20 octobre 2025

Mariage réussi entre carterie vintage et mercerie surannée, de Corinne

Corinne m'envoie du Jura un mail-art textile de toute beauté fait d'une carte postale ancienne qu'elle a magnifiquement embellie  : on y trouve presque tout ce qui composait la boite à couture de nos grands-mères d'autrefois, le temps où la mode et la fast-fashion ne nous avait pas encore envahies.

Sur un fond de textile d'ameublement rouge, on peut voir des galons, des rubans, de la dentelle, des paillettes, et des boutons en nombre. Un vrai festival pour entourer la dame de la carte postale, habillée en rouge. 

Je te remercie beaucoup Corinne pour cet envoi très réussi ; les couleurs y sont très bien coordonnées, et les timbres choisis en adéquation. Bravo!

Si tous les gars du monde voulaient se donner la main, pour Sylvie

Si je vous dis "macramé', dans la mémoire collective cela évoque surtout les suspensions en cordelette nouée supportant des plantes dans les intérieurs des années baba-cool. Pourtant c'est bien plus que cela.

Le macramé, l'art moderne de décorer des nœuds, serait né chez les tisserands arabes du XIIIe siècle qui ont commencé à faire des nœuds décoratifs pour fixer les extrémités libres des textiles tissés, comme les serviettes et les châles. La signification originale du Migramah arabe, duquel le mot « macramé » est dérivé, peut être rendue par «serviette rayée», «frange ornementale» ou «voile brodé».

Aujourd'hui, cette technique est revenue au goût du jour et des artistes l'ont incroyablement modernisé comme par exemple Adriana Lazzari dont la chaine Youtube regorge de tutoriels sur le micro-macramé.

Mon amie Sylvie pratique régulièrement cette technique et élabore de magnifiques compositions très fines et raffinées dont vous avez eu quelques aperçus dans les mail-arts qu'elle m'a précédemment adressé.  Alors j'ai décidé de créer pour elle de l'art postal en mélant une superbe création d'Adriana que j'ai inséré dans une composition textile et brodée et les paroles d'une chanson humaniste. 

Oeuvre originale d'Adriana Lazzari vue sur Pinterest

C'est en visualisant cette oeuvre extraordinaire que m'est revenue en tête une chanson de ma jeunesse : une utopie à laquelle on aimerait pouvoir croire, surtout en ce moment où jamais la haine entre les peuples n'a jamais été aussi exacerbée et la xénophobie aussi présente. Mais peut être pour ces raisons-là qu'il peut être  sain de la réécouter.

Si tous les gars du monde - Paroles de Marcel ACHARD, musique de Georges VAN PARYS, arrangements musicaux Nino NARDINI . Titre enregistré chez COLUMBIA le 6 Mars 1957 par Les Compagnons de la chanson
Thème du film Si tous les gars du monde de Christian-Jaque 
Vidéo publiée sur la chaine Youtube des Compagnons de la Chanson

SI TOUS LES GARS DU MONDE 
par les Compagnons de la Chanson 1957

Si tous les gars du monde 
Décidaient d'être copains
Et partageaient, un beau matin, 
Leurs espoirs et leurs chagrins, 
Si tous les gars du monde
Devenaient de bons copains
Et marchaient la main dans la main, 
Le bonheur serait pour demain. 

Ne parlez pas de différences, 
Ne dites pas qu'il est trop blond 
Ou qu'il est noir comme du charbon 
Ni même qu'il n'est pas né en France. 
Aimez-les n'importe comment, 
Même si leur gueule doit vous surprendre, 
L'amour, c'est comme au régiment, 
Il ne faut pas chercher à comprendre. 

Si tous les gars du monde 
Décidaient d'être copains
Et partageaient, un beau matin, 
Leurs espoirs et leurs chagrins, 
Si tous les gars du monde
Devenaient de bons copains
Et marchaient la main dans la main, 
Le bonheur serait pour demain. 


J'ai mes ennuis et vous, les vôtres, 
Mais moi, je compte sur les gars, 
Les copains qu'on ne connaît pas 
Peuvent nous consoler des autres. 
Tous les espoirs nous sont permis,
 Le bonheur, c'est une habitude ;
 Avec deux cents millions d'amis, 
On ne craint pas la solitude ! 

Si tous les gars du monde 
Décidaient d'être copains 
Et partageaient, un beau matin,
 Leurs espoirs et leurs chagrins, 
Si tous les gars du monde 
Devenaient de bons copains 
Et marchaient la main dans la main,
 Le bonheur serait pour demain. 
Si tous les gars du monde 
Devenaient des copains

Anastasie et sa paire de ciseaux, pour Stéphanie

J'ai toujours à coeur d'envoyer de l'art postal en rapport avec ce que je sais des passions, des hobbies ou d'autres caractéristiques propres à chacun de mes correspondants.

Aujourd'hui celui-ci est adressé à mon amie Stéphanie, découpeuse de papier, qui heureusement utilise ses paires de ciseaux pour nous régaler en créant des tableaux si beaux, si humanistes et si poétiques qu'on est bien loin de cette vilaine Anastasie, caricature de la Censure qui a eu de beaux jours autrefois.

Si aujourd'hui nous ne voyons plus d'articles rayés de noir dans la presse par la censure, c'est presque pire car beaucoup plus sournois. En France (mais pas que) les lignes éditoriales sont dictées par les milliardaires propriétaires des journaux, en même temps qu'ils sont diffuseurs de presse, détenteurs de chaines TV et largement participants au capital des sociétés d'édition... alors oui, la liberté d'expression est toujours plus en danger.  

Chère Stéphanie, je te souhaite une bonne réception de cet art postal, même si cette fois la paire de ciseaux n'a pas le beau rôle. 

Extraits de journaux censurés trouvés sur le site Gallica,
Anastasie est une caricature signée par André Gil 

Anastasie, ou Madame Anastasie ou parfois Anastasie Censure, est une allégorie caricaturale de la censure en France au XIXe siècle et au début du XXe siècle.

Sa représentation la plus célèbre est un dessin d'André Gill datant de 1874, mais le personnage existe auparavant, le nom d'Anastasie en tant qu'incarnation de la censure étant attesté dès 1850. Ce prénom pourrait faire étymologiquement référence à la résurrection cyclique de la censure au XIXe siècle ou alors au personnage d'Anastasie Pipelet, concierge malfaisante dans Les Mystères de Paris d'Eugène Sue.
Au début de la Troisième République, la censure est définitivement nommée Anastasie. Elle est représentée par les caricaturistes en domestique, en vieille sorcière ou en concierge, avant de devenir au début du XXe siècle une gouvernante puritaine, quand la censure ne concerne plus que les spectacles. Ses représentations refleurissent pendant la Première Guerre mondiale, à cause du rétablissement de la censure des journaux. Elle est alors une vieille femme, sèche, ignorante et laide, qui s'oppose à la beauté et à la jeunesse de la Liberté. Elle a de nombreux attributs, les principaux étant les ciseaux. Après la Première Guerre mondiale, la figure d'Anastasie s'efface progressivement.

La représentation la plus connue d'Anastasie est un dessin d'André Gill publié à la une de L'Éclipse le 19 juillet 1874, intitulé Madame Anastasie Il représente une femme âgée, aux ongles crochus, probablement domestique ou concierge, qui porte sur l'épaule une chouette et tient sous le bras de gigantesques ciseaux Elle est penchée en avant, probablement pour mieux entendre ceux qu'elle espionne. André Gill est souvent crédité, à travers ce dessin, de l'invention de ce personnage Toutefois, si l'ajout de la chouette, oiseau de nuit qui incarne la nyctalopie et qui fait référence à l'expression populaire « une vieille chouette », est bien une idée d'André Gill, Christian Delporte, suivi par Olivier Forcade, montre que l'incarnation de la censure dans un personnage féminin nommé Anastasie est antérieure à ce dessin

Du rap, des râpes, et deux rappeurs qui ne "dérapent" pas dans la vraie vie, pour Christian

Christian a la spécialité de faire des miracles de poésie avec des objets déclassés, mis au rebut et je suis à chaque fois touchée par les OPNI (objets postaux non indentifiés) qu'il m'adresse. Cette fois-ci, je me suis inspirée de son "art brout" pour,  à mon tour,  tenter de jouer sur les mots avec ce mail-art un peu capillotracté.

