dans le Nouvel Obs, aujourd'hui!

Je relaie ici le message de l'ami Marc qui nous propose sur son blog l'intégralité de l'article  rédigé par Gaéton Goron dans le "Nouvel Obs." de ce 20 novembre 2025.

« L’art postal est quelque chose de complètement iconoclaste » : qui sont ces artistes qui dessinent des timbres et peignent des enveloppes ?

Récit : La Journée mondiale du Faux Timbre d’Artiste (JMFTA), ce jeudi 20 novembre, est un exemple de la vitalité de l’art postal, qui, sous forme de multiples galaxies artistiques incontrôlables, amène de l’humain dans un réseau – celui de La Poste – de plus en plus mécanisé.

Timbres en hommage à Louise Brooks et Charles Gleyre créés par l’artiste Tony Mazzocchin pour la 16ᵉ Journée mondiale du Faux Timbre d’Artiste (JMFTA). photo de Tony Mazzochin

Tout part d’une lettre, l’an dernier, une de celles envoyées au «Nouvel Obs» par les cruciverbistes de l’été. Elle contient une grille géante de mots croisés dûment remplie. L’enveloppe est magnifique, décorée, elle contient des informations sur l’art postal, j’échange quelques messages avec son auteur, Marc Halter, et, dans le flot des courriers, nous en restons là.

Cette année, rebelote, une nouvelle œuvre postale de ce Strasbourgeois me titille : qu’est-ce que l’art postal ? Depuis quand existe-t-il ? Comment est-il structuré ? Qu’en dit La Poste ? Les réponses, je les dois principalement à Lise Mouchiquel. Cette éducatrice auprès d’adolescents, la cinquantaine, a pas mal bourlingué et vit aujourd’hui près de Dijon. L’an dernier, elle a soutenu la thèse suivante : « Art postal, ou le pari de la lettre : préserver l’humain ». Voici sa définition de l’art postal : « Démarche artistique consistant à créer une composition en utilisant comme support une enveloppe postale ou un autre objet, en jouant sur l’emplacement du timbre, sur la place ou la graphie de l’adresse du destinataire, et en l’envoyant par La Poste, l’oblitération postale étant condition sine qua non de la création de l’œuvre.» La docteure en arts appliqués poursuit : «L’art postal est quelque chose de complètement iconoclaste, non officiel même dans le monde de l’art. On peut parler de démarches, de pratiques, mais pas de mouvement, il n’y a pas de chef de file. Pour se le représenter, le mieux, c’est de voir des galaxies un peu partout. »

Le point de départ, c’est l’arrivée du timbre, 1840 en Angleterre, 1849 en France. Par la suite, on trouve de l’art postal chez de nombreux auteurs et artistes, et aussi dans les tranchées où les poilus décorent leur abondant courrier. En 1962, l’Américain Ray Johnson crée une vraie-fausse école de correspondance, le mail art commence à imprimer. Aujourd’hui, les nouvelles technologies (blogs, Instagram) facilitent l’imitation, la transmission et l’exposition des œuvres.

Entre 1849 et 2025, avec les révolutions techniques, la concurrence, et la dégradation des services publics, La Poste a beaucoup changé. L’automation – fonctionnement d’un ensemble productif, sous le contrôle d’un programme unique – fait loi. Les machines reconnaissent les écritures manuscrites, adresses, codes postaux, des normes de présentation sont imposées, et le personnel n’est plus toujours formé à prendre en charge manuellement des courriers originaux. « L’autre jour, la personne à qui je m’adressais ne savait pas ce que voulait dire “oblitérer manuellement” », constate Lise Mouchiquel. Pascal Charveron le sait, lui. Agent à la poste de Voiron, dans l’Isère, pendant près de quarante ans, il se souvient : « Des objets spéciaux, parfois en laine, des choses qui ne passaient pas dans les machines, moi, j’adorais. Je les oblitérais. Je l’ai vue changer, La Poste. J’y ai travaillé de 1982 à 2019, ce genre de courriers, ce n’était plus du goût de la hiérarchie mais la règle, pour moi, ça a toujours été : un colis, tant qu’il n’y a pas de message haineux évidemment, on le prend. »