Pour être tout à fait franche, au début, je n'étais pas franchement une fan de rap, ni des chanteurs entrant dans ce type de repertoire, à l'exception de MC Solar.  Mais l'éventail du rap s'est considérablement élargi et à condition de supporter le tempo de la musique et le flow des paroles, il y a bien des artistes à découvrir là aussi. 
Composition élaborée à partir de la photo d'une collection de vieilles râpes à fromage (sans nom d'auteur)
et silhouette de rapeur découpée dans du papier de verre
En cherchant comment "animer" la belle collection de rapes à fromage avec un ou plusieurs rappeurs français, je suis tombée sur les deux frangins chanteurs de Toulouse d'origine argentine, j'ai nommé BigFlo et Oli. Leur personnalité attachante m'avait déjà séduite lorsque je les avais entendu parler dans des interviews mais je connaissais très mal leur répertoire. "Je suis" est une chanson incroyable, dont le texte me touche infiniment : je vous laisse découvrir toute la richesse du texte et toute la palette de leur humanisme ci-après.

Bonne réception à toi cher Christian,  peut-être connaissais-tu déjà cette chanson ?
Clip officiel de la chanson Je Suis de BigFlo et Oli (2016) - vidéo publiée sur la chaine Youtube de EmmaFX

Dans la chanson "Je suis" de Bigflo & Oli, les artistes explorent les multiples facettes de l'identité et de l'expérience humaine à travers des récits personnels et universels. Chaque couplet dépeint un personnage différent, confronté à ses propres luttes et victoires, symbolisant la diversité des parcours de vie. Les thèmes de la résilience, de l'espoir, de l'éducation et des inégalités sociales sont tissés avec habileté, reflétant les réalités souvent contrastées de la société contemporaine.

Les paroles transmettent un éventail d'émotions, de la détermination face à l'adversité à la fierté des accomplissements personnels. La mélodie accompagne ces récits avec une intensité qui renforce le message de force et d'unité. Les artistes choisissent ces histoires pour souligner l'importance de la persévérance et de l'empathie dans un monde complexe.

Les références culturelles et historiques enrichissent la chanson, ancrant les expériences individuelles dans un contexte plus large, invitant l'auditeur à une réflexion plus profonde sur les liens qui unissent les individus au-delà de leurs différences. Cette œuvre est un miroir de la vie, capturant l'essence de ce que signifie être humain dans toutes ses nuances.
https://rapedia.fr/track/3345

JE SUIS par BigFlo et Oli (2015)

Je suis
Enfermé, à l'étroit dans ma cellule
Tous les jours le même café mais c'est le temps qui est soluble
Ces bonnes actions que l'on regrette
Ces erreurs que l'on refait
Au parloir je parle autant à mon fils qu'à mon reflet

Je suis
Gelé, j'enchaîne les verres et les hivers
Pour se rassurer les passants doivent tous penser que l'on hiberne
Bercé par le son des pas et le bruit des pièces dans les poches
Entre ce type et mon chien, je me demande de qui j'suis le plus proche

Je suis
Riche, ils veulent me faire croire que c'est une honte
Comme si j'étais responsable de toute la misère du monde
Moi j'dois rien à personne, même si l'argent vient à manquer
Ils veulent tous goûter au fruit de l'arbre que j'ai planté
Je suis
Malade, mais j'préfère dire "futur soigné"
Mes pupilles fixent l'aiguille de la montre qui brille sur mon poignet
A l'étroit dans mon corps, j'regarde le monde par le trou d'la serrure
Les gens diront que je n'ai fait qu'agrandir celui de la Sécu

Je suis
Croyant, on me reproche souvent de l'être
On me reproche ma barbe pourtant j'ai la même que Jean Jaurès
On me compare à des barbares auxquels je n'ai jamais cru
Les mosquées sont trop petites alors parfois je prie dans la rue

Je suis
Un peu perdu, mes p'tits poumons se remplissent d'air
Nouveau venu sur Terre
Mes premières larmes déclenchent celles de mon père
Une chance, auprès de ma famille je m'sens à ma place
Mais je n'oublie pas que j'aurais pu naître dans la chambre d'en face

Je suis
Seul, au fond d'un couloir, on demande pas mon avis
J'ai pris de l'âge donc voilà j'ai bien plus de rides que d'amis
J'aimerais partager mes erreurs, vous faire part de mes doutes
Parfois j'me parle à moi-même pour être sûr que quelqu'un m'écoute

Je suis
Épuisé, mais plus pour longtemps j'en suis sûr
Les sonneries de téléphone, la pression ont élargi mes blessures
J'me souviens pas d'la date de mon dernier fou rire
Je suis un homme bientôt je serai un souvenir

Je suis
Enfin là, cette terre n'est plus un mirage
Je suis, arrivé par bateau mais surtout par miracle
Une nouvelle vie m'attend ici, bien plus calme et plus stable
Ce matin j'ai écrit "tout va bien" au dos de la carte postale

Je suis
Fier, mais comment vous décrire tout ce que j'ressens
Quand je marche en ville, de moins en moins de gens me ressemblent
Dans l'ascenseur, je parle même plus la langue de ma voisine
A force de planter des arbres, y'aura plus d'places pour nos racines

Je suis
Fatigué, mal au dos et mal aux reins
Les rides sur mon visage me rappellent les montagnes de là où j'viens
On m'a menti, et c'est trop tard que je l'ai compris
On dit qu'ce pays n'est pas le mien alors qu'c'est moi qui l'ai construit

Je suis
Assis, et le destin a fait que j'me relèverai jamais
Dans cet océan j'ai l'impression d'avoir toujours ramé
Un casse-tête pour monter dans le bus
Aller au taff, passer leurs portes
Souvent les gens me regardent et me répondent que c'est pas de leur faut
e
Je suis
Heureux, jeune diplômé
Esprit bétonné, j'ai étonné
Ceux qui rêvaient de me voir abandonner
Ma famille est loin d'ici, j'espère que là-bas ils sont fiers
Je viens de gagner le combat qu'avait commencé ma mère

Je suis
Confiante, j'regarde ma classe un peu trop pleine pour moi
Et j'leur tiendrais la main jusqu'à ce que la réussite leur ouvre les bras
J'ai compris que parfois, les adultes sont paumés
Parce que les plus grandes leçons c'est eux qui me les ont données

Je suis
Énervé, dans mon quartier on s'ennuie loin de la ville
On écrit, on prie, on crie et j'ai des amis qui dealent
Mon grand frère est au chômage, mon pote se fait 5000 par mois
Au collège c'est le bordel, bientôt j'devrai faire un choix


Je suis
Loin, ce qu'il se passe chez moi n'intéresse pas grand monde
Pour les autres on vit un rêve mais pourtant souvent on tourne en rond
Tout est cher, avec le continent y'a comme une latence
La plage, les palmiers, mais moi j'suis pas en vacances

Je suis
Discrète, mon père m'a dit de ne pas faire de vague
Ma religion, un phare guidant mes pas depuis qu'j'ai mis les voiles
C'est drôle qu'il me surveille mais qu'il fasse tout pour
Me donner une leçon en m'empêchant d'aller en cours

Je suis
Inquiet, envers ma foi beaucoup de regards hautains
J'reçois des leçons par des types qui ne font rien pour leur prochain
L'humanité n'a pas plus d'coeur, j'vois le monde qui tourne et qui change
Et je suis triste de voir qu'il y a de moins en moins de gens le dimanche

Je suis
Amoureux, et je vois pas qui ça regarde
A part moi et celui avec qui j'partage mon lit le soir
Je l'aime, on slalome entre les insultes et les blagues
Dire qu'il y a peu de temps je n'avais pas le droit de lui offrir une bague

Je suis
Oublié, mes fins de mois se font sur le fil
C'est devenu rare d'aller au restau ou d'aller voir un film
Je suis qu'un chiffre, qu'un vote, qu'une statistique, un point de plus dans la foule
Moi j'suis juste né ici et j'ai l'impression que tout le monde s'en fout

Je suis
Un rendez-vous, un hasard, un match de foot, un mariage
Une manif', un anniv', une accolade, une bagarre
Une scène de crime, un jugement, un gosse qui rit, une erreur
Une montagne enneigée, je suis la pointe de la plume d'un auteur

Je suis 
Les pleurs d'un départ, je suis la chaleur des bars
Je suis une saveur cinq étoiles ou bien le gras d'un kebab
Les flemmards, les couche-tard, les lève-tôt
Les râleurs, les regards dans l'métro
Un oncle raciste, un concert vide, la crise, la déprime qui ressert l'étau

Je suis 
L'excellence, l'élégance ou l'espérance d'une naissance
Ces campagnes dans l'silence, ces grandes villes immenses et denses
Je suis, un peu de moi et beaucoup des autres quand j'y pense
Je suis, la France

Source : LyricFind
Paroliers : Augustin Charnet / Clement Libes / Florian Ordonez / Olivio Laurentino Ordonez
Paroles de Je suis © BMG Rights Management, BMG Rights Management (france), Warner Chappell Music France

Avec JR photographe et réalisateur, l'Art brise les frontières

Pour lutter contre les frontières, il n’y a rien de mieux que de réunir les habitants des deux côtés! C’est l’intention de JR, l’un des artistes contemporain français les plus médiatiques. JR possède le plus grand support du monde : il affiche ses portraits sur tous les continents !

Artiste engagé, ses photos monumentales en noir et blanc recouvre les murs de Paris à New York en passant par Rio de Janeiro et Shanghaï.

Frontière Mexique/USA :  à table!
Cette fois c’est à Tecate, à la frontière mexicano américaine que je vous emmène. Cette oeuvre fut installée au moment où Donald Trump durcit les lois contre l’immigration. Picnic consiste en une longue nappe de plus d’une centaine de mètre qui s’étend à travers la frontière. Dessus, l’artiste laquelle a imprimé le regard de Mayra, une enfant mexicaine qu’il décrit comme une « rêveuse ». Il a ensuite invité qui le souhaitait à s’asseoir autour de la photo et à partager un repas.

Migrants, Mayra, Picnic across the border, Quadrichromie, Tecate, Mexico - U.S.A., 2018  - auteur JR

Le partage contre la division :
La frontière est généralement un lieu de passage périlleux et contrôlé intensément par les forces de l’ordre américaine. JR à travers son travail, tente de détourner les contraintes du mur pour nous raconter l’histoire d’une humanité partagée. Avec Picnic, on peut voir les forces de l’ordre participer au déjeuner et un orchestre s’est organisé de chaque côté. Les participants s’échangent de la nourriture et de l’eau à travers les barreaux qui les séparent, et oublient un instant leurs différences.
JR – Kikito – 2017
À quelques mètres des célébrations, une autre oeuvre traitant de l’enfance et de l’immigration surplombe la frontière bordant la Californie. JR s’est associé avec les habitants de l’état Mexicain et a installé sa photographie sur le terrain d’une famille modeste. C’est l’enfant de cette famille, surnommé Kikito, qui donne son nom à l’oeuvre et qui sert de modèle.

L’image montre l’enfant d’un an regarder curieusement de l’autre côté du mur. Il surveille avec candeur les terres américaine qu’il ne peut rejoindre.

JR a ensuite expliqué au New Yorker sa vision du projet : "Trump a commencé à beaucoup parler d’un mur le long de la frontière mexicaine et un jour je me suis réveillé et j’ai vu un enfant qui regardait par-dessus le mur. Je me demandais, à quoi pense ce gamin? Que penserait un enfant? Nous savons qu’un enfant d’un an n’a pas de vision politique ni de point de vue politique. Il ne voit pas les murs comme nous les voyons".

L’art brise les frontières
Très engagé, l’artiste ne s’arrête pas là, sur le mur qui sépare Israël de la Palestine, il colle d’immenses photographies. Il se rend compte qu’avec son passeport français, il peut traverser le frontière sans qu’on ne l’en empêche. En empruntant un taxi quand il arrive, JR saisit que les habitants ont peur des gens de l’autre côté. Chacun a les mêmes a priori sur les israéliens ou les palestiniens.

C’est pourquoi, il réalise Face 2 Face en 2007.

FACE 2 FACE de JR / Vidéo Youtube  ARTE Métropole
Le projet Face 2 Face, organisé par le photographe JR en Israël et en Palestine, est la plus grande exposition illégale du monde. En tout c'est près de 2km d'affiches qui furent collées sur le mur de séparation. Réal / Image : Gérard Maximin.

Réunir Mexicains et Américains autour du mur qui les sépare ? JR l'a fait. Vidéo de Canal + sur Youtube
Il souhaite alors que l’installation soit visible des deux côtés du mur, car les locaux, eux, ne peuvent le franchir. Les portraits représentent des Israéliens et des Palestiniens qui exercent le même métier. Exposés côte à côte le long du mur, JR demande aux spectateurs d’identifier qui est israélien ou est palestinien. Et la plupart se trompent, victimes des stéréotypes et des fantasmes qu’ils ont sur les autres! L’oeuvre pointe alors la similitude entre les peuples, qu’ils soient séparés ou non. Ils se ressemblent, partagent presque le même langage, et vivent à quelques mètres le uns des autres. C’est uniquement la frontière, et la peur qu’elle engendre, qui les divisent.

Ainsi JR tente t-il de réunir de ce qui est épars, sur le lieu même de la séparation.
source :/https://benedictemaselli.fr/la-frontiere-dans-lart-contemporain/

***
Pour aller plus loin sur le sujets des frontières voici quelques liens fort instructifs
***
La question des frontières m'a toujours beaucoup interpellée, c'est pourquoi j'ai tant apprécié de participer à l'appel récent de l'Association Accueil Réfugiés des Vals du Dauphiné (voir mes 5 posts en date du 3 octobre). Et c'est aussi pourquoi je me suis réalisé un souvenir avec un mail-art pour moi. 

J'ai rêvé encore plus fou que JR en espérant qu'un jour le mur tombe et que les deux peuples fontaliers  se mélent autour d'une même table pour partager ensemble un pique-nique de la fraternité et de la paix;


Migrants, Mayra, Picnic across the border, Quadrichromie, Tecate, Mexico - U.S.A., 2018  - auteur JR

Le 8 octobre 2018, lors du dernier jour de l'installation de JR à la frontière du Mexique et des Etats-Unis, il a organisé un picnic géant des deux côtés de la barrière. Kikito, sa familles et des centaines d' invités sont venus des deux pays pour partager un repas en ce point de rencontre. Ils se sont réunis autour des yeux d'un rêveur (la moitié du côté américain, l'autre du côté américain) pour manger la même chose, partager la même eau, apprécier la même musique... L'espace d'un instant, on a oublié le mur de séparation...

*** l'artiste JR ***
Je suis cet artiste depuis un bon moment, car j'aime infiniment sa démarche humaniste. Voici un lien sur son site officiel si vous voulez en savoir plus sur l'étendue de ses oeuvres.

Etivaz, le fromage du Pays-d'en-Haut, pour Tony

Petite réminiscence pour Tony qui a passé cinq semaines ce dernier été, dans le Pays-d'en-Haut, dans le canton de Vaud. 

Tandis que son épouse Stéphanie était en résidence au Musée du Papier Découpé de Suisse, Tony a fait le choix de visiter les éleveur producteurs de fromage dans les alpages, notamment le fromage Etivaz dont je n'avais jamais entendu parler auparavant (et que j'ai goûté, l'étiquette de l'emballage le prouve mais acheté ici, il n'avait sûrement le bon goût original d'un fromage élaboré puis dégusté sur place).

Vache de race brune suisse dont le lait sert à fabriquer l'Etivaz 
Carte : Label du terroir du Pays-d'En-Haut Produits authentiques 
Le lait chauffe dans le chaudron en cuivre sur le feu de bois- photo Maison Lorho
Pressage des meules - photo du site Les fromages de Suisse
Cave d'affinage de l'Etivaz - photo du site Coopérative des Producteurs d'Etivaz 

Via Instagram, Tony a partagé ses aventures, au sein de familles productrices de fromage, où tout le monde est réuni l'été pour accomplir les tâches nombreuses à exécuter : dès la fin de l'école, les enfants rejoignent les parents pour prêter main forte car le travail est rude et la pente est raide, ce qui rend des travaux élémentaires comme du simple fauchage très compliqué. C'est toute cette synergie et toute  l'ambiance familiale autour de cette production fromagère confectionnée à la mode d'autrefois depuis des générationsqui ont passionné Tony.

Par cet art postal dont je lui souhaite une bonne réception,  je veux aussi le remercier de nous avoir fait voyager par procuration, et de nous avoir fait connaître de bien belles personne, courageuses et attachante.
***
photo des Caves de l'Etivaz - Léman sans frontières
L'étivaz est reconnu comme d’Origine Protégée.  Fromage d’alpage par excellence il n’est produit que de mai à octobre, sa pâte légèrement fine, onctueuse et souple, son goût très aromatique subtilement fruité agrémenté d’une fine touche de noisette, ne laisseront pas indifférents les amateurs de fromages d’exception. C’est le dernier fromage à pâte cuite chauffée sur un feu de bois d’épicéa mais aussi l’une des dernières pâtes cuites tirée à la toile !
 
L'Etivaz a reçu son AOP en 2013.

L’Etivaz est un fromage d’alpage à pâte dure pressée et cuite, fabriqué exclusivement dans des chaudrons en cuivre chauffés au feu de bois durant l’estive (entre le 10 mai et le 10 octobre). Il est élaboré à partir du lait cru fourni par plus de 2800 vaches, réparties sur 130 alpages situés entre 1000 et 2000 mètres d’altitude.