Un homme lui apportait ces colis particuliers : Tony Mazzocchin. Cet artiste vit à Voiron, après plusieurs années en Italie et en Suisse où il travaillait dans l’hôtellerie et l’organisation d’événements. En 2010, il enseigne les arts appliqués dans un lycée de Chambéry mais se retrouve en mal d’école quand il se casse la malléole. Collé à son canapé, il correspond avec ses élèves en mail art, des courriers décorés. « J’ai alors décidé que chaque année, le troisième jeudi du mois de novembre ne serait plus seulement celui du beaujolais nouveau mais aussi la Journée mondiale du Faux Timbre d’Artiste (JMFTA). » Il lance un appel, l’idée est simple : envoyer quelque chose par La Poste, affranchi avec un faux timbre créé par l’expéditeur. Il se désigne comme l’unique destinataire de toutes ces œuvres d’art postal et en reçoit 200, postées le même jour de novembre 2010.

Chaque année, un particulier, une association, un musée est l’unique destinataire des envois de la JMFTA, souvent exposés dans les mois qui suivent. En 2012, Tony Mazzocchin choisit, à son insu, «pour se faire connaître et rigoler un peu », le Musée de La Poste à Paris. Plusieurs centaines de courriers affluent dans le 15e arrondissement. La directrice de l’époque, Mauricette Feuillas, se souvient : « Je lui ai dit que c’était un peu fort de café de ne pas nous avoir prévenus, d’autant que les courriers n’étaient pas affranchis et que, dans ce cas-là, le destinataire peut avoir des surtaxes à payer. Après, on a discuté, c’est une opération sympathique, l’approche est intéressante et promeut La Poste et son réseau. On a laissé faire, je trouve simplement paradoxal de profiter d’un réseau de distribution sans en respecter les règles. »

« Avec un vrai timbre, on perdrait toute valeur artistique », proteste l’artiste, qui préfère s’affranchir de l’affranchissement, même si ça peut piquer. En 2016, l’artiste peintre Christophe Renoux annonce à son facteur l’arrivée de plusieurs centaines de lettres pour le troisième jeudi du mois de novembre. «L’information est remontée et, en réaction, le centre de tri de Villefranche-sur-Saône [Rhône] a décidé de bloquer toute lettre non oblitérée. J’ai dû payer plus de 400 euros pour libérer les courriers », se remémore Tony Mazzocchin. L’an dernier, un particulier qui héberge un mini-musée d’art postal, à Rencurel, à la lisière entre Drôme et Isère, n’a pas reçu les nombreux envois. « Trois cents euros cette fois-ci. On s’est cotisés, mais on n’a pas pu tout récupérer. » Mais c’est le jeu. « Couleurs, qualité de l’impression, oblitérations, il y a un caractère aléatoire de l’œuvre d’art postal obtenue après sa transmission. Le résultat peut être amusant, déroutant, esthétique… Souvent, le destinataire envoie une photo à l’expéditeur qui voit ainsi comment son œuvre a évolué. Ce jeu va jusqu’à accepter le risque que l’œuvre ne soit pas transmise ou soit abîmée. C’est un pari », analyse Lise Mouchiquel.

« Le manque à gagner pour La Poste est négligeable »

Dans son musée de la machine à écrire à Lausanne, en Suisse, Jacques Perrier a reçu des faux timbres de Biélorussie, du Brésil, d’un peu partout. Hôte de la JMFTA en 2023, il retient « l’ingéniosité, la folie des gens. On a reçu des machines à écrire faites au crochet, d’autres en carton, des couvercles de camembert, une spatule en bois, toujours avec des faux timbres. Ça touche un public complètement frappadingue, c’est ce qui manque dans notre société. » Dans son « musée-café artistique punk », Jacques Perrier accueille des événements culturels, lectures, ateliers d’écriture et de création pour la JMFTA. Le samedi qui précède le beaujolais nouveau, « on voit des hommes, des femmes, des jeunes, des sexagénaires, ça fabrique, ça se mélange ».