Il n’existe plus qu’environ 70 producteurs familiaux, qui à eux seuls produisent 420 tonnes de fromages par an (soit 16 000 pièces). Dès la mi-mai, les familles rejoignent le chalet, souvent sans électricité ni grand confort et redescendent au fil de la saison. Leur objectif : emmener les bêtes dans les plus beaux pâturages jusqu’à leur retour dans la vallée en octobre.
La production est ainsi très artisanale, tout en répondant tout de même à des normes strictes. La fabrication de L’Etivaz demande le respect du savoir-faire avec des gestes traditionnels précis, dont l’apprentissage est transmis de génération en génération dans chaque famille.

La zone de production AOP est située sur 10 communes suisses des Alpes vaudoises : Château d’Oex, Rougemont, Rossinière, Villeneuve, Ollon, Ormont-Dessus et Ormont-Dessous, Corbeyrier, Leysin, Bex. Ils se concentrent essentiellement sur le Pays d’Enhaut et la vallée de l’Hongrin. Le massif préalpin est propice à l’élevage et révèle une grande diversité de terroir, avec des herbages variés qui viennent aromatiser le goût du fromage.
Comment est produit L’Etivaz ?

L’alimentation des vaches est composée uniquement des herbages du pâturage. Le lait servant à la fabrication du fromage provient uniquement de la traite au chalet, transformé dans la même exploitation. Celui du matin est versé dans la grande chaudière en cuivre puis sera complété par celui du soir, naturellement écrémé.

La présure, préparée par le fromager et ensemencée de bactéries lactiques naturelles, va faire cailler le lait dans le chaudron. Le caillé est divisé en grains fins (comme du blé) et le mélange caillé et petit-lait sera brassé continuellement puis chauffé dans le foyer.
Le producteur (souvent aidé par sa femme) passe un tissu sous les grains d’un geste maîtrisé pour égoutter une première fois. Le tout est introduit dans un moule garni d’une toile en lin. Le fromage est alors mis sous presse et le petit-lait, par pression, s’écoule. Plusieurs retournements sont effectués. Les meules resteront sous presse jusqu’au lendemain matin.

Affinage des fromages : Les meules de L’Etivaz sont conservées à l’alpage pendant 7 jours, entre 10 °C et 16 °C sur des tablars d’épicéa.

Elles seront apportées aux caves de la coopérative à L’Etivaz le plus tôt possible puis elles seront trempées pendant 24 heures dans la saumure. Le fromage y sera salé et brossé régulièrement, puis stocké sur des planches d’épicéa et retourné tous les 5 jours.L’affinage en cave dure au minimum 5 mois (135 jours).

Après 6 mois, certaines meules (environ 800 à 1000 pièces par an) sont choisies et stockées dans un autre grenier pendant 30 mois au minimum. Elles seront démorgées (la croûte sera retirée manuellement) puis frottées avec de l’huile végétale. Au terme de la période de stockage, les meules sont passées au rabot et formeront L’Etivaz à rebibes. 

Quelques cylindres intrigants déposés sur un plateau illustré, papier découpé, noir sur blanc, image du désalpe, interpellent. Tubes de fromage à l’accent du Pays-d’Enhaut, se dissolvent sur la langue et répandent leurs saveurs épicées. Rebibes ivoire sombre, c’est comme ça qu’on mange à l’apéro L’Etivaz vieux.

La désalpe en pays vaudois est  prévue le 27 septembre cette année. Sur la photo, en 2022, la date avait été avancée car l'herbe devenait insuffisante, à cause de la sécheresse et de la forte chaleur


Figurines féminines, ex-voto d'Egypte, pour Fabienne

Fabienne a toujours pour thème les ex-voto et les gri-gri et il y a fort longtemps que j'ai trouvé de quoi alimenté ce sujet d'une manière un peu originale.

Je viens de dénicher pour elle des figurines féminines fort anciennes en terre cuite qui avaient cette fonction aux temps anciens de l'Egypte (-1600 ans avant JC) et cela me paraît une belle occasion pour lui en faire un mail-art. 

Je t'en souhaite une très bonne réception. Bonne continuation
Composition en partant du haut d'une carte de l'Egypte ancienne
complétée par les quatre poupées du Gebel el Zeit

Ces figurines féminines, connues sous le nom de "poupées du Gebel Zeit", proviennent de ce grand massif montagneux, situé sur les bords de la Mer Rouge, entre Ras Gharib et Hurghada.

Le Gebel Zeit est riche en galène dont les mines ont été exploitées dès le deuxième millénaire avant J.-C..

C'est à partir de ce minerai - qui est un composé cristallisé de sulfure de plomb - que l'on obtient le kohl. Son utilisation la plus connue est bien sûr le maquillage, ce noir, qui souligne de façon si reconnaissable les regards de l'antiquité égyptienne. Ce qui est plus méconnu c'est qu'il possède également de grandes vertus guérisseuses des infections oculaires. D'autre part : "dès l’Ancien Empire, on utilise la galène comme fond pour fixer les couleurs dans les monuments précisent Francis Janot, Philippe Vézie dans "Les charmes de la galène".

Les missions menées sur le site, de 1982 à 1986, par l'IFAO ont révélé : "deux vastes secteurs de mines pharaoniques ainsi qu'un habitat et un sanctuaire… Durant plus de 800 ans des expéditions se sont succédé régulièrement à Gebel el-Zeit à partir de la ville de Coptos en Haute Égypte pour ramener le précieux minerai. La fouille de l'Ifao a permis aux archéologues de mieux connaître les techniques minières de la Haute Antiquité ainsi que la vie quotidienne et les pratiques religieuses des hommes qui vivaient sur le site… Les expéditions qui se rendaient à Gebel el-Zeit, région inhospitalière et sans eau, traversaient le désert oriental en emportant avec elles le ravitaillement, les outils et le mobilier cultuel nécessaire à la bonne marche de la mission".

En effet, dans l'Egypte antique, la religion était omniprésente, et des sanctuaires ou lieux de cultes, étaient installés près de toute communauté.

Au Gebel Zeit, on honorait Horus et Min, mais le temple principal était dédié à Hathor qui, en ce lieu, vraisemblablement en signe "d'appropriation" était dénommée "Déesse de la Galène". Hathor est en effet "érigée" en maîtresse de nombreuses pierres précieuses ou semi-précieuses, ainsi, près des mines de turquoises, était-elle adorée sous le titre de "Maîtresse de la turquoise".

Les fouilles mettront au jour de nombreux artefacts, notamment des stèles et des ex-voto. C'est dans un enclos circulaire situé près du sanctuaire d'Hathor qu'une découverte, aussi originale qu'extraordinaire sera faite : il s'agit d'un ensemble de poupées de terre cuite d'une esthétique très particulière.

"L'offrande la plus représentative du sanctuaire est une figurine féminine dont les traits du visage sont extrêmement primaires : deux traits incisés pour les yeux, un trait pour la bouche, un nez en forme de museau, pas de front mais une chevelure élaborée. Les parties sexuelles, pubis et seins sont fortement marquées. Des incisions circulaires figurent des ceintures et des colliers disposés sur les corps nus" précise l'IFAO.

Modelées dans la terre cuite, extrêmement stylisées, elles mesurent de 12 à 18 cm. Elles sont parfois parées de perles et de scarabées et il arrive également qu'un long tissu de lin les enveloppe.

Leurs jambes sont longues, leurs bras sont droits, tendus le long du corps, les mains reposant sur les cuisses. La taille est très marquée et une rangée de petits trous ou pointillés se trouve au niveau de ceinture, visant vraisemblablement à reproduire la présence de tatouages.

Si le plus étonnant demeure leur visage, leur coiffure est également très particulière. "Au Gebel Zeit, ces figurines ont deux styles différents de coiffure : (l) une perruque en céramique, en trois sections, trouvée sur les figurines antérieures (Moyen Empire, Seconde Période Intermédiaire) ; et (2) un style plus tardif dans lequel des brins de lin traversent des trous dans le sommet en forme de disque de la tête et sont attachés à des boules d'argile et de perles, introduites à la Deuxième Période Intermédiaire et également connues à la XVIIIe dynastie" indique Kathryn A. Bard dans "Encyclopedia of the Archaeology of Ancient Egypt".

D'où venaient ces poupées et quel était leur rôle ?

Pour Pascale Ballet ("Potiers et fabricants") : "Les figurines du Gebel Zeit appartiennent à un large groupe de statuettes façonnées selon toute vraisemblance en Haute Egypte, et plus particulièrement dans la région thébaine".

Quant au rôle de ces statuettes votives, il est évident que, représentées ainsi nues et malgré tout parées, elles exhalent la féminité. "Leur dimension érotique était indéniable, sans doute destinées à assurer les réjouissances du défunt dans l'au-delà, mais aussi vouées à stimuler sa fécondité pour lui assurer symboliquement une descendance nombreuse, souhait fondamental pour un égyptien, ce qui explique aussi leur présence dans des tombes de femmes".

On ne peut s'empêcher de les rapprocher de la notion de concubines du mort…

Guillemette Andreux apporte cette analyse très intéressante : "La présence et la fonction de ces statuettes, trouvées en grand nombre dans un lieu si reculé, intriguent. Cependant, les autres exemples ont presque toujours été mis au jour dans des lieux désertiques où régnait la déesse Hathor : à Sérabit el-Khadim au Sinaï, ou à Faras et Mirgissa, en Nubie. On peut en déduire que les poupées du Gebel Zeit sont un des éléments majeurs du culte local dédié à Hathor et qu'on a affaire à des offrandes votives présentées à la déesse des mines et des déserts, mais aussi grande protectrice de la fécondité et de l’amour".

Le Musée du Caire a conservé une partie du lot de figurines, et, dans le cadre du partage des fouilles, en 1986, l'autre partie (le site "Cartel" du musée en référence treize) a été donnée au Musée Louvre.

sources de l'article et illustrations complémentaires sur le blog égyptophile :https://egyptophile.blogspot.com - Autrice : Marie Grillot

18 octobre 2025

Le voyage en littérature : Appel à Mail-Art lancé dans le cadre des "Rencontres de la Baie" de Carantec / DLE : 20-05-2026

Je vous relaie une information de l'Etre Anonyme qui vient de tomber sur Instagram : voici un nouvel appel à mail-art pour le printemps prochain, vous avez donc tout le temps d'y réflechir. 

"Les Rencontres de la Baie" c'est une association dont L'Etre anonyme fait partie, et pour leur festival annuel de littérature, ils ont eu pour la première fois l'idée de lancer un appel d'art postal sur le thème de 2026 : le voyage en Littérature..(sur l'impulsion de notre amie correspondante, évidemment).

N'ayez pas peur de vous lancer, l'Etre anonyme compte sur nous, pour cette grande première, qui sera  sera suivie d'une exposition du 5 au 7 juin 2026.

17 octobre 2025

"Monter à Paris" : l'émouvant récit de vie d'un jeune papa creusois chanteur, à son fiston

Je vous ai déjà parlé de cet artiste que j'apprécie beaucoup. Ce jeune creusois écrit des textes intelligents inscrits dans la vraie vie, qui très souvent mettent le doigt où cela nous fait mal, comme : ici, ou ici, encore ici, ou ici et 

Gauvain Sers est de retour, après une parenthèse loin de la scène, le temps nécessaire pour se refaire la cerise et pour devenir papa. 

Comme cela fait déjà une semaine qu'elle est sortie et que je ne me lasse pas de l'écouter, je partage avec vous le clip et les paroles de cette première chanson "Monter à Paris",  prélude de son quatrième album à venir dans les prochains mois.

Il y explique à son petit gars sa trajectoire, avec beaucoup de coeur et d'amour. On y retrouve toutes les valeurs qu'il défend, surtout vis-à-vis de tous les provinciaux  comme lui,  les "trop loin de Paris" comme il les appelait dans sa célèbre chanson Les oubliés


Gauvain Sers Clip officiel Monter à Paris - Vidéo sur sa chaine Youtube 

MONTER A PARIS de Gauvain Sers

J′ai grandi loin des caméras
Dans une famille de classe moyenne
Dylan et Souchon dans la chaîne
Sympathisant Che Guevara

Y avait Les Guignols dans l'salon
Et dans la cuisine, quelques cris
J′faisais les cent pas, mon fiston
Alors j'suis monté à Paris

J'avais pas vu tous les Godard
Et pas lu Shakespeare en anglais
J′trimballais juste ma vieille guitare
Dans les labyrinthes de Châtelet

On m′disait qu'c′était pas mon monde 
Et que mes rêves étaient hors de prix 
J′voulais décrocher la Joconde
Alors j'suis monté à Paris

Remonter les manches, monter sur les planches, déballer ma vie 
Et celle de ceux qui n′sont pas montés à Paris 
Griffonner des vers, chanter mes colères, mes utopies 
Et celles de ceux qui n'sont pas montés à Paris 

Pas d'cuillère d'argent dans la bouche
Mais le stylo entre les dents
Il fallait à tout prix faire mouche 
Pour clouer l'bec des méprisants 

C'était l'école de la débrouille 
Dans les rues du Monopoly 
On a surtout bouffé des nouilles 
Quand on est monté à Paris 

C'était pour chanter toutes les nuits 
Que j'ai troqué mon code postal 
Mais j'planquerai jamais sous l'tapis 
Mes origines originales 

Des fonctionnaires et des prolos
 De ceux qui t'apprennent la vraie vie 
Ils m'appellent tous le Parigot 
Depuis qu'j'suis monté à Paris 

Remonter les manches, Monter sur les planches, déballer ma vie 
Et celle de ceux qui n'sont pas montés à Paris
Griffonner des vers, chanter mes colères, mes utopies 
Et celles de ceux qui n'sont pas montés à Paris Montés à Paris 

J'suis un gamin d′la middle-class 
Qu'a connu l′enfance sans écran 
Et comme j'étais l'plus petit d′la classe
J′avais des rêves un peu trop grand 

Mais même après les disques d'or 
Ce qui m′fait chialer aujourd'hui 
C′est t'raconter quand tu t′endors 
Pourquoi j'suis monté à Paris 

Remonter les manches, monter sur les planches, déballer ma vie 
Et celle de ceux qui n'sont pas montés à Paris 
Griffonner des vers, chanter mes colères, mes utopies 
Et celles de ceux qui n′sont pas montés à Paris 
Montés à Paris

Production : Beau Regard Production Réalisateur : Stéphane Ridard Producteur : Borhane Mallek Ass Real : Baptiste Blanchet Dop : Maxime Col Assistant Caméra : Mathias Lambert Chef Elec : Marc Leyval Make Up : Léa Faure Modéliste 3D : Enguérand TARTONNE Peinture : Jules SIMERAY Monteur : Stéphane Ridard Etalonnage : Tristan Westeel VFX : Agaprod Régisseur : Sylvain Bakana Un grand merci à Lorris Baumgartner, Florian Sauvage, Soleil Delarue, Maxime Sellem, à Mini World Lyon.

16 octobre 2025

Faire confiance à la jeunesse, d'Isabelle

Ah voici une enveloppe d'Isabelle, et les premières nouvelles qu'elle donne depuis sa mutation sur Limoges. Je suis contente de les lire même si je me doutais bien que ce ne serait pas simple pour elle de vivre encore un nouveau déménagement,  de repartir professionnellement dans une nouvelle ville et de devoir à nouveau chercher des repères. 

Son enveloppe montre des jeunes installés sur un banc, plutôt réveurs, mais aussi, comme en attente de quelque chose : était-ce une pièce de théatre? je ne sais pas. J'ai juste envie de dire en les voyant, qu'il faut que la jeunesse ne perde pas espoir et qu'elle continue de se battre, car nous sommes actuellement dans un pays qui ne fait rien pour l'aider, si elle n'a pas la chance d'être née avec une cuiller en argent dans la bouche.

Ils sont pourtant foisonnant d'idées et de projets, ces jeunes. Bon sang, qu'on leur fasse confiance et qu'on leur donne les moyens d'étudier sans être obligés de rogner sur leur budget pour manger, ou se loger.

Merci Isabelle, bon courage à toi. 

14 octobre 2025

MO009 - Sortie des ouvriers de l'Arsenal de Toulon, de l'Etre anonyme

Aujourd'hui une nouvelle enveloppe de l'Etre anonyme sur le thème du monde ouvrier en France, ce qui me fait très plaisir.

Sortie des ouvriers de l'Arsenal à Toulon  sur une carte postale ancienne par la Porte Castigneau - 1903 

Le temps perdu

Devant la porte de l'usine
le travailleur soudain s'arrête
le beau temps l'a tiré par la veste
et comme il se retourne
et regarde le soleil
tout rouge tout rond
souriant dans son ciel de plomb
il cligne de l'œil
familièrement
Dis donc camarade Soleil
tu ne trouves pas
que c'est plutôt con
de donner une journée pareille
à un patron ?

Jacques Prévert (1900 - 1977) -

Merci à l'Etre anonyme d'avoir déniché ce poème de Prévert que je connaissais déjà (mais dont je ne me lasse pas ) et de l'avoir associé à cette carte postale ancienne.

On y voit la sortie des  nombreux ouvriers de l'Arsenal de Toulon où l'effectif monta jusqu'à 5000 personnes vers 1860.