Créer une œuvre et du lien social, Tony Mazzocchin l’a fait plusieurs années avec ses élèves du lycée hôtelier de Chambéry. « Ce sont des gamins qui viennent de quartiers difficiles, qui ont souvent du mal avec l’école, qui manquent de confiance en eux, et avec les arts appliqués, et l’art postal en particulier, ils se rendent compte qu’ils peuvent réussir quelque chose. Ils me disaient que c’était le seul cours où ils voulaient rester après la fin. » La thésarde Lise Mouchiquel abonde : « L’art postal a su investir le champ éducatif. Un timbre, son image, son thème, c’est un outil pédagogique. Utiliser le timbre avec les jeunes, c’est leur permettre d’accéder à l’art. Des élèves illettrés, loin de leur famille, peuvent correspondre à l’autre bout du monde avec un collage et un timbre. Avec peu de moyens, on peut envoyer des courriers très personnels. »

Des courriers en mail art, on en trouve quelques-uns au Musée de La Poste à Paris. « L’art et le timbre » est le fil rouge de son deuxième étage, boulevard de Vaugirard, face à la gare Montparnasse. On y trouve des tableaux, des boîtes postales pailletées, repeintes et tous les vrais timbres français de 1849 à nos jours. Un bout de mur parle de « l’art posté », et propose une vingtaine de créations sur des enveloppes, mais aucune issue de la JMFTA 2012.

Que représente l’art postal pour La Poste ? Y a-t-il encore une place pour lui dans une entreprise aussi mécanisée ? Les faux timbres d’artistes peuvent-ils vous aider à trouver de vrais faussaires en améliorant vos machines ? Personne n’a répondu à ces questions envoyées par écrit. Après plusieurs jours d’échanges avec l’agence extérieure qui gère la communication du groupe La Poste, une visite au musée, et malgré des contacts avec des personnes qui semblaient individuellement sympathiques, la seule réponse obtenue est l’e-mail suivant : « Bonjour. La Poste travaille en étroite collaboration avec les autorités compétentes, notamment les douanes, pour prévenir et lutter contre la contrefaçon des timbres. La Poste ne communique pas sur les dispositifs de contrôle dans le cadre du secret industriel. Cordialement. »

Légère crispation autour de la communication, donc. Mais qui a le mérite de rappeler que le timbre est presque devenu un produit de luxe. En 2016, c’était 0,70 euro pour une lettre verte, ce sera 1,52 euro au 1er janvier 2026. « La Poste a un vrai travail de lutte contre les faussaires, et des machines très performantes pour cela. Mais il n’y a rien à voir avec ce que font les participants à la JMFTA. Je suis éducatrice, je ne peux pas encourager les envois non affranchis mais, lors de cette manifestation, le manque à gagner pour La Poste est négligeable. Ces artistes ne sont pas des rebelles violents, ils ne sabotent pas les machines, ce sont quelque part de doux anarchistes », sourit Lise Mouchiquel. « Il faut voir l’humanité de ces courriers à nu, les messages qu’ils transmettent, les sourires qu’ils créent chez les postiers. » On se rappelle Pascal, l’agent de Voiron, ravi de faire passer de jolis plis, on trouve une volonté de bien faire dans des courriers parvenus au café-musée de Jacques Perrier à Lausanne, en 2023. « Sur plus de 500 œuvres, 95 % sont arrivées, et certaines, parfois encombrantes, avec une pochette plastique, une lettre de La Poste française et un mot d’excuses si elles étaient endommagées. »

Pour éviter les problèmes, Tony Mazzocchin compte enlever, l’an prochain, le « F » de son sigle – « Après tout, ces faux timbres sont des vraies créations » – et il a mis fin au destinataire unique. Si vous lisez cet article avant 23h59 ce jeudi 20 novembre, vous pouvez donc envoyer – même si ce n’est pas recommandé par La Poste – à qui vous voulez votre œuvre avec un faux timbre de votre création en indiquant « JMFTA 2025 », vous verrez bien si elle passe comme une lettre à la poste.