***
Etude des ouvriers de l’arsenal de Toulon au tournant de la Révolution française , au carrefour des histoires maritime, sociale et culturelle (1760-1820)

Par cette étude, nous cherchons à comprendre comment se forme une classe ouvrière à la fin de l’Ancien Régime et au début du XIXe siècle, et nous demandons si la Révolution française a contribué à cette formation, notamment à Toulon, ville dans laquelle ce groupe ouvrier est si important, où l’élément maritime militaire s’avère fondamental, et dans laquelle les tourments révolutionnaires prennent rapidement une envergure nationale.

Pour mener à bien notre recherche, nous exploitons autant les sources officielles telles les correspondances des autorités maritimes, les registres de matricules du port ou les délibérations des conseils de ville, les cahiers municipaux de dénombrement et de contributions. Elles permettent de cerner les contours démographiques et sociologiques du groupe « ouvriers de l’arsenal », et de mieux appréhender les processus en marche au cours de notre période grâce à la description détaillée des événements. Le silence de ces mêmes archives sur les ouvriers et plus largement sur les catégories populaires est tout aussi parlant, surtout dans l’analyse de la conquête démocratique. Elles ne sont toutefois pas suffisantes pour comprendre la vie quotidienne des ouvriers de l’arsenal. Les archives judiciaires sont à la frontière de l’officialité et de l’informel par ce qu’elles font ressortir les comportements informels des acteurs dans une institution d’État. À côté de ces sources se trouvent des documents produits par les ouvriers eux-mêmes dans le cadre de leur travail (rapports d’expertises, participation à une activité de sous-traitance de l’arsenal, etc.) ou de leur engagement politique (pétitions, adresses, placards, etc.). Comparativement aux sources officielles, ces documents sont moins nombreux mais ils déstabilisent l’historien dans ses certitudes et l’obligent à réévaluer la vie des ouvriers. N’est-ce pas toutefois là notre but ? Rompre, comme le prônait Émile Durkheim pour la méthode sociologique, avec le sens commun qui fait des ouvriers de l’arsenal une masse tantôt manipulable, tantôt dangereuse, toujours sauvage ?

Nous nous proposons de présenter notre objet d’étude et nos pistes d’investigation. Nous étudierons tout d’abord le rapport des ouvriers de l’arsenal de Toulon au monde maritime. Nous donnerons ensuite une définition de notre catégorie ouvrière par rapport aux critères de définition des classes inférieures de l’Ancien Régime. Enfin nous tenterons de discerner la conscience de classe et la conscience politique chez les ouvriers de l’arsenal, en nous portant plus sur la période napoléonienne et la Restauration.

Les ouvriers et le monde maritime

En période de paix au cours de la deuxième moitié du XVIIIe siècle et avant la Révolution, on peut estimer à environ 1500-2000 personnes le total des ouvriers employés par la Marine à Toulon, soit 30 % des chefs de famille toulonnais. Les ouvriers spécialisés de l’arsenal sont massivement toulonnais, tandis que les artisans et gens de métiers le sont sensiblement moins. L’arsenal apparaît néanmoins pour l’ensemble des Toulonnais comme l’unique ressource des habitants de la région. Comme le rappellent les officiers municipaux de Toulon et du Revest, c’est l’arsenal qui vivifie à lui seul le canton en procurant travail aux pauvres et marchés aux plus riches.

Dans la tradition de l’histoire navale, les ouvriers apparaissent comme un élément d’une institution qui les dépasse et qui s’impose à eux, comme les instruments d’un système productif dont seules les qualités techniques sont mises en valeur et recherchées. Martine Acerra parle des ouvriers de Rochefort comme des « acteurs de la fabrique » dont « la profusion des métiers et des statuts professionnels » relèvent encore « d’un monde artisanal orienté vers une production unique, le navire de guerre ». Les ouvriers des arsenaux font donc partie des gens de mer, à terre ou embarqués, sur les chantiers ou dans les ateliers, et peuvent à bien des égards être assimilés aux marins dans les descriptions qu’en font les historiens. Sans cesse est relevée la grande diversité des catégories sociales, des classes d’âges, des statuts familiaux, des origines qui fait de la ville-arsenal un lieu où se retrouvent les marginaux, forcément brutaux, ayant le goût prononcé de l’alcool et des femmes, souvent peu respectueux de la morale chrétienne. Le marin et l’ouvrier sont des « sortes d’animaux […] séditieux, indociles, mutins, libertins ». Les ministres de la Marine déplorent que leurs hommes dilapident leurs payes dans les tripots, quitte à laisser mourir leurs familles. Par leur présence, le port devient le lieu des bagarres, des vols et des abus. M. Acerra voit également dans ces débordements le « goût de la fraude ou de la nécessité du larcin pour survivre ». Le vocabulaire utilisé renvoie la classe laborieuse des arsenaux à une classe dangereuse. Dangereuse par sa turbulence, et dangereuse par son non-respect du temps de travail, par le vol des biens de l’État (au premier rang desquels le bois pour se chauffer), par leur entente qui provoque l’envol des adjudications, et par le risque d’incendie dans l’arsenal.

Pour autant, l’étude de la fréquentation des cabarets permet de considérer ces lieux non pas sous l’angle de la gestion du personnel de l’arsenal ou celui de la police de ville mais plutôt sous l’angle de la sociabilité. Ce parti méthodologique tend à déplacer le regard de l’historien en se plaçant non plus du point de vue de l’autorité, répressive ou condescendante, mais en adoptant une grille d’analyse – pour faire vite – anthropologique. Les journées révolutionnaires à Toulon les 23 et 24 mars 1789 donnent lieu à plusieurs arrestations, à un procès devant le Parlement d’Aix et à quelques condamnations à mort dont l’exécution aurait dû se dérouler en principe à Toulon même. Mais le 23 juillet 1789, les révolutionnaires toulonnais manifestent violemment, et le Parlement de Provence commue la peine des émeutiers de mars, le cours de la Révolution les ayant en quelque sorte absouts. Or cette journée de juillet fait l’objet de quelques hypothèses sur le rôle de la confrérie des cabaretiers. Ce jour-là, dans l’église des Minimes, se tient la réunion annuelle du « Corps de Sainte Marthe » (sainte patronne des cabaretiers) pour, officiellement, élire les syndics du corps. Selon H. Lauvergne, historien toulonnais du XIXe siècle, le but réel de cette manifestation est politique car s’assemblent au couvent des Minimes des ouvriers, des artisans de toutes conditions, plusieurs bourgeois, et non pas seulement des cabaretiers. Cet exemple nous fait approcher la complexité du monde ouvrier et son imbrication avec les autres catégories sociales de la ville.

Si les points communs sont nombreux entre les ouvriers des différents arsenaux, leurs comportements varient selon qu’ils soient du Ponant ou du Levant, comme si la Mer Méditerranée influait sur les mentalités de façon différente de l’Océan Atlantique. De nombreux stéréotypes visant à distinguer les gens de Brest de ceux de Toulon sont véhiculés par les autorités, les mémorialistes, les érudits et les voyageurs. Ces images traversent les temps sans que l’on ne sache bien s’il s’agit de traditions, d’idéologies, de présupposés. Pour l’amiral Jurien de la Gravière, au XIXe siècle, les Bretons sont toujours des « Celtes à demi-sauvages », stoïques, obstinés, d’une saleté atavique et présentant un penchant immodéré pour les « liqueurs fortes ». Quant aux Provençaux, « l’ordre, le silence, la patience, la régularité, ne sont pas dans leurs instincts. Ils peuvent cependant se plier aux exigences d’un service qui leur est presque toujours antipathique ; mais c’est comme l’arc courbé par une main puissante, qui se redresse dès qu’on abandonne à lui-même ». Les différences de comportements entre gens de mer méditerranéens et gens de mer de l’Atlantique ressortent crûment à Toulon dans le contexte politiquement tendu du tournant des années 1792-1793. Depuis le début de la Révolution, la municipalité de Toulon et la Marine sont divisées, ce qui laisse aux ouvriers la possibilité de s’affranchir du contrôle militaire et de soutenir la politique des Jacobins toulonnais. Les ouvriers, d’après les autorités, usent de tous les stratagèmes pour se soustraire aux travaux et sortir de l’arsenal divers objets pouvant améliorer leur quotidien de quelque manière que ce soit. Des accusations plus graves – comme celle de favoriser les ennemis de la Révolution – sont portées à l’encontre des Toulonnais. Selon un ouvrier originaire de Bayonne, en mai 1793, les ouvriers toulonnais quittaient l’arsenal une fois l’appel passé pour aller travailler en ville. Ce témoin estime qu’il a été levé inutilement. L’ordonnateur du port constate, lui, que les ouvriers de levée employés dans l’arsenal y sont plus dangereux qu’utiles par leur manque de volonté.