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Le quotidien 20 Minutes a également consacré un article à cette manifestation que nous célébrons tous le troisième jeudi du mois de novembre, avec bonheur. En voici la teneur :

Pourquoi vous pouvez envoyer gratuitement vos lettres ce jeudi (mais à une condition)

Journée timbrée  La journée mondiale du faux timbre d’artiste vise à mettre en valeur l’art postal, une discipline qui consiste à personnaliser les lettres ou les enveloppes avant de les envoyer par La Poste à des correspondants. Et ce, sans affranchissement officiel

La journée mondiale du faux timbre d'artiste a lieu tous les troisième jeudi du mois de novembre. L'idée est d'envoyer une lettre avec un timbre personnalisé et créatif, mais sans affranchissement officiel. - Tony Mazzocchin

Pour les amateurs de vin, le troisième jeudi du mois de novembre est une célébration du Beaujolais nouveau. Mais pour les passionnés d’art postal cette date est un rendez-vous important, celui de la Journée mondiale du faux timbre d’artiste (JMFTA).

Le principe est simple : il suffit d’envoyer jeudi des enveloppes avec de faux timbres, créatifs et personnalisés, à la place de l’affranchissement officiel en mentionnant « 16e JMFTA ». L’initiative a été lancée en 2010 par Tony Mazzocchin, artiste plasticien et ancien restaurateur, afin de mettre en avant le «mail-art», ou art postal en VF.

«Drôle, parfois provocateur »
Cette discipline artistique consiste à décorer ses lettres et ses enveloppes. Des poètes comme Victor Hugo ou encore Stéphane Mallarmé la pratiquait, puis ces correspondances créatives ont aussi été investies par les mouvements surréalistes, dadaïstes ou encore futuristes à travers l’histoire. « Il y a beaucoup de facettes, explique Tony Mazzochin à 20 Minutes. Vous pouvez utiliser n’importe quel média, que ce soit de la photographie, du collage, de la peinture, des objets, des écritures… Cela peut être drôle, parfois provocateur. » Une seule contrainte pour cette correspondance artistique : la lettre doit passer par les services de La Poste, pour être tamponnée et distribuée, sinon ça ne compte pas.
Un exemple d'art postal, une boîte de sardines décorée et affranchie.- photo de Tony Mazzocchin

Tony Mazzocchin est tombé dans le « mail art » au contact d’un de ses clients, ancien postier, alors qu’il travaillait en Suisse dans son restaurant. Il tient un blog, « Poste nomade », comme une « boîte aux lettres » dédiée au sujet. L’artiste lance la JMFTA en 2010, alors qu’il enseigne cet art créatif dans un lycée hôtelier près de Grenoble. Immobilisé à la suite d’une blessure, il demande à ses élèves de continuer cette correspondance. C’est ce qui lui donnera l’idée de cette journée de liberté. « Il y a un côté généreux, les personnes ont plaisir à le faire et à personnaliser leur enveloppe, comme un tableau », évoque-t-il.

Quelques blocages
Tony Mazzocchin n’a jamais rien demandé à La Poste, mais assure que l’institution joue le jeu, distribuant régulièrement ces courriers pourtant non timbrés. « Il y a parfois des blocages, des soucis techniques, une surtaxe à payer, sourit-il. Mais imaginez aussi, un postier dans un village qui reçoit d’un coup 500 lettres non timbrées ? On peut se poser des questions. » Chaque année, depuis la création de la JMFTA, le plasticien annonce une adresse à laquelle envoyer les correspondances créatives. Parfois l’adresse d’un ami « mail artist » ou les coordonnées d’une institution, à l’instar du Musée de la machine à écrire à Lausanne ou encore le MIAP (Micro musée international et indépendant de l’art postal) à Rencurel, en Isère.

Cette année pour la première fois, le mot d’ordre est : « Choisissez votre destinataire ». Les artistes du jour sont invités à transmettre par mail une photo de leurs créations pour alimenter le blog de Tony Mazzocchin, déjà récipiendaire d’environ 3.000 lettres à travers les années. « Les gens découvrent chaque année cette journée, c’est un stimulant », se réjouit-il. Et de rappeler : « Il ne faut pas être spécialement un artiste. L’art postal, c’est à la portée de tous. »

Source : VINGT MINUTES article de Mathilde Durand Publié le 19/11/2025 à 18h10

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