Ces différences ne peuvent provenir d’un cloisonnement entre Ponantais et Méridionaux. Le système des classes concerne, depuis 1776, les ouvriers exerçant une profession dite maritime dans toute l’étendue des côtes maritimes et des rivières affluentes à la mer. L’arsenal de Toulon reçoit des ouvriers de toute la façade méditerranéenne de la France mais aussi du Sud-Ouest, des régions bordant le Rhône, et des régions forestières dans lesquelles la Marine s’approvisionnait en bois. En cas de nécessité, toutes les Inspections doivent s’aider mutuellement. Les contacts entre ouvriers bretons et provençaux sont nombreux et souvent prolongés autant dans les ateliers et sur les bateaux (leurs lieux de travail) que dans les villes. Les ouvriers de l’arsenal de Toulon partagent donc bien une identité maritime avec leurs camarades de Rochefort ou de Brest, mais cette identité n’est pas monolithique, elle est empreinte de différences.

Voyons maintenant l’influence du travail sur la conscience collective du groupe ouvrier.

Les ouvriers de l’arsenal : un peuple au travail, un peuple dans la ville

Étudier les ouvriers de l’arsenal de Toulon dès la fin du XVIIIe siècle, c’est s’interroger sur la définition d’une classe inférieure à l’époque moderne, c’est partir à la recherche du « menu peuple » et de la « populace ». Nous avons déjà donné quelques exemples de représentations accolées aux travailleurs des arsenaux qu’ils soient de l’Atlantique ou de Méditerranée. Or, dans notre cas, les qualificatifs attribués aux populations maritimes ne peuvent se dissocier de ceux allégués aux catégories populaires. Les déclarations sur les habitants de Toulon de la part du Représentant du peuple Rouyer en l’an III ne sont pas un cas aussi extrême que l’on pourrait le penser. Lorsque ce dernier écrit au Comité de Salut Public que « les trois quarts et demi des habitants qui s’y trouvent [à Toulon donc] dans le moment actuel sont des personnes qui s’y trouvent on ne sait comment et qui viennent on ne sait d’où ; la plupart ont des formes affreuses, et c’est une horde de sauvages qui a envahi un pays civilisé », n’est-ce pas à la fois une caricature des Toulonnais assimilés à des primitifs et une représentation idéalisée de la Provence – terre de civilisation –, le tout mis en opposition pour produire un meilleur effet auprès du pouvoir central ? Toulon en l’an III compte jusqu’à 12000 ouvriers, ce qui correspond bien aux trois-quarts de la population. Alors pour dépasser ces imaginaires sur des ouvriers assimilables à des troupeaux d’êtres féroces incapables de réflexion, si proches d’un état de nature hostile, il faut se placer sur un plan plus empirique et aborder l’étude des ouvriers de l’arsenal de Toulon sous l’angle de la question sociale, quitte à être tiraillé entre deux pôles : l’étude économique et l’analyse politique.

Les ouvriers de l’arsenal de Toulon ont pour « seul patrimoine le travail ». Dans l’arsenal les maîtres, les contre-maîtres (ou aides), les ouvriers en tant que tels, les apprentis, les officiers mariniers, matelots et mousses remplissent cette définition. La différence de statut n’est pas inexistante entre les ouvriers et les maîtres mais ils sont issus du même milieu social (les catégories populaires) et souvent de la même ville. Ils font preuve entre eux d’une cohésion qui dépasse le simple cadre professionnel : les maîtres et les contre-maîtres veillent à l’instruction et à la formation des ouvriers dans un rapport souvent paternel. Mais quand le travail vient à manquer, les ouvriers tombent dans une plus grande pauvreté. Les ouvriers de l’arsenal de Toulon sont, de ce point de vue, bien les membres de ce peuple « qui vivent avec des salaires quand ils sont suffisants ; qui souffrent quand ils sont trop faibles ; qui meurent de faim quand ils cessent ». Ils connaissent la précarité et développent des moyens de la prévenir si bien que le salaire monétaire, certes significatif en ville, n’est qu’une des formes du revenu populaire. Les ouvriers des arsenaux mettent en œuvre toute une gamme d’actions pour survivre : le recours à la distribution de pain et au ramassage des copeaux, le travail en perruque, la pluriactivité, ou l’abandon de l’arsenal pour des chantiers civils mieux rémunérés. L’étude du travail et des salaires est corrélative à celle de la consommation. En plus de se nourrir (le tiers du montant de leurs journées est consacré dans l’achat de pain), de se vêtir et de se loger, l’ouvrier voit son salaire amputé de diverses manières. Les ouvriers doivent acheter leurs outils de travail, dont le coût est considérable, et détourne bien souvent le travailleur tenté par l’engagement à l’arsenal. Quatre deniers par livre sont en plus retenus pour alimenter la Caisse des Invalides. La situation est encore plus difficile pour les ouvriers de levée : ils souffrent de recevoir un salaire moins élevé que celui perçu sur les chantiers privés, ils ne bénéficient pas des avantages en nature des ouvriers volontaires (distribution de pain, sortie de copeaux), et ils doivent subvenir aux besoins de deux ménages, le leur et surtout celui de leur famille, parfois à l’autre bout de la France.

En période de récession économique et de hausse du chômage, ou en période de crise frumentaire quand le manque de céréales provoque la hausse du prix des denrées, interviennent, notamment lors des périodes de soudure, les secours distribués par la municipalité ou par la Marine. Les efforts combinés de la Ville et de la Marine n’empêchent toutefois pas les émeutes de mars 1789. Au début de ce mois, sont dûs quatre, voire cinq mois aux ouvriers. L’intendant du port demande même à son ministre de tutelle de quoi payer au moins deux mois de soldes par crainte d’une éventuelle révolte. Mars 1789 correspond aussi à la période de rédaction des cahiers de doléances en préparation des États Généraux. Tous les maux des ouvriers de l’arsenal se cristallisent autour du problème des ouvrages à l’entreprise, généralisé par l’État depuis 1786. L’article 1 de la section Marine du cahier de doléances du tiers état de la ville l’exprime bien :

Art. 1er – La suppression des entreprises et prix-faits dans l’arsenal, et que dans la fixation des fonds, celui pour le salaire des ouvriers ne donne plus lieu à cette classe précieuse de sujets, à s’expatrier et à porter leurs utiles services à la première puissance qui veuille lui donner du pain : cette émigration devient chaque jour plus frappante et les suites politiques plus à craindre. »
C’est donc dans ce climat de misère et d’effervescence politique qu’éclate l’insurrection du 23 mars 1789.

Dans le domaine politique, « les classes inférieures ont été pendant de très longues périodes des classes silencieuses ». Ce silence relatif n’a pourtant pas évité aux classes inférieures d’apparaître menaçantes aux yeux des élites, si bien que la prise de parole par le peuple est déjà une subversion historique. La Révolution française représente un moment privilégié pour scruter les ouvriers de l’arsenal. À la fin de l’Ancien Régime, le peuple est sujet et non citoyen, il forme un peuple, et même un bas peuple, sans droits politiques. Or, à partir de 1789, nous assistons à la conquête de la politique par les ouvriers de l’arsenal de Toulon : ils s’emparent des droits politiques dans les assemblées primaires, ils travaillent pour la Nation et la défense de la Patrie, ils ont conscience d’appartenir aux couches populaires. Reprenons l’exemple des événements de mars 1789. Le 23 du mois, les délégués des corporations se réunissent à l’Hôtel de Ville afin de rédiger les cahiers de doléances. Le « bas peuple » de Toulon se regroupe dans « la salle basse de l’Hôtel de Ville » mais suite à un incident à propos de l’interprétation du code électoral, les assemblées tournent à l’émeute. Les maisons des archivistes sont pillées et le piquet pour un temps suspendu. L’aspect anti-municipal est également présent : la maison du maire est saccagée, et c’est à cause de l’interprétation du règlement électoral que les catégories populaires, massivement exclues des assemblées, se soulèvent. L’émeute constitue alors un moyen de se faire représenter. La particularité de Toulon vient de ses ouvriers de la Marine qui se mobilisent avec « la plus basse classe » et profitent de l’appui des artisans, des commerçants et de leurs employés que le chômage à l’arsenal pénalise. Ils prolongent la lutte en adoptant la grève comme moyen de pression sur les institutions. « Le 25 mars les ouvriers de l’arsenal s’attroupèrent, la cloche les appela vainement au travail, ils refusèrent d’aller à l’ouvrage se plaignant avec aigreur de l’inexactitude de leur payement ». Le commandant de la Marine ne doit sa survie qu’au don de 60.000 livres versé par un imprimeur toulonnais pour le règlement de la solde des ouvriers. Et c’est en autorisant les ouvriers de l’arsenal à élire leurs propres députés que les autorités municipales désamorcent une crise profonde.

Conscience politique et conscience de classe

Revenons à la question posée dès l’introduction : comment se forme une classe ouvrière à la fin de l’Ancien Régime et au début du XIXe siècle ? Nous pensons qu’elle se forme en partie par la politisation des ouvriers.

Le premier élément fédérateur parmi ces ouvriers, nous l’avons dit, c’est le travail. Celui-ci influence les comportements au-delà des problèmes de salaires. Il touche au corps et aux mentalités par les pratiques et les techniques qu’il met en œuvre et que les ouvriers adoptent selon des normes édictées par la hiérarchie et selon un ensemble de routines destinées à s’approprier leurs moyens de productions. Il est vrai que l’arrivée des ouvriers du fer, aux dépends des ouvriers du bois, a modifié la structure de la population ouvrière toulonnaise, qu’elle a changé bon nombre de traditions, notamment en brisant les « dynasties » familiales de charpentiers et en faisant appel à des entreprises civiles possédant le savoir-faire métallurgique (un savoir-faire qui dépasse celui des chaudronniers et des fondeurs de l’Ancien Régime). Comme en témoigne l’amiral Jurien de La Gravière dans ses mémoires, « la vapeur est venue apporter dans les conditions de notre métier plus qu’un changement radical : elle a produit une révolution ; elle a bouleversé de fond en comble nos traditions, nos plaisirs, nos usages et jusqu’à nos mœurs ». Jusqu’au premier tiers du XIXe siècle, les ouvriers mécaniciens et chauffeurs de l’arsenal sont des étrangers issus de l’industrie privée et bien payés – en tout cas, mieux que leurs collègues des métiers traditionnels. Ils défendent leur savoir-faire en interdisant d’approcher des machines qu’ils conduisent, même si apparemment la plupart d’entre eux possèdent une expérience et une habileté moindres que les ouvriers anglais.

Mais le changement de mentalités est-il si mécanique et si radical ? Sewell avance que « la solidarité de classe, lorsqu’elle apparut pour la première fois au début des années 1830, fut la généralisation, la projection à un niveau supérieur de la solidarité corporative. La fraternité plus large de tous les ouvriers ne devient concevable qu’à partir du moment où les corporations ouvrières se perçurent comme de libres associations de citoyens au travail productif et non comme un corps distinct, voué au perfectionnement d’un art particulier. ». Or, pour le cas de l’arsenal de Toulon, nous peinons à trouver cette solidarité corporative dans le sens où nous avons affaire à un monde déjà industriel. Les corporations toulonnaises semblent intégrer les maîtres des arsenaux, mais seulement eux. Ces instances sont trop étroites pour embrasser les mouvements de 1789 ; les ouvriers de l’arsenal ont participé à d’autres formes de sociabilité au premier rang desquelles le club des Jacobins et le Comité central des ouvriers, syndicat avant la lettre pourrait-on dire. Leur sociabilité sous l’Ancien Régime et la Révolution est toutefois moins difficile à trouver que celle sous l’Empire. D’une part, parce que les confréries ou les clubs ont des buts publiquement présentés ; d’autre part, parce que le caractère policier du système napoléonien a atomisé le mouvement ouvrier. Par exemple, en 1807, le Préfet maritime de Toulon déclare qu’il « est défendu à tous officiers civils et militaires, officiers de santé, sous-officiers, officiers-mariniers, matelots et soldats, maîtres, contre-maîtres et ouvriers de l’arsenal, novices et mousses et autres employés tenant au service de la marine, de se trouver dans les maisons ci-après désignées. (...) Tout employé de la marine, sans distinction de grade, qui sera trouvé dans ces maisons, sera arrêté et puni avec la dernier sévérité ». Mais à ce moment-là, sous l’Empire, apparaissent les sociétés de secours mutuels. Sewell écrit à leur propos qu’elles étaient des « versions postrévolutionnaires des confréries d’Ancien Régime » : elles se chargent des funérailles, portent le nom d’un saint patron qu’elles fêtent. Outre ces activités, la société organise parfois des sorties dominicales pour les ouvriers, leurs familles et leurs amis. Ainsi, sous leur forme publique apparente, malgré leurs petits effectifs apparents, les sociétés de secours mutuel comprennent, toujours d’après Sewell, l’ensemble des membres d’un même métier. Et quand bien même la société ne regrouperait qu’une minorité, elle fournirait le symbole d’une organisation œuvrant tant d’un point de vue moral que pratique pour tous les ouvriers. Nous tentons d’appréhender ce mouvement de société mais il est très difficile d’en saisir la composition et la vie intérieure (débats, discussions). Les archives départementales et municipales sont peu nombreuses sur ce thème et durant ces années.

De même, il est difficile de connaître la tendance politique de la majorité des ouvriers. D’après un rapport du Préfet du Var, en juin 1820, on pourrait détecter quelques penchants bonapartistes. Le 22, huit ouvriers boulangers ont chanté dans une guinguette : « Vive le brave Napoléon, il nous a conduit à la victoire et il nous y conduira encore, il reviendra pour chasser les Bourbons. ». Les boulangers, dans leur ensemble, ne sont pas des inconnus pour les autorités royalistes. En janvier 1815, le préfet maritime de Toulon demande à son ministre de tutelle de pouvoir changer tous les chefs de la boulangerie de l’arsenal et d’en recevoir un, provenant d’un port du Ponant. Il ajoute qu’il serait bien « de faire suivre ce maître par quelques aides, capables de le bien seconder & de donner à la manutention, la direction convenable & de faire changer les habitudes vicieuses des ouvriers du pays »

Mais les ouvriers soutiennent-ils Napoléon pour lui-même ? Rien n’est moins sûr. Sous le Consulat déjà, le 2 nivôse an VIII, les officiers de la Marine passent la revue à bord du vaisseau amiral par le travers du grand rang où il y avait plusieurs maîtres d’équipages. Un officier voulut « qu’on publie une victoire sur le port » ; un maître d’équipage « s’est permis de dire ironiquement que c’était la victoire remportée [à Aboukir] ». L’effort de guerre a permis à l’empereur d’avoir les faveurs des ouvriers toulonnais. Pourtant, en 1815, les ouvriers acceptent la Restauration : « tout le peuple de Toulon, hommes, femmes et enfants, parcourt les rues agitant des étendards blancs au son des fanfares et tambourins d’un bout de la ville à l’autre (en criant) vive le Roi, vivent les Bourbons ! ». Les quelques mouvements de colère individuels (voir ci-dessus) ou collectifs (voir les mouvements contre le défaut d’approvisionnement en denrée de 1801 ou contre le retard de paiement en 1813) remettent en cause le schéma trop vite admis d’un port militaire acquis à Napoléon de façon unanime et en opposition avec Marseille, port commercial que le blocus napoléonien pénalise. L’adhésion à l’Empire chez les ouvriers de l’arsenal est soumise à trop d’aléas et de contraintes sociales pour s’affirmer de façon inconditionnelle.

Conclusion

Notre objet d’étude porte ainsi sur une catégorie populaire urbaine, composite et complexe : les ouvriers de l’arsenal de Toulon, à l’œuvre dans un monde bouleversé dans ses usages politiques, culturels et sociaux par la Révolution française.


Nous avons vu que l’identité maritime de ces ouvriers est indéniable mais elle se nourrit d’influences diverses qui lui donnent son originalité. Les ouvriers font bien partie du peuple mais là encore, il n’y a pas unanimité : la diversité des métiers et des statuts professionnels, la contingence des carrières et le milieu familial incitent l’historien à appréhender le monde ouvrier toulonnais comme un monde pluriel. Enfin, les ouvriers de l’arsenal de Toulon possèdent une conscience politique, souvent confuse car soumise au poids de la tradition, de la hiérarchie et surtout des événements. Ils forment bien la base de la classe ouvrière chère à Flora Tristan, mais une classe en gestation et qui ne bénéficie pas encore des apports théoriques et politiques du XIXe siècle.

Source : Auteur Julien Saint-Roman, professeur certifié du secondaire, actuellement ATER à l’Université de Provence, poursuit une thèse sur Les ouvriers de l’arsenal de Toulon (1760-1820) sous la direction de Mme Christine PEYRARD au sein du laboratoire TELEMME. Intégré au groupe de recherche « Lumières et Révolution française : processus de civilisation » ainsi qu’au séminaire d’histoire moderne, Julien Saint-Roman a participé à diverses manifestations d’histoire sociale et d’histoire de la Révolution française.
Référence électronique Julien Saint-Roman, « Les ouvriers de l’Arsenal de Toulon, 1760-1820 », Rives méditerranéennes [En ligne], Varia, mis en ligne le 15 octobre 2012, consulté le 13 octobre 2025. URL : http://journals.openedition.org/rives/4460 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rives.4460